[Article mis à jour le 17/10/2023 à 20:08]
C'est une « grande victoire française », selon l'Elysée, après des mois de débats acharnés sur la régulation du nucléaire, au cœur d'une bataille entre Paris et Berlin. Mardi 17 octobre, lors d'un conseil réunissant les ministres de l'énergie de chaque pays, les Etats européens se sont enfin entendus sur la réforme du marché de l'électricité, qui vise à réduire la facture des ménages et des entreprises tout en évitant des distorsions de compétitivité entre pays membres.
« Nous resterons ici le temps nécessaire. La nuit s'il le faut », avait prévenu la ministre espagnole de l'Energie et présidente du Conseil, Teresa Ribera, à l'ouverture de l'événement. Finalement, celui-ci n'aura duré que quelques heures de plus que prévu : un peu avant 18 heures, un accord a été annoncé, sous les applaudissements des Vingt-Sept.
« Contrôler » les prix de l'électricité
Si le sujet peut sembler technique, ses enjeux s'avèrent immenses, notamment pour la France. Car ce nouveau texte devra lui servir de cadre pour « contrôler » les prix de son électricité, afin qu'ils ne soient pas soumis à la volatilité du marché, comme voulu par Emmanuel Macron. Et plus précisément pour réguler les tarifs de son parc nucléaire, qui compte pour 70% du mix électrique du pays, alors que le système existant, l'ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire), tire sa révérence en 2025.
En effet, le compromis voté mardi autorise l'accès à des contrats à prix fixes garantis par l'Etat (appelés contrats pour différence ou CfD) pour les installations existantes, dont le parc atomique d'EDF. Concrètement, afin que le groupe ne vende pas ses électrons aux tarifs (exorbitants) du marché, l'exécutif définirait un prix, appelé « strike price », proche des coûts de production d'EDF. Or, ces derniers sont évalués autour de 60 euros du mégawattheure par la Commission de régulation de l'énergie, contre plus de 100 euros sur les marchés actuellement.
Ainsi, si les cours du marché tombaient en-dessous de ce strike price, l'Etat compenserait EDF. Mais s'ils lui étaient supérieurs, comme c'est le cas en ce moment, EDF devrait rembourser la différence, renonçant à d'éventuelles marges.
« C'est un nouvel outil pour protéger les consommateurs français », se félicite-t-on à l'Elysée.
Ne pas créer de « distorsions indues de la concurrence »
Mais cette possibilité n'est pas introduite dans le texte sans garde-fou, loin de là. Car sous la pression de plusieurs États réfractaires à des tarifs administrés par l'Etat, comme l'Allemagne, le Danemark et l'Espagne, un nouvel article introduit des critères s'appliquant aux CfD pour s'assurer qu'il ne créent pas de distorsion de compétitivité. Tout en précisant que la Commission devra garantir que ces conditions soient bien respectées.
« Les CfD [...] doivent être conçus de manière à garantir que la répartition des revenus entre les entreprises ne crée pas de distorsions indues de la concurrence et des échanges sur le marché intérieur », peut-on ainsi lire dans le document, obtenu par Contexte.
« La Commission de régulation de l'énergie sera amenée à fournir à la Commission des éléments qui montrent qu'on paie l'électricité à un juste prix, pour que ce ne soit ni trop favorable à EDF, ni trop favorable au consommateur », précise-t-on dans l'entourage d'Emmanuel Macron.
« Règles du jeu équitables »
Et pour cause, Berlin notamment redoute de perdre en compétitivité face à l'Hexagone si EDF bénéficiait, sans limite claire, de subventions étatiques, et le consommateur industriel d'un tarif stable et attractif. « Ce que je crains, ce n'est pas que la France possède des centrales nucléaires. Ce que je crains, c'est que l'exploitant des centrales nucléaires puisse proposer des prix bon marché, inférieurs à la valeur du marché », avait d'ailleurs clarifié le vice-chancelier allemand à l'Économie, Robert Habeck, lors d'un événement à Rostock, dans le nord du pays, en septembre. Aux côtés d'autres Etats, comme l'Autriche ou les Pays-Bas, son gouvernement a ainsi martelé mardi sa volonté d'introduire des « règles du jeu équitables », sans quoi il ne voterait pas le texte.
« Autour de cette table on nous dit que le nucléaire n'est pas visé. Pourtant ce que certains cherchent à faire, c'est de dégrader structurellement la compétitivité du nucléaire par rapport aux énergies renouvelables. Il est difficile de ne pas assimiler le « level playing fiel » [les règles du jeu équitables, ndlr] à une forme de discrimination envers le nucléaire », a réagi la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.
Malgré ces échanges musclés, Paris et Berlin ont tous les deux approuvé le texte, et seule la Hongrie s'y est opposée. Reste donc à voir quelles limites seront introduites pour réguler le parc d'EDF, alors qu'il y a encore quelques mois, l'exécutif français affirmait vouloir en contrôler « près de 90% » afin d'échapper au maximum à un marché devenu fou, quand l'Allemagne, elle, souhaitait plafonner ce pourcentage autour de 5% à 10%. Mais aussi quel strike price sera finalement accepté par la Commission, si tant est que le texte passe l'étape des trilogues, dont le lancement est prévu jeudi.
Par ailleurs, à l'échelle nationale, un accord devra également être trouvé avec EDF, puisque son PDG, Luc Rémont, s'oppose lui aussi à la généralisation des CfD sur la production du groupe. Et pour cause, cette option lui empêcherait de dégager des marges confortables en vendant sur les marchés. Jeudi, celui-ci rencontrera une nouvelle fois la Première ministre, Elisabeth Borne, afin d'avancer sur le dossier. Pour sûr, le compromis trouvé à l'échelle européenne pèsera dans les discussions.
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