Innover, c'est désobéir

Francis Pisani est chroniqueur indépendant, auteur, expert international en innovation, conférencier. Son site : francispisani.net.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.

Tout le monde veut innover. La plupart des entreprises sont convaincues de le faire. Et pourtant, le doute est permis : savons-nous ce qui distingue les innovateurs (individus et entreprises) des autres ? Ceux qui se posent sérieusement cette question liront avec intérêt « Le gène de l'innovateur » (Pearson), un livre écrit avec la participation de Clayton Christensen, auteur lui même du fameux « The Innovator's Dilemma » (Harvard Business Review Press).

Métaphore fatale

Reconnaissons d'abord que la métaphore est fatale. Pourquoi parler de gène (d'ADN dans le titre en anglais) si c'est une compétence qu'on peut développer, une pratique qu'on peut encourager ? Mais la lecture de l'ouvrage, qui vient de sortir en français, fournit un excellent cadre de réflexion et presque une feuille de route.

« Une des découvertes critiques de nos recherches est que notre habilité à générer des idées innovantes n'est pas totalement une fonction de l'esprit (mind), elle provient aussi du comportement (behavior) », expliquent les co-auteurs Jeff Dyer et Hal Gregersen. « Une bonne nouvelle qui veut dire qu'en changeant ce dernier, nous pouvons améliorer notre impact créatif » (les citations correspondent à ma traduction de l'original).

Quatre types d'innovateurs

Fruit d'une étude menée sur huit ans, le livre met en avant cinq qualités trouvées chez une centaine d'innovateurs allant de Jeff Bezos, d'Amazon, à Pierre Omidyar, d'eBay, sans oublier les patrons de boîtes qui bougent comme A.G. Lafley, de Procter & Gamble. Ils distinguent quatre types d'innovateurs : les créateurs de startups, ceux qui lancent des projets innovants dans les grandes entreprises, les « innovateurs produits » et ceux qui mettent en ?uvre de nouveaux processus. Business et technologies sont toujours intimement liés.

Tous ces gens-là mettent systématiquement en ?uvre cinq pratiques : ils observent, questionnent, maillent, expérimentent et font preuve d'une habilité surprenante à « connecter des champs, des problèmes ou des idées entre lesquels les autres ne voient pas de relations ».

« Faire bouger le schmilblick »

Le meilleur exemple nous est fourni par l'oeuvre de Steve Jobs lui-même, dans laquelle on retrouve toujours « (1) une question remettant en cause le statu quo, (2) l'observation d'une technologie, d'une compagnie ou d'un client, (3) une expérience ou expérimentation visant à tester quelque chose de nouveau ou (4) une conversation avec quelqu'un ayant attiré son attention sur une connaissance essentielle ou sur une opportunité ». C'est en procédant de la sorte qu'il aspirait à « laisser une éraflure dans l'univers », en bon français : « Faire bouger le schmilblick ».

Pour les entreprises, l'innovation est d'abord affaire de processus. Celles qui innovent « encouragent, la remise en question, l'observation, le maillage et l'expérimentation par leurs employés ». L'association d'idées se pratique dans les multiples formes de brain storming. Et tout dépend de l'attitude de la direction. Bezos demande aux candidats à l'embauche s'ils ont déjà inventé quelque chose. « Je cherche des gens qui croient qu'ils peuvent changer le monde » sans quoi innover a moins de sens.

"L'affaire de tous"

L'ensemble doit se retrouver dans « une culture qui encourage tout le monde à innover et à prendre des risques intelligents ». D'où l'idée que « l'innovation est l'affaire de tous » et pas simplement des labos ou des directions de l'innovation ». Pour les auteurs, « les dirigeants de haut niveau [...] doivent mener la lutte pour l'innovation en comprenant comment elle fonctionne en améliorant leurs propres capacités à découvrir et en affutant leur habilité à encourager les innovations des autres. »

C'est pour ça que les entreprises dans lesquelles la hiérarchie est sacro-sainte ont tant de mal à innover. Ce qu'un étudiant assistant à une de mes conférences à parfaitement compris dans ce résumé lapidaire : « Mais dans le fond, innover, n'est-ce pas désobéir » ?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 16
à écrit le 01/06/2013 à 20:16
Signaler
« Innover, c'est désobéir ». Et de donner comme exemples, Bezos, Omidyar, Lafley, Jobs. À qui ont-ils désobéi ?

le 03/06/2013 à 11:32
Signaler
Assez OK avec ce commentaire. Il y a des types (dont ceux cités) qui ont une idée et qui vont jusqu'au bout en devenant entrepreneurs, quitte à se ruiner - ou passer sur les pertes de leur sponsor - sur une idée foireuse. Et il y a des créatifs, qui ...

