L'horizon se dégage-t-il enfin pour l'industrie européenne de l'éolien en mer ? Après les grandes difficultés rencontrées par les fleurons du secteur, tous secoués par l'inflation, la hausse des taux d'intérêt et les problèmes de qualité rencontrés dans la chaîne de fabrication, l'association WindEurope se montre désormais optimiste pour l'avenir de la filière européenne.
« Nous sommes en train de passer un cap. Vestas est repassé dans le vert et les autres turbiniers voient leurs résultats s'améliorer de trimestre en trimestre. Par ailleurs, nous observons à nouveau des investissements dans la chaîne de valeur », se réjouit Pierre Tardieu, responsable des politiques publiques au sein de l'association.
De fait, de nombreuses nouvelles usines devraient sortir de terre sur le Vieux continent au cours des prochaines années. Le groupe danois Vestas a ainsi annoncé la création d'une usine de pales, en plus de son site d'assemblage de nacelles en Pologne avec, à la clé, la création de quelque 1.700 emplois directs à l'horizon 2026. Windar Renovables et Baltic Towers prévoient, eux, d'ouvrir des halls de production de tours d'éoliennes offshore. De nouvelles capacités dédiées à la fabrication des fondations des turbines devraient également voir le jour aux Pays-Bas et au Royaume-Uni tandis que des nouvelles usines de production de sous-stations et de plateformes de conversion sont attendues en Allemagne, au Danemark et en Espagne.
Nouveaux investissements et appels d'offres revisités
L'association se réjouit également de la signature par 26 ministres de l'Energie de la charte européenne de l'éolien, qui reprend les 15 propositions du plan d'action de la Commission européenne, présenté en octobre dernier, lequel vise à préserver la compétitivité de la filière. Parmi les mesures phares : l'accélération de l'octroi des permis, mais aussi la volonté d'harmoniser la conception des appels d'offres afin de faire baisser le poids du critère prix. Jusqu'ici, celui-ci représentait 70% de la note, ce qui a mécaniquement fragilisé toute la chaîne d'approvisionnement pendant des années.
« Il est désormais gravé dans le marbre de la législation européenne que les appels d'offres doivent prendre en compte des critères non prix », souligne Pierre Tardieu.
Au menu : des prérequis pour candidater exigeant des normes rigoureuses en matière de cybersécurité ou encore de conditions de travail. D'autres critères, non prix, permettent, eux, de classer les projets sélectionnés. Ils sont notamment liés à l'impact environnemental et à la résilience des projets.
Si à aucun moment la Chine n'est directement mentionnée, le texte vise bien à écarter le spectre de cette menace qui pèse sur l'industrie européenne, alors que la quasi disparition de la filière photovoltaïque européenne reste dans tous les esprits. « Les faits sont implacables : en 2023, près de la moitié des 63,4 gigawatts (GW) de capacités installées dans l'éolien offshore dans le monde se trouve en Chine », pointe le cadre dirigeant d'un grand développeur européen. « Ces installations se font avec du matériel chinois en immense majorité. Ils ont une capacité de production colossale », ajoute-t-il.
Le spectre de la menace chinoise
Présente en Europe dans l'éolien terrestre avec quelque 2,7 GW de capacités installées sur le Vieux Continent, la Chine l'est encore peu dans l'offshore, mais pour combien de temps ? Il y a deux ans, le fabricant de turbines MingYang a installé sa première éolienne en mer en Italie. Plus récemment, le même géant chinois a noué un partenariat avec le britannique Opergy et d'autres entreprises chinoises se positionnent sur des études de faisabilité pour l'éolien flottant. « Les industriels chinois entendent mettre un pied dans les Balkans, en avant-poste de l'Union européenne », prévient également Pierre Tardieu.
Or, le prix d'une éolienne chinoise est aujourd'hui bien plus attractif qu'une éolienne fabriquée en Europe. Si aucun chiffre officiel n'est disponible, plusieurs acteurs du secteur estiment que la différence se compte en plusieurs dizaines de pourcents. « C'est une différence significative. Elle est à deux chiffres et largement supérieure à 10% », assure le dirigeant d'un énergéticien européen. De plus, les industriels chinois sont en mesure de proposer des facilités de paiement aux développeurs, comme la possibilité de payer trois ans après la livraison de la turbine.
« Les turbiniers chinois ont un avantage concurrentiel. Et, à notre sens, celui-ci trouve ses racines dans des pratiques qui ne sont pas compatibles avec une économie de marché », commente Pierre Tardieu.
Dans ce contexte, la Commission européenne a annoncé qu'en cas d'importations de turbines chinoises, elle veillerait de très près à ce que cela s'inscrive dans le cadre d'une concurrence libre et non faussée.
