« La comédie, c’est comme un médicament » (Denis Podalydès et Jonathan Cohen, acteurs)

ENTRETIEN - À l’affiche de « Making of », le dernier film de Cédric Kahn, les deux acteurs témoignent d’une grande complicité.
(Crédits : © CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Ces deux là jubilent de jouer ensemble, sur un tournage ou... pendant une interview. Une question anodine et, en une seconde, Jonathan Cohen, brillant acteur de comédie et auteur de programmes satiriques (La Flamme), signifie d'un regard à Denis Podalydès, immense comédien de théâtre et de cinéma, qu'il va improviser une fausse réponse. Les deux virtuoses s'inventent avec sérieux un passé commun de judokas où, sur les tatamis parisiens, avec leurs ceintures jaunes et « violettes », ils se seraient administré quelques « wamawashi »... « Tout est faux, bien sûr ! » s'esclaffent-ils après leur sketch. C'est peu dire que le tournage de Making of, le film de Cédric Kahn qui les rassemble à l'écran, s'est bien passé : une entente parfaite pour une comédie sociale, cathartique et désopilante qui montre les coulisses compliquées d'un tournage : Jonathan Cohen y campe un acteur bankable et autocentré que doit gérer son réalisateur, Denis Podalydès, qui croule sous les ennuis. Rencontre avec deux comédiens qui aiment vraiment la comédie.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Avez-vous déjà vécu des moments difficiles sur des tournages, comme dans Making of ?

DENIS PODALYDÈS : Je n'ai vécu que ça, c'est le premier film qui se passe bien de bout en bout ! Raconter les difficultés du cinéma a quelque chose de cathartique... Cela venge un peu, car on a tous vécu des moments délicats sur des tournages. J'ai quelques souvenirs compliqués, dès mon premier film... [Blagueur.] D'ailleurs, il faut peut-être que je m'interroge, c'est peut-être moi le problème...

JONATHAN COHEN : [Ironique.] Mais non, Denis, ce n'est pas toi...

D.P. : [Rigole.] C'est sans doute aussi parce que j'ai de la compassion pour les réalisateurs : je sais que c'est dur de faire un film en étant fidèle jusqu'au bout à son idée première, en s'adaptant à tout ce qu'un tournage suscite... Un film, c'est utopique, c'est plein de rêves, d'illusions et de désillusions. J'y suis très sensible, c'est pour ça que sur un tournage je perçois les moments difficiles un peu plus fort que les moments heureux.

Dans Making of, tout le monde veut déposséder le réalisateur de son film, des financiers aux acteurs... N'est-ce pas infernal ?

D.P. : C'est vrai, mais chacun agit en pensant que c'est pour le bien du film. Ils viennent lui arracher un morceau de lui... avec sincérité ! C'est ça qui est beau : il n'y a pas de tocard ni de personnage de pure dérision ou vraiment ridicule, trop méchant ou trop bête. Chacun y va de sa meilleure volonté.

J.C. : Mon personnage est totalement sincère ! Il est déterminé à donner sa meilleure performance pour le film mais, pour lui, le moyen d'arriver à être bon acteur, c'est... de capter toute l'attention sur lui ! Je ne suis jamais tombé sur un comédien comme ça, avec ce niveau de caprices, sur un tournage... Cédric, lui, l'a davantage vécu, donc nous nous sommes amusés à composer ce personnage comme une caricature, une projection de l'idée que l'on se fait d'une star. Je suis fanatique de ces personnages qui n'ont aucun recul, parce qu'ils permettent une immense liberté de parole et de ton. Ils sont totalement autocentrés et c'est formidable à jouer.

C'est aussi une comédie sociale, avec un tournage de film dans le tournage du film et une mini-société reconstituée : manque de financements, rébellions des techniciens, acteurs frustrés, stagiaire pistonné et la vie privée du réalisateur qui explose...

