Art : la vie dans un silo

À 63 kilomètres du Salon de l’agriculture, le couple Billarant a transformé un réservoir à grains en centre d'exposition.
Le couple Billarant devant une œuvre de Krijn de Kooning exposée au Silo.
Le couple Billarant devant une œuvre de Krijn de Kooning exposée au Silo. (Crédits : © Nicolas Friess/Hans Lucas pour La Tribune Dimanche)

Jamais l'un sans l'autre et inversement. Françoise et Jean-Philippe Billarant ont trois enfants, enfin quatre, presque. Ils n'ont pas de maison de campagne, enfin presque pas. Ils ne sont pas conventionnels, presque pas du tout. Le couple a mis au monde le Silo, un ex-vrai silo à grains piteux datant de 1948, transformé en immense espace d'exposition d'art contemporain grâce à l'architecte Xavier Prédine-Hug. Le Silo est devenu le cœur du réacteur Billarant. Depuis 2010, artistes créant sur place, œuvres de leur collection et visiteurs en tous genres remplacent rats et pigeons. Le duo aime ouvrir les immenses portes du Silo à qui leur demande. Le Silo se dresse en lisière de champs, de jardins ouvriers et de l'élégante petite ville de Marines dans le Val-d'Oise, en plein Vexin.

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Le bâtiment agricole est devenu une galerie d'art en 2011. (Crédits : © Nicolas Friess/Hans Lucas pour La Tribune Dimanche)

C'est un rituel. Quand ils acceptent une visite ou s'apprêtent à accueillir un artiste à qui ils ont commandé une œuvre exécutée sur place, ils quittent leur arrondissement parisien en pierre de taille avec leur vieille voiture, direction le Val-d'Oise. Françoise conduit, énergiquement, s'inquiète des ralentissements. Jean-Philippe indique le chemin, toujours serein. Le couple ne s'engueule pas. Ils se complètent. Fondamentalement, ils se ressemblent. Ils respirent leurs vies de la même manière. Ils ont radicalement changé leurs existences ensemble. Alors qu'ils ont la quarantaine, alors qu'ils auraient pu continuer de mener une existence très confortable et sans surprise, le couple, aujourd'hui marié depuis soixante ans, décide de tout changer du jour au lendemain.

Un jour de 1970, ils se rendent dans une galerie pour acheter deux œuvres. Un tableau représente un paysage de route enneigée, l'autre un banc dans des sous-bois. L'horreur. Ces deux tableaux ne leur racontent plus rien. C'est de la déco. Ils les rapportent illico. Ils ont besoin de ne pas être endormis par leur confort. Ils souhaitent s'ancrer dans le monde d'aujourd'hui. Le couple découvre l'art abstrait. Fini représentations de sous-bois ou route enneigée, ils sont emportés par des formes géométriques, des couleurs, une façon de penser l'art totalement éloignée de ce qu'ils connaissent. Ils décident d'apprendre ce qu'est l'art abstrait. Ils potassent, lisent, vont dans galeries et musées. Comme le dit Françoise Billarant, « on a fait nos classes », et Jean Philippe ajoute : « Et nous continuons encore aujourd'hui. » L'art abstrait est devenu le ciment de ce couple en béton.

Avec le choc pour l'art abstrait, leurs fauteuils Louis XVI sont remplacés par ceux de Le Corbusier ou Mallet-Stevens, à leur époque architectes et designers révolutionnaires. Les jolis tableaux qui ornent sagement leurs murs sont décrochés. L'art abstrait entre dans leur appartement et dans leur vie. L'art abstrait devient leur quatrième enfant au point que les trois vrais finissent par se sentir un peu exclus de leur nouvelle passion. Depuis quarante-cinq ans, le tandem achète, commande, crée une collection. Ils fréquentent de plus en plus d'artistes. Là est leur joie, leur nourriture. Nombre des artistes d'art abstrait deviennent leurs amis, leurs professeurs.