Fournisseurs et installateurs, toujours en difficulté
Si l'association WindEurope se montre confiante dans l'avenir de la filière grâce à cette série de mesures, d'autres acteurs et observateurs restent, eux, beaucoup plus réservés. Le PDG de Vestas Henrik Andersen, lui-même, a estimé que les difficultés continueraient à peser sur le secteur cette année, malgré de meilleurs résultats enregistrés au quatrième trimestre 2023. Et pour cause, l'inflation continue d'écraser les différents acteurs de la chaîne d'approvisionnement. Si les prix du gaz et de l'électricité ont chuté sur les marchés de gros, ce recul ne se reflète pas encore dans les contrats.
Or, « les éoliennes c'est avant tout de l'acier et du béton, dont les principaux coûts de production dépendent de l'énergie. La molécule de Naphta, à la base du matériau composite pour les pales, est, elle, produite à partir d'hydrocarbures », pointe Etienne Beeker, économiste de l'énergie à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et auteur d'une note sur ce sujet en octobre dernier.
« Les fournisseurs de sous-stations électriques et les installateurs perdent beaucoup d'argent en raison de la flambée des prix des matières premières et des combustibles. Certains sont dans des situations financières compliquées », rapporte le dirigeant d'un grand développeur européen.
Subventionner la production des fournisseurs européens
Selon lui, l'évolution de la conception des appels d'offres et le soutien aux investissements dans de nouvelles capacités industrielles demeurent insuffisants pour redresser la filière.
« Il faut pérenniser les usines déjà existantes et cela passe par des aides publiques à la production. Cela va à l'encontre de la philosophie de Bruxelles, très à cheval sur le libre-échange. Mais il ne faut pas être naïf, la Chine et les Etats-Unis subventionnent leurs fournisseurs locaux pour qu'ils puissent vendre moins cher. L'Union européenne doit sortir de son dogmatisme, sinon elle sortira perdante », estime-t-il.
Même constat outre-Rhin, un marché pourtant connu pour son attachement à la libre concurrence . « Il faut que Bruxelles subventionne les industriels de la supply chain. Le Net zero industry act (NZIA) reste bien trop timide. L'Europe risque d'être le dindon de la farce », abonde un cadre dirigeant d'un grand énergéticien allemand. Sans une intervention de Bruxelles, comment l'usine de Siemens Gamesa au Havre, qui produit les pales et nacelles des futurs champs éoliens offshore français, restera-t-elle compétitive face aux industriels chinois s'interroge-t-on dans le secteur ?
Figer la taille des éoliennes ?
D'autres observateurs estiment que l'industrie doit absolument mettre un terme à la course au gigantisme. Pour avoir un ordre d'idées, les éoliennes installées au large de l'Europe affichent aujourd'hui une puissance moyenne de l'ordre de 10 MW, contre seulement 2 MW il y a 20 ans. Des turbines pouvant atteindre 15 MW seront très prochainement disponibles sur le marché.
« Il y a une vraie bataille entre les constructeurs, mais il faut figer la taille des éoliennes », estime Etienne Beeker. « En faisant des éoliennes toujours plus puissantes, le projet devient certes plus intéressant économiquement, mais, de l'autre côté, vous ne profitez pas d'une certaine standardisation qui permet de générer des économies d'échelle », poursuit-il.
Comment mettre fin à cette schizophrénie ? Standardiser via une régulation serait trop dangereux pour l'innovation, estiment certains développeurs. Mais, comment des fabricants concurrents pourraient, de leur propre initiative, trouver un consensus ? Selon plusieurs observateurs, cette course devrait finir par s'arrêter naturellement, alors qu'en Chine les rotors atteignent déjà 300 mètres de diamètre, soit peu ou prou la taille de la Tour Eiffel. Des éléments qu'il faut ensuite pouvoir accueillir sur les ports et les bateaux et qui se heurteront forcément à une limite.
Des objectifs décorrélés des capacités industrielles
« L'éolien en mer est un projet global. Cela concerne l'aménagement maritime, la sidérurgie, les composites, la question du raccordement et des réseaux et l'organisation du marché de l'électricité. Or, la politique européenne fixe des objectifs de déploiement mais en les décorrélant des capacités industrielles », déplore Etienne Beeker.
Pour atteindre l'objectif très ambitieux de 425 GW à l'horizon 2030 que s'est fixée l'Union européenne, les Etats membres devront ajouter 24 GW de nouvelles capacités par an entre 2027 et 2030, selon les estimations de WindEurope. Aujourd'hui, la supply chain européenne ne peut en produire que 7 GW par an... Produire en masse devrait permettre de faire baisser les coûts et donc jouer en faveur des industriels européens. Encore faut-il s'assurer d'une certaine stabilité et visibilité, lesquelles ne sont pas vraiment au rendez-vous : début février, le géant danois Orsted, secoué par l'annulation de plusieurs projets américains, a annoncé renoncer à tout projet d'éolien offshore en Norvège, Espagne et Portugal, ainsi que la suppression de 600 à 800 postes.
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