Loi « souveraineté énergétique » : Bercy à la recherche du consensus impossible

Alors que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, souhaitait retirer du projet de loi « Souveraineté énergétique » les orientations de la France sur les renouvelables et le nucléaire tant le sujet s’avère miné politiquement, le nouveau ministre délégué à l’Energie, Roland Lescure, affiche un nouvel agenda. Celui-ci entend en effet consulter les parlementaires de l’opposition afin de trouver une « voie de passage », quitte à retarder l'examen du texte. A moins qu’il ne cherche simplement à gagner du temps…
Marine Godelier
« Il n'y a pas d'urgence », a affirmé, dimanche, Roland Lescure.
« Il n'y a pas d'urgence », a affirmé, dimanche, Roland Lescure. (Crédits : Reuters/Gonzalo Fuentes)

A quoi le gouvernement joue-t-il ? Plus les semaines passent, plus ses intentions en ce qui concerne la stratégie énergétique de la France s'obscurcissent. Après avoir promis qu'il présenterait le projet de loi « Souveraineté énergétique » « avant juillet 2023 », l'échéance avait glissé à « fin janvier 2024 » il y a quelques semaines puis « au premier semestre de l'année », selon Bercy... jusqu'à ce que le nouveau ministre délégué à l'Industrie et à l'Energie, Roland Lescure, n'évoque ce dimanche un texte présenté « dans l'année », probablement au « second semestre ». Un énième rebondissement dans la séquence incompréhensible des cinq dernières semaines.

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« Il n'y a pas d'urgence », a en effet affirmé dimanche sur le plateau de France 3 celui qui a récupéré l'énergie dans son portefeuille depuis le 8 février. Et ce, alors même que la loi obligeait l'exécutif à légiférer sur le sujet avant l'été 2023.

« On va reconsulter tout le monde, les associations, les syndicats, les producteurs, les élus [...] et les parlementaires [...], pour s'assurer qu'on ait une bonne feuille de route [...] Nous avons besoin de tous et de tout », a-t-il ajouté hier à Marcoussis, dans l'Essonne, à l'occasion de son premier déplacement dans la plus grande centrale photovoltaïque d'Ile-de-France.

Pour rappel, le but de ce texte est de mettre le Parlement au cœur des discussions sur la transition énergétique pour graver dans le marbre les grandes orientations du pays en la matière. Alors que le gouvernement ne bénéficie pas d'une majorité absolue à l'Assemblée et au Sénat le ministre dit vouloir s' « assurer qu'il y ait une voie de passage possible » pour ce texte au Parlement. Et pour cause, une grande partie de la gauche entend diminuer le poids du nucléaire tandis que la droite se refuse au développement du renouvelable. Selon nos informations, le ministre délégué à l'Industrie et à l'Energie rencontrera ainsi des députés de l'opposition dès ce jeudi afin d'échanger sur la question.

Agnès Pannier-Runacher était prête, selon son entourage

Roland Lescure tente-t-il ainsi de tracer une troisième voie, différente de celle de sa prédécesseure, Agnès Pannier-Runacher, mais aussi de Bruno Le Maire, dont il dépend ? Alors que début janvier, la première souhaitait faire voter cette loi le plus vite possible, persuadée qu'un accord était possible avec les parlementaires, le second avait freiné des quatre fers après avoir repris le flambeau le 12 janvier dernier, bien décidé à vider le texte de sa substance pour éviter son détricotage par l'opposition.

Avant d'être écartée, Agnès Pannier-Runacher était pourtant « prête » à le soumettre aux parlementaires grâce à une stratégie bien rodée, affirme aujourd'hui son entourage : dans la première version du projet de loi qui devait être présentée en Conseil des ministres fin janvier, les objectifs ambitieux de l'exécutif sur les énergies renouvelables (dévoilés par Emmanuel Macron en février 2022 à Belfort) n'étaient pas directement inscrits.

L'objectif : « les laisser arriver par amendement lors du débat, puis les garder en se mettant dans une position d'équilibriste entre la droite et la gauche », explique une source proche du dossier ayant requis l'anonymat. D'où un texte à l'origine déséquilibré en faveur du nucléaire, « afin que les députés et sénateurs se chargent eux-mêmes de trouver un juste milieu au fil des discussionsplutôt que de les laisser bloquer le tout dès l'origine à cause de l'opposition majoritaire aux renouvelables », ajoute-t-on.

