Le dandy guerrier

C'est un auteur paradoxal qui fait son entrée dans la prestigieuse Pléiade: Ernst Jünger, avant tout soldat allemand et capitaine de la Wehrmacht à Paris, a écrit un journal très littéraire. Le sabre et la plume.

Sa photo la plus connue le présente, la tête haute sur son cheval, défilant en uniforme de la Wehrmacht devant sa compagnie aux bottes rutilantes, rue de Rivoli à Paris en 1941. Car Ernst Jünger est avant tout un militaire, fier de l'être, tout en avouant ne pas beaucoup apprécier le totalitarisme nazi. Toute sa contradiction est là.

A 19 ans, brillant soldat des tranchées de la Somme, il est blessé 14 fois durant la Grande Guerre, devenant un de ces héros dont l'Allemagne, défaite mais revancharde, aime à entretenir la légende. Durant ces quatre années terribles, il rédige son journal et un "Orages d'acier" qu'André Gide considérait comme le plus beau livre écrit sur la guerre. Jünger obtient là sa plus belle médaille, la reconnaissance des intellectuels hexagonaux.

Il retrouve la France sous l'uniforme allemand et, même s'il a fait un (rapide) passage par le front de l'Est, il passe la Seconde guerre mondiale comme officier d'état-major au somptueux Majestic et loge au prestigieux hôtel Raphaël. Comme "horreur de la guerre", on connaît pire. Son combat consiste à censurer de nombreuses lettres, préparer activement l'invasion de l'Angleterre et superviser quelques exécutions.

Autant dire qu'il dispose de temps pour fréquenter restaurants et salons où il s'attarde avec Drieu, Montherlant, Morand, Cocteau, Jouhandeau, Guitry, Léautaud... Il séduit nombre de femmes - dont une (demi) juive qui lui fera même douter de son mariage et le 27 juin 1944, verre de Bourgogne à la main, sur la terrasse de son logis, il contemple avec délectation le bombardement de Paris.

Tout cela est narré avec élégance et détachement. Tout comme il affiche une distance, de plus en plus grande le temps passant, avec le régime nazi, au point qu'il se dit lié à ceux qui ont tenté d'assassiner Hitler, mais renonce à participer au nom d'un honneur désuet: "on ne se révolte pas contre l'ordre du monde", d'autant que désormais, il estime que la guerre n'est plus menée par l'humain que l'on peut maîtriser, mais par la technique devenue indomptable. Autant dire qu'il n'y a plus grand chose à espérer.

Le deuxième volume se termine en 1949. Depuis, Jünger, retiré dans son manoir près de Hanovre avec chats et herbiers, s'est mué en un élégant auteur modéré, inspiré de la Bible et de Goethe, pour décéder en toute sérénité, à 102 ans, en 1998.

Ernst Jünger reste un personnage paradoxal: ce guerrier flamboyant, apologiste du militarisme prussien, esthète insouciant d'un Paris occupé, écrivain élégant et devenu distant l'âge avançant, est plus estimé en France - Mitterrand s'en délectait - que dans son pays. Reste que, quand d'autres grands auteurs, moins controversés et souvent aussi talentueux, ne sont toujours pas dans la Pléiade, est-ce suffisant pour faire son entrée dans la plus prestigieuse des collections littéraires?

"Journaux de guerre", tome I, 1914-1918, tome II, 1939-1948 d'Ernst Jünger, La Pléiade, 870 et 1.376 pages, 100 euros les deux volumes.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.