En matière de baisse des émissions de CO2, un objectif à long terme est louable. Mais les étapes à atteindre pour y arriver sont bien plus déterminantes. C'est à ce défi que s'est attaquée la Commission européenne ces dernières semaines.
Ses données dans l'équation : poursuivre ses efforts pour atteindre la baisse globale de 55% des émissions de l'UE en 2030, et se mettre d'accord sur le prochain objectif en la matière, fixé pour l'année 2040. Une marche cruciale censée baliser le chemin vers l'ère de la neutralité carbone pour l'Union européenne, en 2050.
C'est donc chose faite ce mardi après-midi : la Commission européenne a donc proposé de viser une réduction nette de 90% d'ici 2040 des émissions de gaz à effet de serre de l'UE par rapport à 1990. Cette cible pour 2040, que la prochaine Commission devra traduire en proposition législative, reviendrait à poursuivre le même rythme de baisse que sur la décennie 2020-2030.
Bienvenue pour le climat, cette nouvelle trajectoire sera néanmoins confrontée à un stress test politique de taille dans les prochains mois : en juin prochain se tiennent en effet les prochaines élections européennes qui verront émerger un nouveau Parlement et une nouvelle Commission européenne... avec plus ou moins de volonté politique en matière environnementale.
Des indices sur la prochaine feuille de route carbone
Ce document était très attendu par les acteurs participant de près ou de loin au fonctionnement de l'UE. Avant sa publication, plusieurs indices éclairaient déjà sur la trajectoire envisagée par la Commission : en octobre par exemple, le commissaire chargé du Climat, Wopke Hoekstra, avait défendu lors de sa nomination une réduction nette des émissions de CO2 d' « au moins 90% » par rapport à 1990. Un objectif qui ne vient pas de nulle part, puisqu'il est en adéquation avec la baisse « de 90-95% » préconisée par le Conseil scientifique consultatif européen. Celui-ci a présenté un rapport sur le sujet en juin 2023, sur lequel la Commission Von Der Leyen s'est appuyée pour rendre ses conclusions demain.
D'après des documents de travail consultés par l'AFP, Bruxelles pourrait privilégiait bien l'option -90% de baisse de CO2 en 2040. Pour l'UE, une telle réduction reviendrait à quasi maintenir le même rythme de réduction d'émissions que sur la période 2020-2030. Cette option était aussi plébiscitée par onze Etats membres au poids politique certains : la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Autriche, la Bulgarie, le Danemark, la Finlande, l'Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal. Dans une lettre envoyée à la Commission européenne le 26 janvier dernier, les onze pays appellaient en effet à « tenir compte des recommandations du conseil consultatif scientifique européen ».
Interrogé la semaine dernière par le média spécialisé Euractiv, Pascal Canfin, président de la commission de l'Environnement du Parlement européen, avait dit être favorable à un objectif ambitieux pour 2040 : « Selon lui, le rythme des réductions d'émissions fixé pour 2020 et 2030 (-20 % et -55 % par rapport aux niveaux de 1990, ndlr) met déjà l'UE sur une trajectoire qui lui permettra de réduire ses émissions de 90 % d'ici 2040. »
Du côté des ONG environnementales, on saluait globalement cette ambition. Mais certaines, comme le WWF, poussaient pour que l'UE atteigne la neutralité carbone dix ans plus tôt, en 2040 donc.
Un nouveau « Pacte vert » européen ?
Celui qui est aussi député européen macroniste dans le groupe Renew (centre-libéral) ne veut en revanche pas de nouveau « Pacte vert » pour 2040, ce qui impliquerait un nouveau corpus de lois. Interviewé sur ce sujet par l'AFP lundi, Pascal Canfin pense que cette nouvelle feuille de route carbone de l'UE ne sera pas radicalement nouvelle : « On n'aura donc pas besoin d'autant de nouvelles lois. La transformation massive est au cœur du mandat actuel, l'accélération se fait maintenant. Ensuite, ce sera une prolongation. »
Décarboner l'énergie, pierre angulaire de l'UE
Une fois que l'objectif 2040 sera défini, demeurera la plus grosse partie du travail : permettre concrètement aux secteurs les plus émetteurs de se décarboner. L'un des premiers en ligne de mire est celui de l'énergie, et plus particulièrement les producteurs de combustibles fossiles. Dans une étude d'impact consultée par l'AFP, la Commission européenne prévoit une chute d'environ 70-80% des combustibles fossiles brûlés à des fins énergétiques en 2040. Seule la sortie du charbon est programmée d'ici là.
