« Je n’ai jamais eu le sentiment d’être “le Black de service” » (Ahmed Sylla, humoriste)

ENTRETIEN - Humoriste reconnu, l’acteur s’est imposé au cinéma. Dans « Comme un prince », il incarne un champion de boxe contraint de raccrocher les gants.
Lundi à Paris.
Lundi à Paris. (Crédits : © CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Si la famille du cinéma l'aime tant, c'est certes pour son talent d'acteur mais aussi pour son grand cœur. Ahmed a grandi dans une cité à Nantes, et sans la volonté de ses parents d'offrir le meilleur à leurs trois enfants, sa vie aurait pu prendre un tout autre tournant. Scolarisé dans un collège privé catholique du centre-ville, il s'inscrit aux cours de théâtre pour libérer en lui ce besoin presque vital de s'exprimer. Par le rire, il se sent aimé et exister. Et plus particulièrement aux yeux de son père, décédé en 2017 et qui n'a jamais su lui manifester son amour. Depuis, cette absence paternelle le ronge constamment.

Après avoir fait le show dans les cours de récré, il joue dans la cour des grands depuis une bonne dizaine d'années. De son premier passage télé dans On n'demande qu'à en rire, en 2011, à des premiers rôles au cinéma comme dans L'Ascension et des one-man-shows qui affichent complet, Ahmed Sylla reste un modèle d'empathie et de sincérité.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Ahmed, est-ce encore difficile d'être noir aujourd'hui ?

AHMED SYLLA - Je ne l'ai jamais vécu comme un problème, même si, au collège et au lycée, j'étais le seul Noir avec ma petite sœur. Nous habitions dans la cité des Dervallières, dans l'ouest de Nantes, et mes parents se sont battus pour que leurs trois enfants intègrent les meilleures écoles nantaises. Je me suis donc retrouvé à l'externat des Enfants-Nantais, un établissement privé catholique. Le jour de la rentrée des classes, j'ai senti pour la première fois que j'étais différent, que j'allais devoir me battre pour trouver ma place. J'ai réussi dès le premier jour à m'imposer et à me faire des amis.

Vous étiez le rigolo de la classe ?

Mon arme de défense, c'est l'humour. Le rire a été salvateur pour moi. Alors je suis devenu le mec sympa, celui qui partageait ses Carambar avec tous les copains, même si c'était d'abord, je l'avoue, pour séduire les filles. Même si j'ai peut-être acheté mon amitié, c'était aussi pour susciter l'attention. Pour ce besoin d'exister et de me sentir aimé.

Vous sentiez-vous exister dans les yeux des professeurs ?

Oui, pour la plupart des enseignants que j'ai croisés sur ma route. Ils m'ont appris, fait grandir, éduqué. Jusqu'à ma rencontre au collège avec Mme Moneger, qui m'a fait découvrir le théâtre. C'est là que j'ai compris ce qui me faisait vibrer.

Sans ce système scolaire strict, auriez-vous pu mal tourner ?

Totalement. Je ne veux pas faire un lien de causalité direct entre l'endroit où l'on est scolarisé et les conneries que l'on peut faire, mais il y a quand même des prémices. Les fréquentations du quotidien conditionnent notre comportement. Si vous mettez quelqu'un toute une scolarité dans une école enclavée dans un quartier, il n'aura pas la même chance à la sortie de l'école.

J'ai des amis aussi bien avocat que chauffeur Uber. C'est ce dont je suis le plus fier

Vous l'avez ressenti ?

Quand j'ai quitté l'externat des Enfants-Nantais, les conneries ont commencé. Et pourtant, je ne suis pas quelqu'un de dangereux, de belliqueux. Ce n'est pas mon éducation. J'ai volé des crayons à paillettes, mais j'aurais pu aller beaucoup plus loin...

Gardez-vous des relations avec vos camarades de classe et de la cité ?

J'ai des amis dans tous les domaines. Aussi bien avocat que chauffeur Uber. C'est ma plus grande richesse, ce dont je suis le plus fier. C'est la beauté de mon parcours.

Pourquoi faire rire à tout prix, surtout lorsque vous vous déguisiez en femme avec les talons de votre mère ?

J'anticipe votre prochaine question : « Ahmed, avez-vous eu un problème d'identité ? » Eh bien non. il n'y a jamais eu d'ambiguïté sur mon identité de genre ou sur mon orientation sexuelle. J'ai toujours adoré me déguiser en femme, au grand désespoir de mon père qui m'engueulait même si je sentais qu'il se retenait de rire. Mon père ne manifestait pas ses émotions et il était très difficile de lui voler un sourire. Et quand il nous a quittés, pour tenter de panser ma tristesse, j'ai fait plusieurs fois le tour du périph en ne pensant qu'à une chose : je suis un enfant qui n'a jamais entendu son père lui dire je t'aime.

Avez-vous un jour ressenti de la discrimination positive ?

Je n'ai jamais eu le sentiment d'être « le Black de service ». Et pourtant, on m'a proposé d'incarner des gars des cités et même un membre du gang des Barbares. J'ai refusé, car je n'avais pas envie de représenter ces mecs-là au cinéma. Mais je n'en veux pas du tout aux producteurs ou aux réalisateurs qui pensent à moi juste pour ma couleur de peau.

Et inversement, avez-vous raté des rôles ?

Vous me croyez si je vous dis que tous les rôles que j'ai eus au cinéma auraient pu être aussi bien endossés par Pierre Niney ou François Civil ? J'ai joué Rédillon dans Le Dindon de Feydeau. C'est pour ça que je suis fier des choix que je fais dans le cinéma.

C'est tabou si je vous demande votre point de vue sur la loi immigration ?

C'est un sujet tellement complexe. Je suis né ici, en France. Je suis chauvin et profondément français. Nous sommes l'un des plus beaux pays du monde, mais on ne sait plus comment s'aimer. Bien sûr qu'il faut gérer l'immigration, parce que malheureusement la France ne peut pas subvenir aux besoins de tout le monde. Il faut autant s'occuper des Français qui galèrent que des personnes qui mettent leur vie en danger en traversant la Méditerranée. Et pour ça, il faut comprendre pourquoi des personnes quittent leur pays. Il faut prendre le sujet des migrants à la racine, et pas seulement quand ils arrivent en France.

Vos origines sénégalaises vous aident-elles à mieux comprendre le problème ?

Bien sûr ! Une partie de ma famille vit au Sénégal dans des villages très reculés et n'a pas les mêmes chances que moi. Certains ont même tenté de rejoindre l'Europe depuis des bateaux de fortune. Aucune famille n'a envie de mourir noyée en pleine mer. J'aimerais juste que, dans un monde utopique, on puisse récolter un peu plus d'humanité. Elle est partie où, la France black blanc beur de 1998 ?

C'est comment, le dimanche d'Ahmed Sylla ?

En mode vieux monsieur qui ne fait rien de ses journées. En mode chocolat chaud, un plaid, un film ou une série.

Comme un prince, d'Ali Marhyar. Sortie mercredi.

SES COUPS DE CŒUR

Ahmed lit plus volontiers des scénarios que des romans. « Mon plus grand drame est que l'école ne m'a pas appris à aimer lire. » Il apprécie l'esprit de famille de l'hôtel Brach, où il sirote un cocktail sans alcool, et dévore la carte du restaurant libanais Chez Madeleine à Boulogne-Billancourt, qui lui rappelle ses origines libanaises par son arrière-grand-père maternel.

Le Brach, 1-7, rue Jean-Richepin, Paris 16e. Chez Madeleine, 39, rue de Paris, Boulogne-Billancourt.

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