Emplois verts : « Les viviers sont en train de se tarir »

Derrière un enjeu comme la transition énergétique se profile immédiatement le sujet des compétences, disponibles et à venir. En matière d’énergies renouvelables, la question de l’emploi était sur toutes les lèvres lors du Forum Energaïa qui s’est tenu les 14 et 15 décembre à Montpellier. Les filières sont déjà en tension sur certains métiers. L’appareil de formation est-il à la hauteur ? Les métiers sont-ils visibles ? L’intérêt des jeunes est-il suffisamment capté ?
Cécile Chaigneau
Les évaluations macroéconomiques de la stratégie bas carbone en France réalisées par l'Ademe montrent un solde positif de 540.000 emplois supplémentaires créés d'ici à 2030, qui pourrait atteindre 1  million d'emplois à l'horizon 2050.
Les évaluations macroéconomiques de la stratégie bas carbone en France réalisées par l'Ademe montrent un solde positif de 540.000 emplois supplémentaires créés d'ici à 2030, qui pourrait atteindre 1  million d'emplois à l'horizon 2050. (Crédits : DR)

Ce qui est bon pour la planète est-il bon pour l'emploi ? Sur le Forum EnerGaïa, qui s'est tenu à Montpellier les 14 et 15 décembre dernier, l'emploi était l'un des sujets stratégiques dont se sont entretenus les participants. Les entreprises du secteur peinent déjà à recruter, et se retrouvent en compétition entre elles mais aussi avec d'autres filières sur les métiers en tension. L'attractivité des métiers et l'adaptation de l'appareil de formation représentent désormais d'importants enjeux pour la filière.

Sur une conférence du Forum EnerGaïa, interrogeant « comment déployer le potentiel des emplois verts dans le domaine de la transition énergétique », Emmanuel Sulzer, sociologue et ingénieur de recherche au Département Travail, Emploi, Professionnalisation du Centre d'études et de recherche sur les qualifications (CEREQ), fait un peu de sémantique utile : « Un emploi vert, c'est tout ce qui se rapporte à la protection de l'environnement, et un emploi verdissant, ce sont tous les métiers qui intègrent des préoccupations environnementales. La nomenclature des Professions et catégories socioprofessionnelles (PCS, ndlr) compte aujourd'hui 12 PCS vertes et 70 verdissantes. Mais une révision du répertoire des métiers de Pôle Emploi est en cours, et prévoit de taguer les métiers stratégiques pour la transition écologique ».

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1 million d'emploi à horizon 2050

Selon les données 2022 (publiées en 2023) par l'observatoire national des emplois et métiers de l'économie verte (Onemev), les professions « vertes » comptaient quelque 140.000 personnes en France (soit 0,5% de l'emploi total), et les métiers « verdissants » 3,8 millions de personnes (soit 14% de l'emploi total). 41% se concentraient dans la production et la distribution d'énergie et d'eau, 36% dans l'assainissement et le traitement des déchets, et 23% dans la protection de la nature et de l'environnement. Enfin, 37% des emplois concernaient le bâtiment, 20% l'industrie, 20% les transports, 9% la R&D, et 6% l'agriculture et l'entretien des espaces verts.

L'Ademe mène, quant à elle, des études sectorielles « marchés et emplois » depuis 2008 sur les filières du transport terrestre, du bâtiment résidentiel et sur les énergies renouvelables et de récupération, et observe de fortes hausses d'emplois dans le ferroviaire, le biogaz ou la rénovation thermique des bâtiments.  Les évaluations macroéconomiques de la stratégie bas carbone en France réalisées par l'Ademe montrent d'ailleurs un solde positif de 540.000 emplois supplémentaires créés d'ici à 2030, qui pourrait atteindre 1 million d'emplois à l'horizon 2050.