D.P. : Les belles comédies se font souvent sur des fonds durs et âpres, où ce sont les situations qui sont drôles. Mon personnage ne rit jamais, il est habitué à prendre des paquets de merde dans la figure et il écope ! Le film parle aussi du couple qui peut éclater, parce que dans la réalité, nous sommes souvent « en couple » avec nos métiers. Et c'est très dur de partager : quand une centaine de personnes travaillent sur un film, le réalisateur doit le finir coûte que coûte. Nous vivons dans une microsphère qui a du mal à laisser de la place aux autres sphères de notre vie privée. On se coupe un peu du reste pendant les mois d'un tournage... Quand on a une famille, cela peut désagréger le couple, briser l'équilibre.

Raconter les difficultés du cinéma a quelque chose de cathartique

Denis Podalydès

Dans La Nuit américaine de François Truffaut, un personnage estime que la vraie vie, bancale, est moins bien que le cinéma. Êtes-vous d'accord ?

D.P. : C'était très Truffaut, ça ! Il se consacrait entièrement au cinéma et je crois que dans la vie il était glacial et n'était pas un père très présent... donc il pensait vraiment que le cinéma était mieux que la vie. Mais pas nous ! De son temps, c'était valorisant de dire ça, mais l'époque a changé. Il y a une moralisation de la vie qui est différente, une considération, un besoin d'éthique aussi : il faut trouver un équilibre entre ces deux mondes, entre la passion et la vie de tous les jours, les enfants...

J.C. : Non, la vie n'est pas moins bien que le cinéma ! Mais la passion pour notre métier est importante. Dans nos projets, il y a de l'amour, de la libido, quelque chose de très physique. Il y a en permanence des problèmes à résoudre, des questions à chaque instant, c'est très accaparant... Mais dans cet espace de problèmes, nous trouvons aussi un espace de création, de bonheur et de partage. C'est complexe mais c'est jubilatoire.

Denis, vous jouez les plus grands rôles du répertoire au théâtre mais c'est seulement votre premier « premier rôle » dans un film... Vous n'êtes pas assez bankable, comme on dit ?

D.P. : C'est différent au théâtre et au cinéma. Vous avez des acteurs consacrés au théâtre, qui ne sont pas des stars au cinéma. Je me souviens d'un tournage où l'on m'avait donné une immense loge, et Michel Aumont, qui était pour moi un grand homme de théâtre et de cinéma, était dans un tout petit réduit... Cela m'avait choqué. Il n'était pas du tout reconnu. Moi, un jour, j'ai compris très nettement que je n'étais pas non plus une star de cinéma quand je me suis rendu compte que si le budget du film augmentait, je sortais du casting au profit d'acteurs plus connus ! Quand le budget est passé de 3 à 6 millions, les partenaires financiers ont dit : « Pour ce prix-là, on voudrait plutôt untel. » Mais ça ne m'a jamais chagriné parce que je vis très bien le fait de jouer au théâtre et au cinéma, de participer aux films de mon frère [Bruno Podalydès], d'écrire, de mettre en scène... Il y a un phénomène de circulation dans tous mes projets qui m'évite de ressentir de la frustration.

Jonathan, on vous qualifie de « king de la comédie » et d'« acteur le plus drôle de France ». Y a-t-il un danger pour vous de vous enfermer dans ce type de rôles ?

J.C. : Les qualificatifs, ce n'est jamais nous qui les donnons... Moi aussi, j'écris et je fais plein de choses en même temps, et ça permet de relativiser. C'est important de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, d'avoir d'autres accès à la création, ça permet d'être plus actif et plus indépendant. C'est une sorte d'hygiène mentale de se dire « je ne suis pas dans l'attente ».

Mais je respecte ceux qui sont purement acteurs, qui aiment les espaces de latence... Denis et moi, nous avons besoin d'être actifs et créatifs. On m'a beaucoup conseillé de ne pas m'enfermer dans des rôles comiques. Quand j'ai fait le film de Toledano-Nakache [Une année difficile], 99 % des questions des journalistes portaient sur mon rôle, qu'ils trouvaient plus « sérieux ». Ça fait pourtant vingt-deux ans que je fais ce métier, et des rôles sérieux, j'en ai fait ! J'avance, j'essaie de créer... J'ai la chance de travailler avec Cédric Kahn, Toledano-Nakache, Quentin Dupieux... C'est merveilleux, j'ai une chance inestimable de goûter à tout ça.