Sur cet enjeu, les associations environnementales mettent la pression. Huit ONG, dont WWF et Greenpeace, ont récemment appelé à fixer « des dates claires » de sortie des fossiles, estimant possible de se passer du gaz dès 2035, et du pétrole en 2040 au plus tard. « Garder des centrales au gaz dans le mix électrique avec des technologies de captage du carbone, c'est un non-sens », car les alternatives décarbonées existent, s'agace Michael Sicaud-Clyet, spécialiste des politiques publiques sur les énergies au WWF.
Ce sujet de la captation carbone est loin d'être anecdotique. Pour faire baisser la facture carbone de l'UE, la Commission compte sur le captage de 345 millions de tonnes équivalent CO2 d'ici 2040. A voir si elle reprendra cette méthode dans ses recommandations ce mardi.
Quant à l'énergie nucléaire, celle-ci est bien considérée par la Commission comme un « élément de la transition ». Une position défendue bec et ongle par la France ces derniers mois en raison de cette énergie dans son mix énergétique (60% de la production).
Rendre l'industrie lourde plus verte
La décarbonation de l'industrie lourde se révélera aussi cruciale dans la feuille de route climatique de l'UE. A ce sujet, Adolfo Aiello, de la fédération de l'acier Eurofer, exprimait lundi : « La décarbonation de l'industrie sidérurgique européenne nécessitera l'équivalent de la consommation actuelle d'électricité de l'Allemagne ». L'expert pointe également le risque de voir son secteur devenir moins compétitif par rapport aux concurrents mondiaux, moins soumis aux exigences environnementales.
Face au spectre de la désindustrialisation, Bruxelles devrait aussi s'efforcer de rassurer en appelant à garantir une « compétitivité durable » et une « transition juste ». C'est d'ailleurs ce que préconise le du conseil consultatif scientifique européen dans son rapport de juin de l'année dernière. « La Commission doit rappeler les bénéfices pour la compétitivité dans l'industrie verte (...) c'est l'occasion d'investir massivement pour décarboner, de faire émerger de nouvelles industries, en récoltant les fruits en termes d'emplois », relève Neil Makaroff, du centre de réflexion Strategic Perspectives.
Agriculture, enjeu inflammable
Pour mener à bien sa trajectoire, la décarbonation de l'agriculture, qui représente 11% des émissions européennes, ne pourra pas être évitée. Mais le sujet est politiquement inflammable. En témoignent les manifestations des agriculteurs en colère qui essaiment depuis près d'un mois dans l'ensemble de l'Europe, notamment la France, l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique. Jugés complexes et irréalistes, les critères écologiques de la nouvelle Politique agricole commune (PAC) sont largement dénoncés par une partie des représentants du secteur.
Le nerf de la guerre : l'investissement
Subsiste le nerf de la guerre : le financement de cette transition, qui est colossal. La Commission évoque des besoins totaux d'investissements avoisinant 1.500 milliards d'euros annuels sur la période 2031-2050. L'institut Rousseau, est tombé sur à peu près le même chiffrage : 1.520 milliards d'euros par an, soit presque 10% du PIB actuel des Vingt-Sept. Dans cette enveloppe, sera aussi nécessaire un doublement de l'investissement public, à 510 milliards d'euros par an. Ce qui aidera aussi à débloquer de nouveaux fonds privés, qui ont, en matière de transition écologique, ont besoin d'être « dérisqués ».
A ce sujet, Paul Schreiber, Senior policy advisor au sein de l'ONG économique Reclaim Finance, prévient : « Ce nouvel objectif climatique est un très bon signal, mais il restera un simple effet d'annonce si l'Union Européenne et ses Etats Membres ne se donnent pas les moyens financier de l'atteindre.
Et d'insister : « Or, ils n'y parviendront pas sans mobiliser la finance privée. Pourtant, les banques, investisseurs et assureurs sont loin de s'aligner avec les objectifs climatiques européens, et soutiennent même toujours le développement des énergies fossiles. »
L'expert appelle donc les autorités européennes à forcer la réorientation des flux financier vers les activités soutenables, en commençant par l'énergie solaire et éolienne.
(Avec AFP)
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