Climat : quand l’hiver disparaît

Janvier a marqué le 24e mois d’affilée au-dessus des normales de saison. Sous l’effet du changement climatique, le froid perd du terrain.
À Gréolières (Alpes-Maritimes), le manque de neige en janvier perturbe le bon fonctionnement de la station de ski.
À Gréolières (Alpes-Maritimes), le manque de neige en janvier perturbe le bon fonctionnement de la station de ski. (Crédits : CHRISTIAN BELLAVIA / DIVERGENCE)

L'information peut sembler contre-intuitive. Malgré une dizaine de jours sous un froid mordant, janvier 2024 poursuit sur la lancée de 2023 en devenant le 24e mois d'affilée supérieur ou égal aux normales de saison. En moyenne, la température a été plus élevée de 0,6 degré par rapport à la période 1991-2020, calcule Météo-France. Selon les données de Meteociel compilées par l'agroclimatologue Serge Zaka sur X, plus de 150 records de chaleur ont déjà été battus depuis le début de l'année, contre un seul record de froid, avec -14,7 degrés le 19 janvier à Arras.

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On a pourtant grelotté ce mois-ci. Le 8 janvier, l'indicateur thermique national passait en dessous de zéro, une première depuis six ans. Jusqu'au 14 janvier, les températures à l'échelle hexagonale ont été de 3 à 6 degrés sous les normales. La neige et les gelées, quasi généralisées sur le territoire, ont été abondamment commentées. Et l'origine de ce flux d'air frais, appelé « Paris-Moscou », a nourri les superlatifs, entre « froid sibérien » et « froid polaire » ou encore « vague hivernale ».

Des frimas plus rares, moins rudes

En réalité, l'épisode était rugueux mais classique. Pas assez durable ni assez frisquet pour remplir les critères d'une vague de froid selon Météo-France, qui s'est bornée à évoquer une « petite séquence hivernale ». Ces frimas ont vite été contrebalancés par un redoux marqué, qui devrait se prolonger au moins jusqu'à la mi-février. « Depuis une grosse semaine, les températures s'établissent le plus souvent de 4 à 5 degrés, voire plus, au-dessus des normales de saison », indique Christine Berne, climatologue à Météo-France. Dès le 25 janvier, la barre des 25 degrés a été franchie dans les Pyrénées-Orientales et dans l'Hérault. « Ce qui est remarquable, ce sont des séries de journées avec des températures exceptionnellement douces », précise la chercheuse. L'observatoire du pic du Midi (Hautes-Pyrénées), à 2 877 mètres d'altitude, a ainsi enregistré un enchaînement inédit de six jours sans gelées.

Aurait-on oublié à quoi ressemble l'hiver ? « J'ai été surpris qu'on se soit autant alarmé de ce froid, alors qu'il s'agit d'une composante essentielle des hivers d'autrefois », commente François Walter, historien du climat et auteur du livre Hiver - Histoire d'une saison (Payot, 2014). Avant l'an 2000, les températures en France étaient recensées une année sur deux, rappelle sur X l'association de météorologues Infoclimat. « Au XX e siècle, il était courant d'avoir des hivers sévères, poursuit l'universitaire, avec un mercure en dessous de zéro pendant parfois plusieurs semaines. »

Les gens s'habituent à des températures plus élevées et à une biodiversité dégradée

Christine Berne, climatologue

Il faut dire que les hivers ont de plus en plus des airs de printemps, ou bien se réduisent à des frimas éphémères. « Depuis 2019, ils sont successivement plus chauds que la normale, relève Christine Berne. On n'a pas eu de saison vraiment froide depuis 2013. » Sous l'effet du changement climatique, « les hivers auront de moins en moins de caractères hivernaux », développe la climatologue : « Il y aura toujours une saisonnalité, mais moins de chutes de neige et de plaques de verglas. » D'après Météo-France, les vagues de froid se font moins intenses, moins fréquentes et moins longues, tandis que le nombre moyen de jours de gel par an a chuté de 28 % entre 1961-1990 et 1991-2020. Signe que les hivers froids appartiennent au siècle dernier : depuis 1900, les plus doux se sont tous produits ces vingt-cinq dernières années. À l'inverse, les dix hivers les plus rigoureux ont été observés il y a plus de cinquante ans. « Dans notre mémoire de la météorologie, on a perdu ces repères froids », relève Christine Berne. Résultat, la moindre bise nous semble glaciale. Redoutable pour la faune et la flore, qui perdent leur boussole, la douceur n'émeut plus, ou si peu. Peut-être parce que cette manifestation du dérèglement climatique est moins angoissante, presque agréable, suggère François Walter. « L'hiver était une saison redoutée pour ses caprices, ses dangers, argumente-t-il. Désormais, l'anxiété associée à cette saison se déplace de plus en plus sur l'été et ses canicules. »

