Et rebelote. Après avoir été déjà consultés dans le cadre d'une concertation nationale sur le futur mix énergétique de la France, lancée fin 2022 par le gouvernement, puis à l'occasion d'un débat sur le nouveau programme nucléaire, initié par la Commission nationale du débat public (CNDP) quelques semaines plus tard, les Français qui le souhaitent vont, de nouveau, être sollicités par les pouvoirs publics pour donner leur avis sur l'avenir énergétique du pays.
Vendredi dernier, Matignon a, en effet, annoncé le lancement d'une « grande consultation » sur la stratégie énergie et climat de la France, sous l'égide de la CNDP. Celle-ci portera « sur l'ensemble des deux plans, à la fois PPE (programmation pluri-annuelle de l'énergie) et SNBC (stratégie national bas carbone) », a indiqué l'entourage du Premier ministre à la presse, au lendemain d'une réunion au cours de laquelle le Premier ministre Gabriel Attal a fait cette annonce aux ONG environnementales.
Concrètement, la nouvelle PPE doit dessiner la feuille de route énergétique de la France en détaillant la répartition des différentes sources d'énergie nécessaires pour répondre à la demande future. Autrement dit, il s'agit de fixer des objectifs concrets jusqu'en 2035 pour le développement de chaque filière (photovoltaïque, éolien, nucléaire, biomasse, etc). La SNBC, elle, consiste à fixer les trajectoires d'émission du pays secteur par secteur sur la période 2024-2038.
Une énième consultation qui fait grincer des dents
Si elle fait grincer les dents de nombreux acteurs du secteur, qui dénoncent, comme l'Union française de l'électricité (UFE), une « énième consultation alors que les débats ont déjà eu lieu X fois », et l'incapacité de l'exécutif à prendre « des décisions », cette annonce n'est pas une surprise en soi. Bruno Le Maire, le super patron de Bercy, avait déjà préparé les esprits à une nouvelle consultation lors d'un déplacement à La Hague (Manche), consacré aux questions énergétiques, le 7 mars dernier.
« Je souhaite que les Français aient leur mot à dire, avait-il lancé en faisant référence aux objectifs de la France en matière d'énergies renouvelables et de nucléaire. On ne prend pas de décision en chambre [...]. Nous allons ouvrir ce débat dans les semaines qui viennent, puis nous verrons sous quelle forme nous traduirons ces conclusions. »
Beaucoup y avaient déjà vu une énième pirouette du gouvernement censé légiférer depuis de long mois sur la programmation énergie et climat de la France. Et pour cause, les objectifs en question, déjà actés par Emmanuel Macron début 2022 dans son discours de Belfort, devaient faire l'objet d'une loi dite de « programmation » avant... août 2023. Il s'agissait en effet d'une obligation légale, d'ailleurs déjà évoquée par le même Emmanuel Macron en novembre 2019. Or, non seulement ce rendez-vous n'a pas été honoré à temps, mais, depuis, les promesses sont tombées les unes après les autres : tandis que l'ex-Première ministre Élisabeth Borne mais aussi l'ancienne ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher avaient assuré début janvier qu'il s'agirait de l'un des premiers textes examinés en 2024, celui-ci avait finalement été reporté... avant que Bercy ne décide donc, finalement, de remettre le compteur à zéro.
L'impossible consensus
« De nombreuses consultations ont déjà eu lieu. La concertation nationale [lancée fin 2022, ndlr] avait été de très bonne qualité. Elle s'était notamment matérialisée par un tour de France et le forum des jeunesses. Il y a eu le rapport de la CNDP. Puis, en 2023, les débats sont repartis avec les consultations auprès des experts des différentes filières. A ce moment-là, déjà, on se demandait si ce n'était pas la consultation de trop. Depuis, le gouvernement a aussi lancé les COP régionales », énumère Nicolas Goldberg, expert Energie chez Colombus Consulting, qui constate « une certaine fatigue », parmi les acteurs du secteur face à un « éternel débat ».
En l'état, c'est un autre débat que l'exécutif cherche à éviter : celui avec les parlementaires, alors qu'il se trouve en majorité relative à l'Assemblée nationale. Et pour cause : une grande partie de la gauche entend diminuer le poids du nucléaire tandis que la droite se refuse au développement massif du renouvelable. Il s'agit donc, pour Bercy, de trouver la parade afin de gagner du temps. « Il est aussi probable que le gouvernement n'ait pas envie de trancher avant les élections européennes », relève Nicolas Goldberg, qui voit également cette consultation comme une manière « pour les nouveaux ministres de s'approprier ces sujets », après le remaniement.
Consulter les Français, pour mieux faire passer les décrets ?
In fine, le gouvernement essayera sans doute de faire passer l'essentiel des objectifs par voie réglementaire ; il ne faut pas être dans le « fétichisme législatif », expliquait une source proche du dossier. Or, si porter une telle loi devant les parlementaires est très risqué politiquement, passer toutes ces dispositions via des décrets, sans débats au préalable, l'est tout autant, pointe l'expert. Consulter directement les Français sur ces questions permettrait donc de limiter les critiques de l'opposition, mais aussi des ONG environnementales.
« Ce qu'on attend maintenant c'est un portage politique de cette consultation par le Premier ministre et qu'il y ait un engagement à en tenir compte dans les documents finaux », a commenté auprès de l'AFP Anne Bringault, responsable transition énergétique du Réseau action climat.
Selon un autre source proche du dossier, le gouvernement souhaiterait, cette fois-ci, organiser un débat « renforcé » afin de toucher un public bien plus large et non uniquement des initiés, et ce, alors qu'au sein de l'exécutif, certains membres se montrent critiques quant à l'efficacité des débats organisés par la CNDP.
La CNDP critiquée
« La critique me paraît justifiée », reconnaît, auprès de La Tribune, Michel Badré, qui a piloté le débat public portant sur le programme des six nouveaux réacteurs nucléaires. « Entre 70 et 80.000 personnes ont été touchées, ce qui fait peu au regard de la totalité de la population française », admet-il. « Mais il ne faut pas oublier à quoi sert un débat public. Il ne s'agit pas de savoir si les Français sont pour ou contre la construction de nouveaux réacteurs. On peut organiser un référendum ou un sondage pour cela. L'exercice consiste davantage à pointer les questions que soulève un tel projet et les réponses apportées par la puissance publique », estime-t-il.
Selon lui, la nouvelle consultation promise par Gabriel Attal n'est pas un bis repetita. « La concertation nationale sur le mix énergétique avait été peu utile car le gouvernement n'apportait aucune donnée concrète sur les voies privilégiées par l'exécutif et les alternatives possibles. Les Français devaient donc réagir à partir d'une feuille blanche », argue-t-il aujourd'hui. Quant au débat public sur le programme de six nouveaux réacteurs nucléaires, « celui-ci ne permettait pas de répondre à la question de l'opportunité d'un tel programme, c'est-à-dire de savoir s'il était réellement nécessaire de construire de nouvelles capacités nucléaires, puisque les décisions de politique énergétique générale n'avaient pas été prises en amont », poursuit-il. C'est ce sur quoi devrait justement porter la nouvelle consultation promise par le gouvernement Attal.
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