Cinéma : L’infinie délicatesse de M.Wenders

Quand la vie d’un banal agent d’entretien prend des allures de déclaration d’amour à la poésie du quotidien.
L’acteur japonais Koji Yakusho incarne Hirayama dans le film « Perfect days » de Wim Wenders. © MASTER MIND LTD
L’acteur japonais Koji Yakusho incarne Hirayama dans le film « Perfect days » de Wim Wenders. © MASTER MIND LTD (Crédits : © MASTER MIND LTD)

Il est peut-être le plus japonais des cinéastes européens. Ou du moins le plus sensible à la culture nipponne, son art de vivre, et son cinéma bien évidemment. Avec Perfect Days, Wim Wenders, cinéaste allemand et universel, a franchi le pas en tournant son nouveau film intégralement au Japon, à Tokyo, avec des acteurs japonais, en langue japonaise. Soit le logique aboutissement cinématographique d'une histoire commencée en 1985 avec le tournage d'un documentaire intitulé Tokyo-Ga, un hommage au grand cinéaste japonais Yasujiro Ozu, le « maître déclaré » si l'on en croit Wenders lui-même.

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Pour ce retour au Japon, tout a commencé par une lettre qu'un producteur japonais envoya au cinéaste au début de l'année dernière : « Seriez-vous intéressé par le tournage d'une série de courts-métrages de fiction à Tokyo ? Ces films traiteraient tous d'un projet social public extraordinaire et impliqueraient le travail de nos grands architectes. Et nous vous garantissons une liberté totale. » En poursuivant sa lecture, Wenders découvre que le sujet en question concernerait les nouvelles toilettes publiques édifiées dans un quartier de Tokyo, autour d'un personnage principal porteur de l'essence d'une culture japonaise accueillante. Car il ne faut pas s'y tromper : au Japon, les toilettes ont une place fort différente de celle qu'elles occupent dans notre culture occidentale. Là-bas, il s'agit de petits sanctuaires de paix et de dignité, alors même qu'ici c'est presque un lieu tabou et dissimulé. Et Wenders d'y aller carrément : « Ce sont des temples de l'assainissement plutôt que des toilettes. » Perfect Days est donc né de cette volonté de célébrer un culte si singulier et qui nous semble si exotique voire étrange.

Se dessine alors le personnage principal de ce film, en quelque sorte l'officiant principal de cette drôle de religion : Hirayama, c'est son nom dans le film, travaille à l'entretien des toilettes publiques de Tokyo. Il vit seul et semble se satisfaire d'une vie simple et monotone, rythmée par ses déplacements professionnels en voiture, son amour pour la musique, les arbres et la photo. Sans oublier quelques fêlures et blessures du passé qui remontent parfois à la surface. Mais on se gardera bien de trop en dire à ce sujet. Les toilettes et leur... toilettage quotidien demeurent au centre du film de Wenders et sans l'ombre d'une dimension scabreuse. Il faut avouer que les architectes nippons ont laissé libre cours à leur talent et à leur inventivité pour, au final, bâtir d'incroyables lieux d'aisances que Wenders filme avec son art habituel. Allant ainsi, soit dit en passant, des superbes installations du sculpteur Anselm Kiefer dans son récent documentaire en 3D Anselm (toujours en salles) à ces réalisations aussi triviales que surprenantes. Comment ne pas admirer par exemple ces modèles de toilettes qui, revêtant la forme de cubes de verre transparents, deviennent totalement opaques dès que l'utilisateur s'y enferme à clé ! Une véritable prouesse technologique aux allures de métaphore parfaite : le trivial peut tout à fait être beau et admirable, à condition qu'il sache respecter l'intimité quand il le faut. Et l'harmonie extérieure de dissimuler agréablement le recueillement intime.

Le trivial peut tout à fait être beau et admirable, à condition qu'il sache respecter l'intimité quand il le faut

Littéralement porté par son acteur principal, Koji Yakusho, lequel s'est vu décerner pour ce rôle le prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes cette année, le film de Wim Wenders baigne dans une incroyable douceur mélancolique. On est au plus près de cet homme qui fait son travail quotidien. Comme dans les grands films japonais que Wenders admire tant, on fuit ici la lourde explication psychologique sur le ton de la chronique au fil du temps et d'un road-movie urbain. Le tout avec des choix musicaux pour la plupart anglo-saxons, à l'image évidemment de la magnifique chanson de Lou Reed Perfect Day, qui a inspiré le titre du film. Et puis l'un des plus beaux plans du film se fait assurément au rythme de Feeling Good chanté par Nina Simone, tandis que notre héros sillonne les rues de Tokyo au volant de sa camionnette, le visage éclairé et illuminé par les rayons du soleil couchant. Le magicien Wenders, qui une nouvelle fois a revêtu ses ailes du désir, sait mieux que quiconque capter ces moments de grâce aussi éphémères que précieux.

Perfect Days, de Wim Wenders, avec Koji Yakusho. 2 h 05. Sortie mercredi.

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