Biodiversité : ouvrez, ouvrez la cage aux hérissons

Un centre de soins, le premier à Paris intra-muros, prend en charge la convalescence de cette espèce protégée et de plus en plus menacée.
Après un dernier examen médical, les hérissons seront relâchés dans la nature.
Après un dernier examen médical, les hérissons seront relâchés dans la nature. (Crédits : LTD / FANNY ARLANDIS)

L'endroit où l'opération va se dérouler est gardé secret. Un jeune homme observe de côté, hésite, et finit par s'approcher. Autour de son cou, une caméra munie d'un téléobjectif. « Vous êtes bien là pour la mission mystère en rapport avec des bestioles de petite taille ? » glisse-t-il discrètement. En début de soirée, dans un lieu de la petite ceinture parisienne - tenu caché pour éviter tout acte malveillant -, Marthe, Mathilde, Gilbert, Garance, Mireille et Annie vont être remis en liberté. Ces six hérissons sortent d'une longue convalescence dans un centre de soin prévu à cet effet en plein bois de Vincennes. Ouvert l'année dernière, et encadré par la préfecture de police, c'est le premier du genre à Paris intra-muros. Le vidéaste, employé par la mairie de Paris - propriétaire des murs du centre -, s'accroupit pour ne rien manquer du moment furtif. Déposée délicatement dans l'herbe, Mathilde, vive et sauvage, est la première à lever le museau, renifler, et se faufiler dans un bosquet d'ifs. Craquements de feuilles. Sous les branches, deux minuscules billes noires nous fixent une dernière fois et disparaissent.

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« Bon bah voilà, ça y est, tout le monde est parti. » Manuel de Aguirre est ému. Cela fait des semaines que cet ingénieur, président de l'Association pour la protection et la sauvegarde du hérisson d'Europe, Erinaceus France, prépare ses protégés (et se prépare lui aussi) à ce moment. Quelques jours plus tôt, une visite dans un cabinet vétérinaire de l'Essonne avait permis de sceller le sort des derniers incertains: Gersande, Chantal et l'intrépide Janin. « Un rescapé ! » s'exclame Manuel de Aguirre en posant l'animal roulé en boule sur la table d'opération pour que la vétérinaire l'anesthésie et l'ausculte. Trouvé en hypothermie en juillet 2023, le jour de la mort de Jane Birkin - d'où son nom -, il pesait 80 grammes et souffrait d'une fracture du bassin. En quelques heures de soins intensifs, Janin reprenait vie de manière inattendue. Neuf mois plus tard, la radio le confirme, Janin est sauvé. Dans les prochains jours, le petit mammifère retrouvera la vie au grand air, dans un jardin potager privé en lisière de forêt. « Le printemps est le moment parfait pour les remettre dans la nature, précise Manuel de Aguirre. Les températures sont propices, il est plus facile de trouver de la nourriture et les hérissons sont tout juste sortis d'hibernation pour se reproduire. »

La circulation automobile causerait la mort de 1,8 million de hérissons chaque année

Mais d'ici quelques semaines (la gestation des hérissons dure environ un mois), le travail au centre, entièrement bénévole et financé par des dons, prendra une tout autre tournure. Il se remplira de nouveau, mais cette fois-ci de bébés cabossés déposés par des riverains. Un large sourire illumine le visage de Manuel de Aguirre : « On a trouvé une formule pour fabriquer un lait maternisé qu'ils adorent. » Pendant les six premières semaines de vie de chaque juvénile, les trois ou quatre bénévoles du centre se relaient, de jour comme de nuit, pour les nourrir toutes les trois heures. « Ce à quoi s'ajoutent 20 à 30 kilos de linge à laver quotidiennement. Mais c'est grâce à cet engagement constant en matière d'hygiène et de suivi que notre structure dépasse les 90 % de taux d'animaux sauvés de l'euthanasie alors que les autres centres de faune sauvage avoisinent plutôt les 40 à 50 % », insiste le président d'Erinaceus France.

Hérisson.

Après un dernier examen médical, les hérissons seront relâchés dans la nature. (Crédits : LTD / FANNY ARLANDIS)

Une gageure alors que cette espèce protégée en France depuis un arrêté de 1981 est de plus en plus menacée par les pesticides, les transformations du territoire qui rompent la continuité des habitats et surtout la circulation automobile. Elle ferait 1,8 million de morts chaque année selon la Société française pour l'étude et la protection des mammifères. Il n'existe cependant aucune donnée française globale sur le déclin du hérisson d'Europe, à la différence du Royaume-Uni qui chiffre une perte de 30 % de sa population en vingt ans, et qui a classé le hérisson sur la liste rouge des espèces menacées en 2020.