Vous vous souvenez de la première fois que vous avez fait rire un public ?

D.P. : C'est quelque chose de bouleversant. Je me souviens, enfant, d'avoir fait rire mes camarades de CM2 en jouant une scène. J'étais naturellement timide, effacé... mais je sentais que j'avais un goût et une petite faculté pour ça. J'ai vu le regard de mes camarades changer. Il n'y a rien de plus beau. C'est une expérience fondatrice que je n'ai cessé de chercher à retrouver par la suite.

J.C. : C'est très addictif. La première fois que dans un cours de théâtre on entend des rires ou qu'on te félicite... on a la sensation de trouver la place que l'on a toujours cherchée. Et d'un coup, c'est un signe évident : on se sent bien dans cet exercice et on a le retour du public ! C'est assez génial.

« Nous avons besoin d'être actifs et créatifs »

JONATHAN COHEN

Pensez-vous que le métier ne valorise pas assez la comédie ?

D.P. : Bizarrement, un acteur de comédie aura moins de prestige, les récompenses vont plus volontiers aux autres acteurs. La popularité, c'est une chose qui suscite une très grande méfiance et ça m'a toujours surpris. On dit souvent que la popularité ne veut rien dire, mais c'est faux : elle est fondée sur un talent, même un génie, un don qu'il serait bon de comprendre !

J.C. : Je pense que les acteurs savent à quel point c'est difficile de faire de la comédie mais que les journalistes prennent cela pour un art mineur. On nous dit souvent : « Vous ne voulez pas changer un peu de rôles ? » Pourtant, dans les époques angoissantes, la comédie reste un moyen de procurer au public des espaces de détente, d'oubli. J'y crois énormément, je fais de la comédie pour faire du bien aux gens. Mon programme La Flamme est sorti au début du confinement dû au Covid et d'un coup, les gens m'ont témoigné tout le bien que cela leur faisait. Je me suis dit : « Il y a une utilité à toutes ces conneries que j'écris ! » La comédie, c'est comme un médicament : le rire désamorce tout.

Making of, de Cédric Kahn, avec Denis Podalydès, Jonathan Cohen, Stefan Crepon, Souheila Yacoub, Emmanuelle Bercot, Xavier Beauvois, Valérie Donzelli. 1 h 54. Sortie mercredi.

SILENCE, ÇA TOURNE !

Le cinéaste Cédric Kahn connaît une phase de grande inspiration. Alors qu'il a déjà signé Le Procès Goldman, sorti sur les écrans en septembre, le voici de retour avec une comédie sociale sur les coulisses d'un tournage épique. Alors qu'il traversait lui-même une période de découragement sur son métier de réalisateur, il a décidé de traiter le sujet en prenant le parti de l'humour, tout en croquant au passage les travers de cette industrie. Utilisant à plusieurs reprises le procédé de la mise en abyme, il nous plonge dans le tournage d'un film qui raconte comment des ouvriers se sont battus pour sauver leur usine. Mais, entre les caprices de son acteur principal autocentré (jubilatoire Jonathan Cohen), les financiers qui veulent changer le scénario du film, la lâcheté du producteur, le manque de financements, la rébellion des techniciens et sa vie privée qui chavire, le pauvre Simon (Denis Podalydès, génial et désespérément drôle) vit un cauchemar. Seul espoir : le « making of » du film, réalisé par un jeune passionné de cinéma... Derrière des situations comiques, un réalisateur en burn-out (son double) et une analogie entre la lutte des ouvriers pour leur usine et celle du réalisateur pour faire son film, Cédric Kahn dénonce les rapports de force entre pouvoir et argent qui polluent la création artistique et cinématographique. Un film drôle, cathartique et politique qui dit à quel point il n'est jamais acquis de continuer à produire un cinéma engagé de nos jours.

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