Et si on inventait son propre travail...

Francis Pisani est chroniqueur indépendant, auteur, expert international en innovation, conférencier. Son site : francispisani.net.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.

A Cornellà, petite ville voisine de Barcelone, un laboratoire pour la ville de demain a été créé en 2002, le Citilab. Là, dans un centre consacré à l'emploi, on y incite les participants à partager compétences et connaissances et à créer des projets originaux et attractifs. En valorisant le travail, pas la création l'entreprise à tout prix.

Une vieille usine de briques rouges totalement remodelée

"Et si..." (traduction libre du fameux "What if ?" américain dont sont sorties tant d'innovations) nous nous trompions quand nous appelons sur tous les toits à créer des entreprises en France ? Entendons-nous : il en faut et on n'en créera jamais assez. Mais, en répétant cette conviction anglo-saxonne, nous nous empêchons peut-être d'atteindre des couches essentielles. Des réticences face à l'entreprise n'excluent pas la volonté, la capacité de créer son propre travail.
C'est à Barcelone ou, pour être plus précis, dans la ville voisine de Cornellà, que je l'ai compris, en visitant le Citilab, laboratoire pour la ville de demain. Le projet a commencé en 2002 et la vieille usine de briques rouges totalement remodelée dans laquelle il est installé a été inaugurée en 2007.

6.500 inscrits payent 3 euros par an pour cet accès

On y aide sportifs, musiciens et gamers à mieux utiliser les TIC. Le FabilyLab forme les gamins et leurs grands parents, sans oublier les chômeurs que les moniteurs aident à perdre la peur de l'ordinateur en créant des CV virtuels plus faciles à distribuer et à faire circuler. Sur les ordinateurs du Telecentro tout le monde peut venir consulter, surfer, tchater, faire ses devoirs ou les recherches qui s'imposent. 6.500 inscrits payent 3 euros par an pour cet accès.

Le c?ur innovant se trouve au LaborLab, entièrement consacré à l'emploi. On n'y aide pas à en trouver mais à en créer. Dans ce modèle, explique le site de CitiLab, "personne n'a besoin que quelqu'un lui donne un travail. Tous ceux qui participent apprennent à partager compétences et connaissances et à créer des projets originaux et attractifs".

"Monter des projets pas des business plan"

Voilà le mot clé : "projet". Ceux qui viennent les montent un à un et apprennent à les vendre. Ils avancent pas à pas. Aucun besoin d'être exhaustif. "Nous leur disons d'inventer leur travail en montant des projets, pas des business plan", m'a expliqué la directrice Roser Santamaria.
Ça n'a l'air de rien mais c'est peut-être un saut conceptuel dont une bonne partie de l'Europe gagnerait à s'inspirer.

Le contexte social y est pour beaucoup. Cornellà est le bastion des socialistes catalans et tire sa force d'une tradition ouvrière ancestrale, elle même issue d'une longue histoire d'artisanat. Depuis le Moyen-âge, rien n'est plus mis en valeur que l'effort. "Être sans travail est un drame" qui dépasse les besoins alimentaires, m'a expliqué Artur Serra, professeur d'anthropologie et l'un des fondateurs du Citilab. On touche là au terreau culturel qu'on n'ignore qu'à ses dépens.
"Mais il faut changer le chip et se mettre à innover", ajoute Serra. "Nous devons réinventer le travail".

Il est essentiel "de changer le sens du terme "travail""

On dit ça un peu partout et la réponse habituelle consiste à tout faire pour faciliter la création de nouvelles boîtes. Ça ne marche pas à Cornellà. "On y respecte le travail, pas l'entreprise", précise Serra. "Elle a mauvaise réputation". Mais pour que ça marche, il est essentiel "de changer le sens du terme "travail" et de lui donner une dimension innovante, créative". De lui redonner en fait si l'on pense à la tradition artisanale sur laquelle la Catalogne a construit une bonne partie de sa réputation depuis le Moyen-Age.