Manuel de Aguirre n'a pas été étonné quand la mairie de Paris a accepté, il y a un peu plus de trois ans, de le laisser ouvrir un centre de soins dans la capitale en plus de celui qu'il gère déjà dans la Sarthe depuis 2018. « Le hérisson est un animal sympathique, mignon, dont les citadins se sentent proches. Ce n'est pas neutre en matière de communication ! » Emblème de la biodiversité, le hérisson est l'un des meilleurs indicateurs de l'état des écosystèmes. « Il s'agit d'une "espèce parapluie", précise l'écologue Philippe Clergeau, professeur au Muséum national d'histoire naturelle. En le protégeant, en restaurant son habitat, on préserve d'autres espèces, animales comme végétales. Sans hérisson, les insectes et les limaces dont il se nourrit risquent par exemple d'être trop abondants. Il constitue aussi un allié pour réguler certaines chenilles qui s'attaquent aux feuilles des arbres. » Arbres sans qui les humains ne pourraient pas vivre en ville.

En ville, l'observation de la flore aide la science

Si l'on y prête attention, on la décèle au creux d'un mur, le long du trottoir ou entre deux pavés. La nature sauvage se loge partout en ville. Depuis plus dix ans, le programme de sciences participatives Sauvages de ma rue, porté par le Muséum national d'histoire naturelle et l'association Tela Botanica, identifie et documente la répartition de la flore dans toutes les zones urbaines françaises. Jusqu'au 20 juin, une campagne intitulée « Rendez-vous en rue connue » propose aux observateurs volontaires de retourner dans des rues qui ont été inventoriées en 2013 et 2014, pour voir comment la répartition de ces plantes a évolué en dix ans, en lien avec le changement climatique.

Aidée des outils mis à disposition sur le site Internet de Sauvages de ma rue (fiches de terrain, protocoles, guides...), Sandra Brau, géographe de formation et fondatrice de l'association Semeurs de biodiversité, a déjà sillonné plusieurs rues d'Aix-en-Provence avec d'autres volontaires. « On a découvert un monde inconnu. C'est une chasse au trésor : quand on trouve une variété rare, on s'émerveille et on se dit qu'on est tombé sur une perle ! »

Elle tempère les îlots de chaleur

Dans son quartier, l'observatrice a surtout déniché des pariétaires des murailles, plante médicinale qui pousse partout, et des pissenlits, l'espèce la plus fréquemment rencontrée sur le territoire national. « C'est une façon de se reconnecter au vivant. Et puis nommer les choses est important, c'est reconnaître qu'elles existent. » Cette végétation rend de nombreux services : elle tempère les îlots de chaleur, participe à la dépollution de l'air, de l'eau, des sols, ou encore protège des inondations.

Ce travail réalisé constitue un matériau précieux pour les scientifiques. « Aucun d'entre eux n'a le temps ou la possibilité d'aller sur le terrain partout comme ça pour rassembler plus de 100 000 données comme nous l'avons fait », note Garance Demarquest de l'association Tela Botanica, à l'origine du programme. Cette décennie d'observations citoyennes a notamment permis d'identifier des phénomènes intéressants, comme les gradients urbains. Plus on s'approche des centres-villes, moins on trouve de variétés différentes, et celles qui restent sont souvent des espèces exotiques qui aiment les températures plus élevées. « Ces connaissances peuvent ensuite être utiles aux politiques, pointe Sandra Brau. Et les aider à prendre les bonnes décisions pour une meilleure préservation de la biodiversité en ville. »

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Commentaires 2
à écrit le 19/05/2024 à 10:51
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Je laisse les herbes pousser tant qu'elles ne dérangent pas (en ai arrachées dernièrement, une variété qui fait de grosses touffes et envahit tout). Un jour, j'ai vu un hérisson caché sous des herbes hautes près du muret séparant du voisin (ça fait u...

à écrit le 19/05/2024 à 10:16
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Ils aiment la chaleur du goudron la nuit ce qui les perd irrémédiablement mais l'empoisonnement agro-industriel généralisé est la cause principale cette disparition ainsi que celle de nos oiseaux. A un moment faudrait arrête rde se lamenter et arrête...

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