Y aura t-il suffisamment d'espace dans les zones portuaires pour entreposer les centaines d'éoliennes marines que la France veut voir sortir des flots au nom de la transition énergétique ? La question est devenue brûlante depuis que le président de la République a annoncé le déploiement de 50 GW (gigawatts) de capacités au large de nos côtes à horizon 2050. Soit pour ce qui concerne les seuls ports, quelque chose comme 4.000 mâts et 12.000 pales à stocker, assembler puis transborder à bord des navires installateurs. Même étalé sur une période de 25 ans, le défi a quelque chose d'herculéen.
Plus vite, plus haut, plus fort
Pour s'en faire une idée, il faut avoir en tête les dimensions proprement hors normes de ces aérogénérateurs dont la taille ne cesse de croître, à mesure que les constructeurs recherchent des gains de puissance unitaire. Pour exemple, l'usine LM Wind de Cherbourg s'enorgueillissait en 2019 d'avoir fabriqué sa première pale de 107 mètres, « la plus longue du monde ». Depuis la filiale de General Electric a été distancée. L'an dernier, le chinois LZ Blades a produit une pale longue de 123 mètres et certains constructeurs évoquent maintenant la possibilité d'atteindre les 140 mètres. Soit une fois et demie la longueur d'un terrain de football.
Le gigantisme vaut également pour les éoliennes flottantes, une spécialité dans laquelle la France se flatte d'avoir un train d'avance. De format triangulaire, le seul flotteur de l'une de ses machines mesure jusqu'à 100 mètres de côté (pour 45 de haut). C'est dire si la technologie risque, elle aussi, d'être gourmande en espace comme on l'a déjà entrevu à Fos-sur-mer où ont été assemblées les trois premières fondations flottantes du parc dit Provence Grand Large.
Cherbourg, place forte des EMR
La course à l'hectare qui se profile concerne, au premier chef, le port de Cherbourg qui s'est fait une spécialité des énergies marines. Au milieu des années 2010, la Région « Basse » Normandie à l'époque et le Département de la Manche décident de jouer la carte des moulins à vent marins, bien que les projets français restent désespérément encalminés. Elles investissent 85 millions d'euros (dont 60 empruntés à la BEI) pour gagner une quarantaine d'hectares sur la mer, dévier des réseaux, aménager des terre-pleins et construire un quai « lourd » capable de supporter entre 15 et 50 tonnes par mètre carré. Dix fois la portance d'un quai classique. Bref, le port du Cotentin, alors en baisse de régime, devient éolien friendly.
« Rares sont nos homologues européens qui disposent d'un environnement aussi favorable à cette industrie », vante Jérome Chauvet, directeur du développement. Le pari des collectivités se révèle gagnant, quoique plus tardivement qu'espéré. En 2018, le LM Wind s'implante sur la pointe du Cotentin. En croissance exponentielle, elle occupe désormais une vingtaine d'hectares et emploie 800 personnes. A partir de 2021, l'américain est rejoint par d'autres acteurs de la filière. Les éoliennes des parcs de Saint Brieuc et de Fécamp fabriquées chez Siemens Gamesa au Havre ont été assemblées et expédiées depuis Cherbourg vers leurs destinations finales. Ce sera bientôt le cas pour les fondations du parc du Tréport. Aux dernières nouvelles, des Britanniques y convoitaient aussi des espaces pour servir leurs projets de l'autre côté du channel.
Un port bientôt à l'étroit ?
Malgré ce redimensionnement, le port normand pourrait se retrouver à l'étroit dans quelques années. En cause notamment, le déploiement des deux « gros » parcs (Centre Manche 1 et 2) programmés au large des côtes du Cotentin pour lesquels il devrait être très sollicité. « On saura probablement faire pour le premier mais je doute que nous ayons assez de place pour le second en raison du faible intervalle de temps prévu entre les deux », s'inquiète par avance Philippe Deiss, son directeur. D'autant que pointent simultanément à l'horizon les deux projets de fermes hydroliennes du raz Blanchard : une technologie remise récemment sur le devant de la scène par Emmanuel Macron... mais dont les turbines géantes sont, elles aussi, gourmandes en foncier. Les acteurs concernés (Hydroquest et Normandie Hydroliennes) prévoient, en effet, tous deux d'installer leur base industrielle sur la pointe du Cotentin si le vent tourne en leur faveur.
Dans ces conditions, le port qui a été sélectionné par l'Ademe pour bénéficier d'un programme d'adaptation sur l'éolien flottant, doute de pouvoir y donner suite. « Ce qui est sûr, c'est que nous donnerons priorité aux projets normands », souligne son patron. Quant à investir pour gagner de nouveau sur la mer, l'intéressé l'exclut à ce stade. « Pour s'y risquer, il faudrait que nous ayons l'assurance d'avoir de l'activité pour 60 ans, rappelle t-il. En outre, il est illusoire d'espérer faire porter ce poids sur les collectivités qui ont déjà fourni beaucoup d'efforts ».
Le problème ne se pose d'ailleurs pas qu'à Cherbourg. Un peu plus à l'Ouest au Havre, le turbinier Siemens Gamesa, dont l'usine a été mise à feu voilà un an et demi sur un terrain de 36 hectares, s'est déjà mis en quête de « 4 hectares supplémentaires à des fins de stockage », indiquait il y a peu Frédéric Petit, son président pour la France.
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