La municipalité elle-même s'est rendue compte qu'elle n'allait nulle part avec la seule création d'entreprises et soutien maintenant cette approche différente. "Nous aidons ceux qui viennent à créer des projets, à les développer, à les vendre", explique Serra. "Il s'agit d'extraire l'essence de ce qui fait la qualité de l'ingénieur ou du professionnel - le projet - et de le généraliser à l'ensemble de la population."

Trois leçons : 1) il faut créoliser les modèles venus d'ailleurs si l'on veut qu'ils réussissent ; 2) la lutte pour la préservation de ce à quoi on tient vaut moins que sa réinvention ; 3) ou, ce qui revient presque au même, on ne combat bien ce qu'on rejette qu'en se réinventant.

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Commentaires 11
à écrit le 20/06/2013 à 16:22
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Avec des si, on avance pas vite et auto-entrepreneur cela ne s'invente pas, rien que le mot suggère derrière la rentabilité , la créativité seule relève de l'utopie à moins de s'appeler Depardieu etc . Meilleure proposition et si on réinventait un tr...

à écrit le 20/06/2013 à 15:18
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Tout le monde ne peut pas être son propre patron ,l'auto-entreprenaria à ses limites, si cette solution peu marcher et marche à petite échelle c'est très bien. Mais quand on a 4 millions de chomeurs c'est juste utopique de croire que tout ceux-là pou...

le 20/06/2013 à 16:07
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@bob44: tout à fait d'accord, mais il faut recréer une ambiance d'entrepreneurs et c'est là que le bât blesse parce que 1 ) la majorité des gens a pris l'habitude d'être assistés et 2) l'establisment met des bâtons dans les roues à quiconque ose rele...

à écrit le 20/06/2013 à 12:42
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mdr en France avec des dirigeants qui n ont connus que la fonction publique dans leurs parcours professionnel, avec ce genre de proposition nous sommes en pleine utopie !! Rien que pour le régime de l auto entrepreneur, ils n ont pas pus s empêcher ...

le 20/06/2013 à 14:23
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Vous avez tout à fait raison. Tout ce qui n'est pas de l'ordre du contrat à durée indéterminée fait peur aux politiques français. Et le meilleur contrat pour eux, c'est celui de fonctionnaire bien sur !

à écrit le 20/06/2013 à 11:45
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C est amusant de parler d emploi quand la politique du gouvernement consiste en faire du chômage. On essaye de dissimuler les mauvais chiffres : on fait du public sur le déficit, des pré-retraités sans retraite, des jeunes en formation bidon qui ne m...

le 20/06/2013 à 12:33
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Et pendant tout ce temps la population continue sa progression démographique malgré la misère ambiante. Les politiques sont autant responsables que la population qu'ils sont sensés représenter. Personne ne vous oblige à faire des enfants!

le 14/08/2013 à 16:49
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Michel vous avez raison mais quand vous pouvez toucher en allocations diverses et variées mieux qu'un smic et encore beaucoup mieux que de se lancer autoentrepreneur ou créateur de TPE, beaucoup ont sauté le pas!!! et choisi de se reproduire pour tou...

à écrit le 20/06/2013 à 11:33
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Pisani enfonce des portes ouvertes en omettant toutefois l'élément principal, à savoir les barrières dressées par l'establishment pour devenir libre et indépendant !!!

le 20/06/2013 à 12:49
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C'est tout à fait vrai : il n'y qu'a voir du coté des paysans, qui pouvaient vivre en autonomie complète. Maintenant, ils ne le peuvent plus avec toutes les normes et les obligations qui leurs ont été imposées (pour le plus grand bénéfice de l'indust...

le 20/06/2013 à 14:21
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Effectivement, on a bien vu l'establishment socialiste à l'oeuvre avec la réforme des auto-entrepreneurs. L'un des principaux reproche était que même les AE qui gagnaient leur vie ne créaient pas d'entreprise...

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