Dans son rapport « L'Emploi : moteur de la transformation bas carbone » (décembre 2021), clé de voûte de son Plan de transformation de l'économie française, The Shift Project (groupe de réflexion sur l'atténuation du changement climatique et la réduction de la dépendance de l'économie aux énergies fossiles, cofondé et présidé par Jean-Marc Jancovici) indique que la décarbonation de l'économie entraînerait « une croissance nette de la demande de main-d'œuvre de l'ordre de 300.000 emplois à horizon 2050 », fruit de fortes créations (1,1 million) mais aussi de destructions d'emplois (800.000).

« L'hydrogène vert et bas carbone est un bel horizon, avec une estimation de 100.000 emplois en 2030 selon France Hydrogène, et ce sont des emplois durables et non délocalisables », ajoute Jean-Philippe Burtin, PDG de Borea, cabinet de recrutement parisien spécialisé dans les énergies renouvelables, depuis EnerGaïa.

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Métiers « pénuriques »

« La loi Climat et résilience amène de nouvelles obligations dans différents secteurs d'activité donc ce type d'emplois ne peut que se développer, affirme Emmanuel Sulzer. Dans le bâtiment notamment, France Stratégie estime qu'il manquera 170.000 à 250.000 emplois dans les prochaines années et que seulement 6% des entreprises du bâtiment sont en capacité de mettre en œuvre une rénovation performante ! »

La marche est haute... D'autant que la pénurie se fait déjà ressentir sur certains métiers. Une observation que fait notamment le recruteur Jean-Philippe Burtin : « Dans les énergies renouvelables, comme dans tous les secteurs, on est en tension car de nombreux projets se développent et parce que ce sont de nouveaux métiers. Trois profils sont particulièrement pénuriques : les profils liés au foncier - prospecteur, négociateur, développeur de business, c'est-à-dire celui qui va chercher du terrain pour implanter des projets -, les chefs de projet de développement photovoltaïque, une denrée rare, et les agents d'exploitation-maintenance ».

Valérie Poplin, directrice opérationnelle du Campus des métiers et des qualifications d'excellence, a une vision assez précise de la situation en Occitanie depuis la publication de l'étude « DiagTase » au printemps dernier (voir encadré) : « Les métiers de la filière photovoltaïque sont en forte mutation et il faut adapter les formations, avec une alerte rouge sur les métiers de l'installation et de la maintenance où l'offre de formation est insuffisante au regard des besoins à venir. Sur l'éolien flottant, les tensions portent sur les ingénieurs, les chefs de projet, mais aussi en production car l'Occitanie veut produire les flotteurs sur place donc elle a besoin de soudeurs par exemple. Et sur les réseaux intelligents, on a besoin d'ingénieurs dans des métiers émergents pour la filière, comme le traitement de la data, le design de services et produits, ou des métiers en lien avec sciences humaines et sociales ».

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Réviser les socles pédagogiques

« La Région Occitanie est engagée sur une trajectoire de première région à énergie positive, comprenant notamment la production d'énergies renouvelables, souligne Agnès Langevine, vice-présidente de la Région Occitanie, en charge du Climat, du Pacte vert et de l'Habitat durable. Mais certains métiers sont clairement en tension et ce sont des signaux d'alerte à prendre en considération pour réviser les socles pédagogiques mais aussi l'imaginaire, c'est-à-dire comment on se projette dans ces nouveaux métiers. »

Car il ne va pas de soi que les jeunes se précipitent vers ces métiers, même si la transition énergétique figure parmi les enjeux d'avenir identifiés par les jeunes générations.

« Il y a un gros effort d'information et de découverte de ces métiers à faire et de manière urgente, car les viviers sont en train de se tarir, ajoute Valérie Poplin. Une centaine de métiers pour faire la transition énergétique sont en cours d'identification et seront indiqués dès janvier sur le site de l'Onisep, mais pour attirer les jeunes dans ces formations, il faut multiplier les occasions de faire se rencontrer des professionnels et des jeunes cibles, et ce dès le collège, il faut être dans le concret, proposer de faire des gestes métiers, leur faire visiter des entreprises ou des chantiers. »

Et recourir aux influenceurs et aux réseaux sociaux, là où sont les jeunes.