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Mais dès le remaniement et le passage de l'énergie à Bercy mi-janvier, Bruno Le Maire s'était montré beaucoup plus prudent. Après avoir supprimé tout le titre Ier concernant la stratégie énergétique, celui-ci avait convoqué dès la fin du mois plusieurs députés de son groupe pour les « calmer sur l'énergie » et les notifier de son intention de « passer moins par la loi », avaient témoigné plusieurs d'entre eux. « Le sujet, ce n'est plus si Bercy va enterrer le texte, mais la méthode d'inhumation », avait alors lâché l'un des parlementaires présent à La Tribune. Un « manque de courage politique » pour certains, du simple « pragmatisme » selon d'autres.

« Bruno Le Maire veut pas prendre de risques. Dès que vous parlez d'éoliennes avec LR, ils répondent qu'ils ne voteront pas, et c'est pareil avec une bonne partie de la gauche sur le nucléaire. A ce stade, il nous a donc fait comprendre qu'il y a plutôt une volonté de la part du gouvernement de ne pas avoir de volet programmation dans la loi, ni aujourd'hui ni demain », glissait il y a quelques jours un autre député à la table.

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Avancer ou noyer le poisson ?

Dans ces conditions, Roland Lescure parviendra-t-il réellement à sauver le texte, ou s'efforce-t-il simplement de gagner du temps, alors que parlementaires et ONG s'impatientent ? L'idée d'une nouvelle vague de consultations peine, en tout cas, à convaincre. « Le gouvernement précédent a déjà effectué de nombreuses consultations, certaines avec des parlementaires », réagit-on à l'Union française de l'électricité (UFE).

« Nous pensons qu'il n'y aura pas de loi de programmation, et que le gouvernement prendra des mesures réglementaires là où il estime qu'il ne peut pas y avoir de consensus politique », ajoute-t-on au sein d'une association professionnelle du monde de l'énergie, qui ne souhaite cependant pas communiquer publiquement.

« Je ne vois pas en quoi il sera plus facile de faire voter le texte dans six mois. Ce sera même pire », renchérit auprès de La Tribune un député de la majorité.

D'autant que Roland Lescure, s'il cherche à garder la face, n'a toujours pas démenti nos informations selon lesquelles Bercy souhaite également alléger considérablement le chapitre du projet de loi portant sur la régulation des prix de l'électricité payés par les consommateurs. Là aussi, selon de nombreuses parties prenantes, pour éviter une découpe par l'opposition parlementaire de l'accord signé entre EDF et l'Etat en novembre dernier.

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Marine Godelier

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Commentaires 5
à écrit le 14/02/2024 à 10:37
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On lui a confié l'Energie parce qu'il en manque pour l'Economie... et surtout pour faire des coupes dans les dépenses, alias des économies.

à écrit le 14/02/2024 à 9:38
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A une époque quand les caisses du royaume étaient en danger on exécutait quelques créanciers sur la place publique et soudainement elles retrouvaient des couleurs ! Oui c'était mieux avant au moins pour ça.

le 14/02/2024 à 14:31
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Macron ne mettra pas au piloris Sarkozy qui a vendu EDF pour renflouer ces caisses. D’ailleurs Macron pratique la même politique que son mentor Sarkozy et le retrouvera devant les tribunaux en 2027. C'est pareil Sarkozy condamné par la justice ce jou...

à écrit le 14/02/2024 à 9:12
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On devrait appeler cela, Loi de la poursuite du détricotage de la « souveraineté énergétique » car elle fût et ne sera plus ! La recherche permanente de consensus ne sont que des excuses !

à écrit le 13/02/2024 à 19:12
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Lorsqu'un gouvernement pilote l'économie à coups de sophismes (d'aucuns diront la propagande) - en cherchant à mettre systématiquement la charrue avant les bœufs - il ne faut pas venir s'étonner ensuite d'embrasser le mur des réalités 😉

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