L'art, ça s'apprend, ça se travaille, ça demande un effort

Francoise Billarant

Grâce à eux, ils continuent de faire leurs classes. « L'art, ça s'apprend, ça se travaille, ça demande un effort », aime répéter Françoise. Avoir des amis créateurs les enchante, donne du sens à leur existence. Sans leurs discussions avec eux, sans les voir travailler, quels amis auraient eus les Billarant ? Jean-Philippe a développé avec un immense succès mondial la petite entreprise familiale détentrice du brevet de la bande Velcro. Il enchaîne les dîners de travail pendant que Madame l'attend ou va à des vernissages. Impensable. Le choix d'entrer dans le monde de l'art contemporain est un choix de vie. Leur passion pour le contemporain s'élargit à la musique. Ils passent régulièrement commande à des compositeurs. Les Billarant sont totalement « encontemporainisés ». Et ils aiment partager leur passion.

Le Silo lui-même attire. Les lignes sobres, les formes géométriques puissantes du bâtiment font de lui une œuvre. La façade annonce le dedans. Juste à côté des petits jardins partagés, à peine entré dans la cathédrale en béton, des cercles, des rectangles, des carrés, posés sur le sol, accrochés ou peints à même les murs. Ces formes allèchent ou déstabilisent. Heureusement, le couple est là pour expliquer. Ils décortiquent le travail de Daniel Buren dont les bandes rouges strient la pièce la plus haute du Silo transformée en chambre ou la cage en bois brut du rez-de-chaussée composé de lamelles de 8,7 centimètres de large, la marque Buren. Françoise explique le travail de Felice Varini qu'on ne peut comprendre qu'en se plaçant à point précis. Jean-Philippe décrypte le travail avec néons de François Morellet, figure majeure de l'abstraction géométrique. Ensemble, ils expliquent les « tachetis » rouges peint sur les murs par Niele Toroni, réalisés en posant maintes fois géométriquement la pointe de son pinceau sur le mur. Dans un escalier plongé dans le noir, une rivière de mots coule sur les marches, mots projetés par vidéo. Le couple a acheté l'œuvre-concept de Charles Sandison bien avant que le musée du Quai Branly n'offre la même proposition à ses visiteurs. Dans un coin sombre, une vieille photo d'un homme assassiné posée sur des caisses rouillées. Une installation de Boltanski, artiste exposé au musée d'Art moderne à Paris.

La visite est interrompue par Cathy, voisine immédiate du Silo.

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Cathy Lucas, une voisine passionnée par le travail du couple, dans une œuvre de François Morellet. (Crédits : © Nicolas Friess/Hans Lucas pour La Tribune Dimanche)

Elle travaille dans l'informatique. Mari et fils sont pompiers. Il y a plus de dix ans, ils ont acquis leur maison pour être tranquilles. À peine celle-ci achetée, on leur annonce que le Silo va être vendu. Il deviendra une boîte de nuit au pire ou un parking au pire aussi. Cathy s'effondre. Mais les Zorro Billarant raflent le bâtiment. Depuis, Cathy a son Centre Pompidou en face de chez elle, comme elle le dit. Des Billarant, Cathy a appris à repousser ses réticences, à comprendre l'art contemporain. Depuis, elle observe les artistes travailler en face de chez elle avec le même amour que le couple. Cathy a désormais les clefs de son annexe. Certains soirs, elle entre, se promène. On peut même la voir danser entre les œuvres. Le Silo a changé la vie des Billarant. Le monde entier le visite, moins les habitants de la région qui pensent peut-être que l'art n'est pas pour eux. Avec les Billarant pour conteurs, il peut le devenir.

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La collection compte aujourd'hui plus de 1000 œuvres. (Crédits : © Nicolas Friess/Hans Lucas pour La Tribune Dimanche)

Visite du Silo à la demande contact : [email protected]

En dates

1963Françoise et Jean- Philippe Billarant se marient

1975Début de la collection

2007Achat du Silo

2011Ouverture du Silo. Première exposition, 100 œuvres de 50 artistes exposées

Juin 20247exposition de la collection, qui compte aujourd'hui 1 000 œuvres

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