Innover ne donne pas tous les droits

Vouloir changer le monde ne fait plus partie des pré-requis de la Silicon Valley. Aujourd'hui, il faut faire de l'argent, quitte à brader l'éthique... Par Francis Pisani, chroniqueur indépendant.
Les jeunes qui arrivent dans la Silicon Valley ne veulent plus devenir "milliardaires et changer le monde", mais seulement devenir riches, quitte à tout faire pour couler la concurrence...

Qu'en est-il de l'éthique siliconvallienne (un mot qui n'existe pas encore pour une qualité qui tend à disparaître)? Suscitée, entre autres, par les scandales qui entourent Uber, la "startup" qui fournit des voitures avec chauffeur à moindre prix que les taxis, la question commence à occuper bien des esprits.

Uber est une des entreprises à l'ascension la plus impressionnante de ces dernières années : créée il y a à peine 4 ans elle opère dans 230 villes dans 50 pays et pourrait, selon le Wall Street Journal, valoir bientôt 40 milliards de dollars.


Des pratiques agressives

Outre sa technologie qui lui permet de perturber l'univers fermé des taxis, ce qui nous enchante tous, Uber a pour qualité la rigoureuse mise en oeuvre de sa stratégie d'affaire.

Mais elle choque pour quatre raisons au moins : ses pratiques agressives face à ses concurrents (comme Lyft), son absence de politique sociale, son peu de respect des données de ses clients, et ses bagarres avec certains médias.

Il s'agit peut-être d'une dérive juvénile. Auquel cas il suffirait d'un Eric Schmidt (cet "ancien" engagé par les gamins de Google pour diriger la boîte pendant qu'ils faisaient leurs classes) pour faire rentrer Uber dans le droit chemin.

Mais cela tient plutôt à l'évolution de Silicon Valley. Les jeunes qu'elle attire ne sont plus de la même trempe que ceux qu'ont rencontrait il y a 15 ou 20 ans. Interviewé en 1996, Jerry Yang m'avait déclaré vouloir à la fois, "devenir milliardaire et changer le monde." L'immense majorité ne rêve plus que de faire fortune. Vite.

Des investisseurs résignés

Et les "adultes" du dispositifs, les capital-risqueurs, toujours aussi moutonniers, suivent le mouvement comme le souligne ce dialogue entre deux partenaires d'une des boîtes les plus importantes.

« Pourquoi soutenons nous ce type? C'est un connard, " demande l'ancien.

" Il va falloir que tu t'y fasses, la question n'est plus de savoir si quelqu'un est un trou du cul, mais s'il peut faire de l'argent. " lui répond le jeune.

Commentaire de l'homme d'expérience : "Avant ça n'était pas comme ça." Ce qui permet à Sarah Lacy, qui rapporte l'anecdote sur son site PandoDaily d'en conclure que Silicon Valley est maintenant la proie d'une "culture de connards".

AppÂt du gain

Moins violent et plus impressionnant, le Wall Street Journal estime qu'Uber est "le point d'aboutissement logique de la transformation progressive du secteur TIC". Les entreprises d'hier se voulaient "une force permettant d'améliorer la vie et, peut-être, de changer le monde. "  Dans un jeu "à somme nulle, " celles d'aujourd'hui se demandent " Qui devons-nous détruire pour nous enrichir nous et nos investisseurs, et quel est le meilleur moyen de créer un besoin des consommateurs qui facilitera cette quête? "

Dans un billet publié par le New York Times le jour de Thanksgiving, Nick Bilton écrit : " Je ne crois pas que la plupart des start-ups essaient d'être malveillantes et mauvaises (evil). Mais je pense qu'elles ont tellement soif de gagner qu'elles sont parfois prêtes à contourner les règles éthiques et à oublier que de vraies personnes sont affectées par leurs actions. "

" Le secteur de la technologie a besoin de changer, de se adapter au fait que ça n'est plus une industrie de startups, " s'inquiète Dave Winer, un des pionniers du web. " Nos produits sont utilisés partout. Ils sont les infrastructures, la culture, une partie de nos vies professionnelles et familiales, de nos vies intellectuelles, financières et émotionnelles. " Pour créatifs qu'ils peuvent être, "Nous ne sommes pas des dieux. Nous ne l'avons jamais été. Mais nous aimions entendre que nous l'étions. "

Les discipliner ?

Marc Andreessen, inventeur du navigateur pour web, devenu l'un des investisseurs les plus importants de Silicon Valley affirme :le software est en train de manger le monde, de l'organiser. Ça donne à ceux qui l'écrivent quelques responsabilités dont l'innovation ne les absout pas et que nous sommes en droit d'exiger d'eux.

S'ils ne l'acceptent pas il faudra bien, comme le suggèrent, à propos de la "sharing economy", Parag et Aisha Khanna, deux entrepreneurs américains installés à Singapour, les "discipliner".

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Commentaires 7
à écrit le 18/12/2014 à 5:46
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Les questions éthiques sont légitimes, mais ne doivent pas pour autant servir de prétexte à l'immobilisme. S'il est vrai que l'innovation ne donne pas tous les droits, elle est aujourd'hui un des rares critères mesurables de travail réel, dans une é...

à écrit le 17/12/2014 à 16:02
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Un lobby peu puissant... Les taxis ? C'est un mauvais exemple dans le propos. Tout n'est pas tout noir ou tout blanc : l'histoire des taxis en France est féodale, voire un système illégitime... Aujourd'hui c'est la fin. Il n'en reste pas moins que...

à écrit le 17/12/2014 à 9:38
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Tout l'art des startup predatrices consiste à s'attaquer à un lobby peu puissant. Comme les taxis. Uberpop est clairement hors la loi. Mais le lobby des taxis est trop faible pour se défendre.

le 17/12/2014 à 12:35
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Les taxis, un lobby peut puissant ? J ai ri :D eh, plus c est gros, plus ça passe hein ;)

le 17/12/2014 à 14:18
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Heu... C'est l'inverse plutôt : Toute la qualité des startups innovantes consiste à s'attaquer aux lobbies malfaisants et mafieux, comme les taxis. Le puissant lobby des taxis, si prompt à bloquer la capitale dès que l'on fait mine de toucher à ses p...

le 18/12/2014 à 1:17
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Fumer du caca tue... les neurones! ;-)

le 19/12/2014 à 19:54
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bonne fêtes Michel, t'es un gros marrant.

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