La palme à la classe

Double surprise au festival de Cannes : "Entre les murs", de Laurent Cantet, chronique de la vie dans un collège parisien difficile, reçoit la première palme d'or remportée par un Français depuis 21 ans. Parmi les 22 films en compétition, le jury, présidé par l'américain Sean Penn, connu pour son engagement contre la guerre d'Irak, a distingué nombre de films à la tonalité documentaire.

"Entre les murs", le titre du film de Laurent Cantet annonce la couleur : on ne sort pas de la classe de 4ème d'un collège difficile où officie un prof de français. Celui-ci n'est autre que François Bégaudeau, qui a relaté son expérience dans le livre éponyme, et joue son propre rôle dans le film. Ce n'en est pas moins une fiction, a insisté le réalisateur, un film à petit budget (2, 5 millions d'euros) mené de façon alerte et tourné avec une équipe de lycéens d'un collège du 20ème arrondissement de Paris où le cinéaste a tenu pendant huit mois des ateliers afin qu'ils puissent répéter leur rôle (de composition). "Le film, précise-t-il, devait ressembler à la société française... avec des frictions que je n'ai pas cherché à gommer". Très métissée, cette classe d'un collège public est tenue par un prof, bon comédien, jeune homme parfois assailli de doutes, mais toujours intraitable sur les principes de l'école laïque et républicaine. "Entre les murs" a toutes les apparences du documentaire mais s'en éloigne par les respirations qu'il ménage entre les moments de tension et ceux de détente voire d'humour. A 47ans, Laurent Cantet, nouveau venu à Cannes, se voit consacré dès son quatrième film. Le premier, "Ressources humaines" (en 2000), avait montré toute l'acuité de son regard.

Cette première palme décernée à la France depuis 21 ans (la dernière étant celle de Maurice Pialat pour "Sous le soleil de Satan") revêt une portée symbolique. Avec ce film, promis à un grand succès populaire, tant du côté des adultes que des adolescents qui s'y reconnaîtront, le festival corrige son image d'élitisme. Et montre son aptitude à rester en prise avec la société. Le public pourra en juger au moment de sa sortie en salles, le 15 octobre 2008.

Autre film du Festival à la tonalité documentaire mais mené comme une fiction, "Gomorra", de l'Italien Matteo Garrone, a reçu le Grand prix du jury. Situé dans une cité d'une banlieue de Naples dont les habitants vivent sous l'emprise de la Camorra, il suit la trajectoire d'une dizaine de personnages, acteurs et/ou victimes de l'omnipotente maffia locale. Tiré du best-seller courageux du journaliste Roberto Saviano, "Gomorra", exempt de tout cliché, démontre par le vécu l'irrésistible attraction exercée par la "pieuvre", qui s'empare des êtres dès le berceau.

L'autre Italien présent dans la compétition, Paolo Sorrentino, a reçu lui le prix du jury pour "Il Divo", portrait baroque de l'homme politique Giulio Andreotti qui incarne le pouvoir depuis 40 ans.

Deux prix spéciaux du 61ème festival honorent des habitués de la Croisette jamais encore récompensés. Le premier à Catherine Deneuve pour son rôle dans "Un conte de Noël" du Français Arnaud Desplechin, fable psychanalytique tournée à Roubaix. La seconde au réalisateur américain souvent sélectionné à Cannes, Clint Eastwood, qui à 78 ans, est distingué pour son remarquable film historique "L'Echange".

Rare oeuvre de pure fiction à figurer parmi les 22 films en compétition, "Three Monkeys" du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, a reçu le prix de la mise en scène. Ce drame familial situé dans Istanbul, ville très photogénique, a la grandeur d'une tragédie antique.

Sans surprise, le prix d'interprétation masculine est allé à l'acteur Benicio del Toro qui s'investit complètement dans le rôle du "Che", film fleuve de Steven Soderbergh retraçant l'épopée du héros de la révolution cubaine. Moins attendu, mais tout aussi mérité, le prix de l'interprétation féminine à Sandra Corvelone pour son premier rôle dans "Linha de passe", du Brésilien Walter Salles. Elle y joue une mère enceinte dans une favela de Sao Paulo élevant seule ses quatre garçons.

Après deux palmes d'or (pour "Rosetta", en I999, et pour "L'enfant", en 2005) les frères Dardenne récoltent cette fois le prix du scénario pour "Le silence de Lorna", l'histoire d'une jeune émigrée albanaise qui pour accéder à l'Occident rêvé a passé avec un maffieux un marché sordide.

Enfin le prix de la caméra d'or, qui récompense un premier film, est allé en toute logique à "Hunger", film choc du plasticien Steve McQueen (présenté dans la section un Certain Regard), qui relate le combat pour leur dignité de prisonniers politiques de l'Ira en Irlande du Nord en 1981.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.