La Manche en passe de désamorcer une bombe climatique

Située au cœur des marais du Cotentin, la tourbière de Baupte, la plus grande de France, sera bientôt classée en réserve naturelle au terme de plusieurs décennies d’exploitation. Objectif : sanctuariser un piège à carbone redoutablement efficace.
Aujourd'hui exploité par le producteur de terreau Le Florentaise, le site est la dernière carrière de tourbe en France.
Aujourd'hui exploité par le producteur de terreau Le Florentaise, le site est la dernière carrière de tourbe en France. (Crédits : PNR)

C'est un paysage qui s'est formé au cours des douze derniers millénaires dans une cuvette géologique grâce à l'accumulation patiente de matières organiques. Située au cœur des marais du Cotentin, la tourbière de Baupte est la plus vaste de France et l'une des plus grandes d'Europe. Formidable réservoir de biodiversité, c'est aussi un exceptionnel puits de carbone.

Sur près de mille hectares, elle piège, chaque année dans le sol, un cinquième du carbone que stockent tous les milieux tourbeux de l'Hexagone. Soit 4,4 millions de tonnes, selon un rapport du Ceser Normandie paru en fin d'année dernière. Pour donner une idée, cela représente presque deux fois le volume de CO2 qu'émet annuellement la plus grande raffinerie européenne de TotalEnergies, située pas très loin de là en Seine-Maritime.

Vers la fin de l'exploitation

Pour autant, les quantités captées seraient beaucoup plus importantes si le site n'avait pas été exploité depuis 70 ans à des fins de chauffage d'abord (quand la tourbe était « le charbon du pauvre ») puis de production de terreau ensuite. Concrètement, une bonne part de sa surface s'est asséchée sous l'effet des pompages indispensables à l'extraction de la tourbe par des engins mécanisés. Conséquence, des débris végétaux revenus à l'air libre se décomposent en émettant, au passage, du gaz carbonique plutôt que d'en stocker.

Pour inverser cette courbe délétère, décision a donc été prise de classer le site en réserve naturelle au terme de l'arrêté d'exploitation qui arrivera à échéance en fin d'année prochaine. « On s'apprête à tordre le cou à un serpent de mer », se félicite Jean Morin, président du Département de la Manche.

400 hectares remis en eau

De fait. Il se sera écoulé près de quinze ans, depuis l'installation d'un premier comité de pilotage en 2010, avant que les parties prenantes (pouvoirs publics, collectivités, agriculteurs, chasseurs, parc naturel...) parviennent à un modus vivendi. Lequel achoppait sur l'arrêt programmé des pompages et l'ennoiement simultané de 400 hectares de parcelles agricoles : un chiffon rouge pour beaucoup d'acteurs, éleveurs en tête, qui se refusaient à l'envisager.

Il aura fallu que les ministères de l'agriculture et de l'écologie dépêchent sur place deux de leurs inspecteurs généraux, en 2021, pour relancer le dialogue. « Ils ont jalonné le chemin vers un projet de territoire. Leur rapport a constitué une étape fondatrice dans le processus qui a mené au classement », se souvient Martine Cavallera-Levi, patronne de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). La prise de conscience mondiale de l'intérêt écologique des tourbières à fait le reste.

Tout est bien qui finit bien

La sanctuarisation officielle de la tourbière de Baupte a été gravée dans le marbre, ce dimanche, lors du salon de l'agriculture. Tout un symbole et une victoire importante, pour le président du Parc naturel régional (PNR) des Marais du Cotentin qui a été désigné maître d'œuvre de l'opération. « Ce statut national va nous donner les moyens de préserver ce damier de chemins, de voies d'eau, de roselières et de reconstituer la tourbe qui, à terme, captera plusieurs millions de tonnes de CO2 supplémentaires », applaudit Benoît Fidelin.

L'issue a été rendue possible par la promesse de l'Etat et du Département d'apporter leur tribut à la constitution par la SAFER d'une « banque de terres » dans laquelle les éleveurs  pourront puiser pour compenser la perte de leurs prairies. Une cinquantaine sont concernés. « Ils ont tous donné leur accord à ce principe », assure le président du PNR. Au Département de la Manche, on s'efforce aussi de rassurer chasseurs et pêcheurs. « Ce ne sera pas une mise sous cloche. Ils pourront continuer de pratiquer leurs activités », assure Jean Morin qui table également sur un développement « du slow tourisme nature » très en vogue.

Le coût total du programme devrait osciller entre 10 et 12 millions d'euros. Un montant somme toute modeste pour désamorcer ce qui aurait pu devenir une bombe climatique.

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