Michel Aumont, mystificateur merveilleux

Au théâtre de L'OEuvre à Paris, Michel Aumont propose un voyage intérieur dans "A la Porte", monologue écrit par Vincent Delecroix. Une performance magnifique.

Rien sur le plateau du théâtre de L'Oeuvre à Paris, ou presque. Une vague porte très haute, stylisée par un rectangle clair sur le mur du fond de scène, et une chaise. Michel Aumont fait son entrée par un "Ce petit con a claqué la porte avant que j'aie eu le temps de dire ouf!". L'étrange, l'incongru, la drôlerie, la perte des repères souffle déjà dans ces quelques mots d'ouverture de "A la Porte", pièce adaptée du livre (chez Gallimard) de Vincent Delecroix et mise en scène par Marcel Bluwal.

Il est déjà dans le passé, ce vieux professeur de philosophie qu' "habite" littéralement Michel Aumont. Sa mémoire, donc sa vie, va fonctionner à l'imparfait. Dans sa double acception, le temps et l'adjectif. Imparfait d'un hier où (presque) tout se brouille et imparfait d'une situation qui entraîne le personnage dans des histoires dont on ne sait si elles relèvent de l'imaginaire, de la folie ou de ce passage qui conduit à la mort.

Michel Aumont se glisse avec délectation dans ce personnage. Un vrai mystificateur pour nous faire vivre ces instants où le vieux philosophe est exclu de chez lui, à la porte sur le pallier de l'étage, ses clés restées à l'intérieur de son appartement. Il est là, à côté du jeune homme qui était venu chez lui pour obtenir des éclaircissements sur Leibniz et Bergson! Il a retenu sa "bien jolie petite gueule" mais c'est pour mieux souligner que son visiteur a fiché le camp sans trop attendre. Alors, il n'ira pas vraiment chercher l'une des trois autres clés qu'il sait pouvoir retrouver. Pour diverses raisons, bienveillantes (envers sa soeur cadette qu'il appellera quand même), mais aussi méprisantes (son voisin ou son concierge).

Le professeur va ainsi raconter ses aventures, ou plutôt ce voyage dans Paris qui pourrait paraître surréaliste s'il n'était fortement marqué par la confusion des sentiments ("Suis-je expulsé?") et par la solitude d'une vieillesse handicapante ("Qu'est-ce qui m'arrive?"). Le vieillard racontera qu'il a croisé une charrette du côté de la gare du Nord, retrouvera son père, se croira nu dans la rue... Il repensera au jeune homme du matin. Son double peut-être, dans ce passé qui s'estompe. Le grand art de Michel Aumont fait ici merveille pour entendre ce monologue magnifique qui finit, aux portes de la nuit, par prendre le train à la Gare Saint-Lazare...

"A la Porte" au Théâtre de L'Oeuvre à Paris en semaine à 21h. Réservations: 01 44 53 88 88. A partir du mercredi 18 avril, à 19h, L'Oeuvre propose un dialogue érotique écrit par Jean-Claude Carrière autour du thème "Les Mots et la Chose" avec Jean-Pierre Marielle et Agathe Natanson.

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