Amnésie environnementale

Une perception déformée que les scientifiques étudient sous le nom d'« amnésie environnementale », concept forgé en 2002 par le psychologue américain Peter H. Kahn. La chercheuse Laura Juillard, doctorante au Muséum national d'histoire naturelle, rédige une thèse sur ce sujet. « On constate une amnésie personnelle - les gens s'habituent à des températures plus élevées et à une biodiversité dégradée - mais aussi une amnésie générationnelle, décrypte-t-elle. Pour les plus jeunes, le climat de leur enfance constitue la norme, alors qu'il était déjà affecté par le réchauffement planétaire. » La déconnexion à la nature alimente ce phénomène, ajoute-t-elle : « On passe moins de temps à l'extérieur, on prête moins attention aux conditions météorologiques. »

C'est cet oubli généralisé qui fait dire « C'est normal, c'est l'été » lorsque Paris tutoie les 40 degrés en juin. « Pour ma génération, enfant dans les années 1950, l'hiver était associé à la neige, se remémore François Walter. Cet imaginaire est en train de se déliter. L'hiver tel qu'on le connaissait a disparu. » Pour un jeune adulte d'aujourd'hui, au contraire, manteau blanc et bonhomme de neige appartiennent à la mythologie des téléfilms de Noël, quand prendre un café en terrasse sous le soleil de décembre n'a rien d'extravagant.

 La banalisation est même très rapide. Dans une étude parue en février 2019 dans la revue PNAS, des scientifiques ont établi que les habitants ont tendance à évaluer le caractère inhabituel de la météo par rapport aux deux à huit années précédentes, et non par rapport à l'ère préindustrielle, comme le font les climatologues. Par effet de répétition, ils remarquent moins les anomalies de température, en particulier les anomalies de chaleur, notent les chercheurs. Et d'utiliser la fable de la grenouille plongée dans une casserole qui se réchauffe peu à peu jusqu'à finir ébouillantée. Car l'amnésie est moteur d'inaction, avertit Laura Juillard : « Les études montrent que, lors-qu'on s'habitue à cette dégradation de notre environnement, on est ensuite moins enclin à le protéger. »

A retenir

+30 ans

Les quatre vagues de froid les plus longues et sévères observées l'ont toutes été il y a plus de trente ans

-13,9 °C

C'est la température emblématique de la période 1981-2000. Une vague de froid qui a duré quinze jours, en 1985, à Paris

Source : Météo-France.

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Commentaires 4
à écrit le 04/02/2024 à 12:03
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Ce qui est dramatique, c'est que l'on sait depuis des années que ce qui arrive était largement anticipé et qu'il a été continué dans les erreurs sans vouloir remettre en cause un système économique non durable. J'en prends à témoins pour exemple les ...

à écrit le 04/02/2024 à 10:04
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Une petite pensée a ceux qui ont paye très cher, voire se sont endettes pour faire une isolation par l'exterieur de leur maison, et qui se retrouvent avec un hivers ou il ne fait meme pas froid

le 04/02/2024 à 10:34
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🤣

à écrit le 04/02/2024 à 8:33
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J'en discutais avec une amie agricultrice qui me parlait d'une plante qui depuis 4 ou 5 ans se répand dans ses champs réduisant la qualité de son foin. Une très belle fleur mais nouvelle, l'arrivée de nouvelle flore et la disparition de nombreuses es...

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