Turn-over : 36 mois contre quatre ans

Une fois qu'on aura capté leur attention puis leur intérêt, il faudra encore prendre en considération leurs attentes en matière de conditions de travail, lesquelles ont bien évolué depuis la crise sanitaire.

« Il y a un avant et un après Covid », décrypte Jean-Philippe Burtin au vu de ce qu'il observe dans son cabinet de recrutement et que la plupart des employeurs ont expérimenté.

« Avant, le candidat s'intéressait à la rémunération, aux avantages. Aujourd'hui, sur les postes où c'est possible, s'il n'y a pas de télétravail, le candidat ne vient même pas à l'entretien. Par ailleurs, les candidats veulent des entreprises qui s'engagent et ils n'hésitent plus à appeler des salariés, par exemple, pour vérifier la réalité de ces engagements. Enfin, ils veulent un équilibre vie privée / vie professionnelle. Et en quatrième argument, vient le salaire », argumente-t-il.

Par ailleurs, les jeunes restent au mieux « trente-six mois dans la même entreprise, contre quatre ans avant le Covid », complète-t-il. Ce qui change beaucoup de choses : les dirigeants d'entreprises doivent anticiper énormément et être toujours en mouvement. « ll faut savoir, par exemple, que les chefs de projet sont sollicités deux fois par semaine minimum par un recruteur ! », clame le PDG.

La féminisation de la filière est également un sujet, avec, en arrière-plan, l'éternelle question de la déconstruction des représentations auprès des jeunes filles, en particulier sur les métiers de technicien de maintenance et métiers de la construction, « où le taux de filles et l'attractivité en général sont en berne ! », regrette Valérie Poplin.

Cartographie des besoins et des formations

Le diagnostic régional de formation DiagTase, publié au printemps 2023, a été porté par un consortium régional composé de l'Ecole nationale d'ingénieurs de Tarbes (ENIT), du pôle de compétitivité régional DERBI, du Campus des métiers et des qualifications d'excellence habitat, énergies renouvelables et éco-construction (CMQE-HEREC), et du campus des métiers et des qualifications de la transition énergétique (CMQ-TE). Elle dresse un panorama exhaustif des besoins de recrutement à l'horizon 2025 dans les filières du photovoltaïque, de l'éolien flottant et des réseaux électriques intelligents en Occitanie, doublé d'une cartographie des métiers et de l'offre de formation professionnelle régionale pour évaluer leur adéquation.

  • Photovoltaïque : 315 établissements recensés sont majoritairement présents en aval de la filière, sur des activités de construction-installation ou d'exploitation-maintenance. Le diagnostic prévoit une augmentation de près de 75% du nombre d'emplois de la filière entre 2021 et 2025, ce qui correspond à environ 1.750 emplois créés.
  • Eolien flottant : le scénario retenu, le plus ambitieux, prévoit une multiplication par six des emplois à horizon 2025. Soit la création de plus de 1.000 emplois en lien avec la fabrication et la construction des futurs parcs éoliens.
  • Réseaux intelligents : ils se trouvent plutôt à la croisée de plusieurs filières. Les réseaux intelligents représentent environ 1.900 emplois en 2022 en Occitanie. Une augmentation de l'ordre de 37% des emplois entre 2022 et 2025 est prévue.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 3
à écrit le 19/12/2023 à 8:07
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"L’appareil de formation est-il à la hauteur ? Les métiers sont-ils visibles ? L’intérêt des jeunes est-il suffisamment capté ?" Les salaires sont ils suffisants ? Les conditions de travail sont elles à la hauteur ? Voilà c'est complet comme ça. :-)

à écrit le 19/12/2023 à 6:28
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Pourquoi un jeune parierait sont avenir sur les énergies renouvelables ? Nous n'avons aucune souveraineté dans ces technologies.

à écrit le 18/12/2023 à 19:19
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La formation professionnelle est avant tout l'affaire des entreprises avec l'aide des régions , les financements existent et les diplômes également avec un premier pas avec les cqp -certificat de qualification professionnelle-

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