Le travail : conscience de soi ou conscience de l'autre ?

Cette année, comme en 2012, la problématique du travail s'est imposée dans les sujets de philosophie au Baccalauréat. Signe d'une société qui s'interroge désormais sur la place du travail dans nos vies. Et qui oublie parfois que la conscience de soi s'acquiert dans la relation à l'autre.
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"Le travail permet-il de prendre conscience de soi ?" Joli sujet que les Terminales S se sont vus proposés cette année à l'épreuve de philosophie du Baccalauréat. Déjà, l'an passé, les L avaient pu "plancher" sur "Que gagne-t-on en travaillant ?". A l'heure où la qualité de vie au travail devient un enjeu majeur pour les entreprises et où la question du travail s'invite de plus en plus souvent dans les médias, ce sujet de réflexion destiné à la jeunesse dit combien nous avons désormais à "penser le travail", selon la formule de Yves Clot .

Le travail détourne l'énergie de l'être pour l'amener à être uniquement dans le "faire"

Travailler, dit ce professeur au laboratoire de psychologie du travail du CNAM, c'est avoir le loisir de penser. Or si l'on reprend le principe cartésien, se penser, c'est être. Donc, oui, le travail permet de prendre conscience de soi. Au bémol près que les conditions dans lesquelles s'effectue le travail dans nombre d'entreprises ne permet justement plus de le penser, ni du coup de se penser. C'est bien le sens des propos d'Yves Clot sur ce qui fait aujourd'hui souffrance au travail. Car en multipliant des objectifs souvent trop chiffrés et parfois dénués de sens, le travail détourne l'énergie de l'être pour l'amener à être uniquement dans le "faire".

"Prendre conscience de soi", c'est se savoir différent des autres

"C'est empêcher le travail que de nous faire vivre sous une pression constante, à nous transformer en clients les uns des autres, à nous enchaîner à l'obsession de la rentabilité, du chiffre d'affaire, des statistiques", estime Christine Castejon, analyste du travail, docteur en philosophie. Car qu'est-ce que signifie "prendre conscience de soi" si ce n'est se savoir être différent des autres. Et en quoi et comment le travail peut nous permettre de nous sentir distincts quand il devient aliénation et oubli de soi, qu'il nous pousse à chercher les occasions de fuir le réel ? C'est le sens de la critique nietzschéenne sur la glorification du travail.

Des critiques de Nietzsche nuancées par les techniques du développement personnel

"Etes-vous complices de la folie actuelle des nations qui ne pensent qu'à produire le plus possible et à s'enrichir le plus possible ? Votre tâche serait de leur présenter l'addition négative : quelles énormes sommes de valeur intérieure sont gaspillées pour une fin aussi extérieure ! Mais qu'est devenue votre valeur intérieure si vous ne savez plus ce que c'est que respirer librement ? Si vous n'avez même pas un minimum de maîtrise de vous-même ? », interroge le philosophe. Ecrits en 1881 dans son livre Aurore, ces propos s'adresse à la société industrielle du 19e siècle en pleine période de croissance. S'ils gardent toute leur modernité dans notre société de consommation, ils doivent aussi être nuancés par les progrès qu'ont apporté la psychologie, la psychanalyse et les techniques de développement personnel qui ont permises aux individus de mieux se découvrir.

L'interaction nous en dit plus long sur nous-mêmes que tous les manuels psy

Mais c'est justement là où notre appétit de psychologie trouve aujourd'hui ses limites. A trop s'interroger sur nous-mêmes, à trop vouloir "ranger" ses congénères dans des cadres de personnalités bien définis, on en oublie combien l'interaction, la relation nous en dit bien plus long sur nous-mêmes que tous les manuels de psy. Car il n'est de conscience de soi que dans la relation aux autres. Et le travail est le lieu par excellence où la confrontation à l'autre a lieu. On en fait tous les jours, et parfois même difficilement, l'expérience, entre collègues ou dans les relations managériales.

Il est indispensable de travailler pour parvenir à l'estime de soi, selon Kant

Notre subjectivité se construit aussi à cette occasion en se confrontant aux obstacles ou aux épreuves qui vont la transformer. Dans la "dialectique du maître et de l'esclave", Hegel nous explique que l'existence d'autrui est indispensable "à l'existence de ma conscience comme conscience de soi". La connaissance de soi requiert donc la reconnaissance de soi par l'autre. La conscience va ensuite prendre conscience d'elle-même. Elle ne saurait le faire efficacement par l'introspection mais plutôt par l'action. Le travail pour Hegel est anthropogène c'est-à-dire qu'il fait de nous des humains. Mais pas seulement. Dans le travail, il y a ce désir d'être reconnu par un autre. Et d'y trouver, voire de s'y prouver, sa valeur. Ce qui rejoint la thèse de Kant selon lequel, il est indispensable de travailler pour parvenir à l'estime de soi.

Réaliser la conscience de notre altérité pour plus de solidarité et de bienveillance

A l'heure où le chômage prive de plus en plus les individus de travail et où la vie dans les entreprises se durcit, cette conscience de soi au travail nous est renvoyée comme une urgence. Une urgence à se saisir de ce sujet comme un enjeu de société. L'entreprise ne produit pas de la réussite si elle ne produit pas de la coopération, de la conscience de soi à travers la conscience de l'autre. Car ce que nous avons à « réussir », c'est un monde où se réalise la conscience de notre altérité pour plus de solidarité et de bienveillance entre les hommes. Un monde où le travail n'est pas seulement considéré en terme de salaires ou de gains, en terme de réussite sociale ou de carte de visite mais aussi et surtout de dignité et de fierté d'être à plusieurs responsables d'un "bel ouvrage".

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Commentaires 4
à écrit le 25/06/2013 à 7:37
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Posons nous plutot la question de la relation entre le travail et l'énergie;l'énergie favorise notre paresse ou nous oblige-t-elle à développer la connaissance pour l'utiliser?Nous ne sommes plus à l'age de pierre!

à écrit le 24/06/2013 à 23:54
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Ah bon? Les préparateurs de sujets du BAC sont représentatifs de la société? Hahahahahahahaa! Elle est bien bonne celle-là!

à écrit le 24/06/2013 à 21:32
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Merci SOphie Peters pour vos articles sur le travail. C'est grace a des personnes comme vous que le monde du travail sortira de l'age de pierre pour faire grandir l'humain.

à écrit le 24/06/2013 à 17:50
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bla bla bla d'esprit torturé.

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