à écrit le 31/05/2013 à 16:29
Signaler
come disait mon boss, l'important nest pas d'avoir été le createur du hamburger, mais cest de faire le meilleur hamburger!

à écrit le 31/05/2013 à 16:27
Signaler
Il a raison! Les boss en France ont tendance a toujours voir les choses en noire, à ne pas prendre de risque, à brider leurs ingénieurs, au lieu de les encourager, d?être optimiste et de leur laisser un peu de liberté!

à écrit le 31/05/2013 à 14:02
Signaler
Stève jobs est symptomatique d'un créateur génial (pas inventeur, l'inventeur n'invente qu'un objet.) A l'époque de ses débuts il y avait des ordinateurs, des logiciels des fonctions, mais c'étaient des monstres en général une piece de 100 à 200 m². ...

le 31/05/2013 à 16:06
Signaler
Steve Jobs n'a rien d'un créateur génial, c'était un bon industriel qui a su repérer les bonnes créations des autres. Cela va des créations des génies du P.A.R.C. jusqu'au Macintosh qui était la création d'une équipe chez Apple et qu'il s'est "approp...

le 31/05/2013 à 16:28
Signaler
quant à Bil Gates il a tout pomper d'apple (notamment le dos)

le 31/05/2013 à 18:16
Signaler
@tony, Bill Gates n'a pas pompé le DOS chez Apple puisqu'il à racheté QDOS (pour Quick and Dirty Operating System) créé par une petite firme de Seattle, pour 50 000 $ et l'a amélioré petit à petit (lire Wiki). Par contre l'interface graphique Window...

à écrit le 31/05/2013 à 13:47
Signaler
Le concours Lépine , le système D , ce fut la gloire de la France , depuis lors ils ont inventé le principe de précaution avec les conséquences a tous les niveaux de la création que vous connaissez , la lenteur , la lourdeur Bref mieux vaut rester d...

le 31/05/2013 à 17:11
Signaler
Faut-il supprimer la loi sur le principe de précaution ?

à écrit le 31/05/2013 à 12:53
Signaler
Désobéir, sortir du cadre...avec des salariés s'abritant derrière des process et des méthodologies. Comment innover, sinon en étant un peu borderline (pas au sens psychologique) ?

le 31/05/2013 à 16:18
Signaler
Désolé, Bubu, les salariés ne "s'abritent" pas derrière des process etc. Le management leur impose de se conformer aux process sinon dehors. Un livre intéressant pour ceux qui ont envie de creuser "La société malade de la gestion" V. Gaulejac. (seuil...

à écrit le 31/05/2013 à 11:22
Signaler
L'innovation est en effet l'affaire de tous. Mais ne devrait-on pas remplacer dans le dernier paragraphe, "entreprise" par "organisation" et "hiérarchie" par "autorité" ?

à écrit le 31/05/2013 à 11:03
Signaler
Innover c'est d'abord une volonté farouche d'apprendre sans carcan, de s'informer rigoureusement, de structurer mentalement toutes les informations pour ensuite les combiner, les confronter, les opposer dans une logique interdisciplinaire. Innover c'...

à écrit le 31/05/2013 à 10:50
Signaler
Pour moi un expert est quelqu'un qui à des années de pratiques, pas quelqu'un qui enfonce des portes ouvertes.

le 31/05/2013 à 11:12
Signaler
C'est la fonction d'un conférencier: brasser de l'air devant un auditoire. L'innovation ne se trouve certainement pas dans la parole de pseudo-experts. Innover c'est parler moins et agir plus de manière cohérente et pragmatique.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.