Cinéma : avec « Bâtiment 5 », Ladj Ly plonge au cœur de la révolte dans les banlieues

Dans son deuxième long-métrage, « Bâtiment 5 », Ladj Ly traite d’un autre aspect des banlieues en souffrance : le mal-logement.
Charlotte Langrand
À Montvilliers, ville imaginaire du film, les pouvoirs publics procèdent à la destruction des vieux immeubles hérités des années 1960.
À Montvilliers, ville imaginaire du film, les pouvoirs publics procèdent à la destruction des vieux immeubles hérités des années 1960. (Crédits : © BENJAMIN SEZNEC/PREMIERE IMAGE)

D'abord il a voulu appeler son nouveau film « les indésirables ». Cette rime l'aurait placé en filiation directe avec son précédent opus, Les Misérables, qui avait attiré plus de 2 millions de spectateurs en salles en 2019-2020, raflé le prix du jury au Festival de Cannes ainsi que quatre césars dont celui du meilleur film. On parlait déjà de Ladj Ly comme du successeur de Mathieu Kassovitz, vingt-cinq ans après La Haine. Mais le réalisateur de 45 ans s'est ravisé et a finalement baptisé sa nouvelle fiction Bâtiment 5, le même numéro d'immeuble que celui de son enfance dans la cité des Bosquets à Montfermeil. Un choix pour signifier que même si sa nouvelle histoire se déroule dans le même cadre que celui des Misérables et qu'elle s'attaque au thème du mal-logement dans les banlieues, le sujet est aussi très personnel pour lui. Il ajoute ici un deuxième volet, plus intime mais aussi plus maladroit, à ce qui semble être le début d'un vaste portrait de la banlieue en plusieurs actes.

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Dans son premier film, Ladj Ly nous avait donc laissés au bord de la guerre civile, policiers contre jeunes des quartiers, cocktail Molotov contre arme à feu, à la fin d'une histoire choc inspirée d'un fait réel : une bavure policière sur un jeune homme noir à Montfermeil en 2008 que le réalisateur avait alors filmée. On y voyait déjà les vies de débrouilles et de petits trafics, les clans, les policiers toujours dans les parages et l'étincelle qui peut tout embraser, à force de désespérer des êtres à l'avenir déjà bouché. Bâtiment 5 dresse un constat toujours aussi déplorable de la situation en banlieue, cette fois-ci vue du côté des cages d'escalier. La première scène dit tout en quelques minutes : après le recueillement, dans l'appartement d'une mère qui pleure son fils avec ses proches, il faut descendre le cercueil. L'ascenseur est en panne, comme souvent dans ces immeubles. Toute la troupe endeuillée guide alors, tant bien que mal, le cercueil dans une cage d'escalier décrépite. « Est-il vraiment possible de vivre et de mourir dans des conditions pareilles ? » assène la mère, résumant d'un ton définitif la situation de toutes les familles du bâtiment.

Ladj Ly veut dénoncer la tactique rodée des pouvoirs publics consistant à tout faire pour « invisibiliser » ces « indésirables »

L'État, lui, est absent. Et ce n'est pas Pierre Forges, le jeune pédiatre propulsé maire (Alexis Manenti, ambivalent à souhait), qui va arranger les choses. Oscillant entre radicalité brutale et volonté de bien faire, le jeune édile dépassé poursuit la destruction de ces grandes barres de béton dégradées, plaies architecturales héritées des années 1960. Profitant d'un incendie, il fait évacuer l'immeuble pour reloger - ou repousser - ses locataires dans des zones encore plus à l'abandon. Ainsi, Ladj Ly veut dénoncer la tactique rodée des pouvoirs publics consistant à tout faire pour « invisibiliser » ces « indésirables ». Il souligne et insiste sur la guerre des nerfs qui se répète encore et toujours dans les quartiers : ces citoyens jetés dehors sans ménagement par un État froid et dominant, alimentant une colère déjà sourde parmi la population des quartiers. Si le constat est indéniable, dommage que sa démonstration manque de nuances.

Comme Les Misérables, le film prenait ainsi le chemin inévitable de l'embrasement. Mais, au milieu de cette situation, Ladj Ly change de discours et se veut optimiste : Haby, jeune femme impliquée dans la vie associative, réagira différemment de Blaz, son amoureux. Alors que ce dernier se laisse submerger par la colère de façon caricaturale, Haby, elle, choisira la lutte par les urnes. Cette figure, interprétée avec détermination et dignité par Anta Diaw, jeune actrice débutante repérée dans Le Jeune Imam de Kim Chapiron, permet au réalisateur de suivre un personnage féminin fort qui manquait ostensiblement aux Misérables. « [Ladj Ly] m'a expliqué que cela lui tenait vraiment à cœur d'avoir un rôle principal féminin et noir pour porter les causes de l'histoire, explique-t-elle. Haby sait maîtriser sa colère, et c'est rare dans ce genre de films. » D'ailleurs, les faits se passent à Montvilliers, une ville imaginaire qui se veut universelle. « Le film pourrait se dérouler dans n'importe quelle banlieue, pas seulement à Montfermeil ou Clichy-sous-Bois, poursuit Anta Diaw. Nous l'avons présenté un peu partout, même à l'étranger, et tout le monde nous disait qu'ils avaient vu à l'écran la même chose que chez eux. »

Bâtiment 5, de Ladj Ly, avec Anta Diaw, Alexis Manenti et Aristote Luyindula. 1 h 40. Sortie mercredi.

Charlotte Langrand

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