La cuisine monastique, c’est fantastique

La « gastronomie » des couvents se révèle moderne, simple, saine et écolo. Les recettes des religieuses et des moines se compilent même en livre et en vidéo.
Charlotte Langrand
Repas au monastère de Solan (Gard).
Repas au monastère de Solan (Gard). (Crédits : DOROTHÉE PERKINS)

Sœur Marie Jordane est tout sourire. Devant son plan de travail, elle vous l'assure, sa recette portugaise de bacalhau est tellement bonne qu'elle ferait manger « du chou et de la morue même aux enfants » ! Entre deux œufs cassés et une sauce béchamel généreusement versée sur les patates et le poisson dessalé, elle disserte sur son « saint patron » préféré, Jourdain de Saxe, et sur « la petite Thérèse », cette sainte « qui [la] touche beaucoup ». Sans transition, elle enchaîne sur le dessert, un baba au rhum largement glorifié d'alcool et de crème chantilly maison. Devant leurs écrans, les gastro-fidèles salivent et en redemandent : la recette de cette dominicaine de Paray-le-Monial, publiée le 27 octobre sur KTOTV.com, a déjà passé les 4 500 vues sur YouTube.

À l'heure où M6 tourne la 15e saison de Top Chef, la chaîne catholique KTO a aussi sa propre émission de cuisine qui cartonne. Ici, les chefs sont des religieux et les plateaux de télévision, des abbayes : « La cuisine des monastères », c'est un peu Cyril Lignac avec une cornette... Et ça fonctionne bien : chaque vidéo cumule entre 16 000 et 18 000 vues sur YouTube, réussissant le petit miracle d'unir pieusement la vie monacale aux plaisirs de la table... Sacrilège ? Point du tout. « La cuisine des monastères » démonte finalement les clichés sur l'austérité du régime ascétique. L'année dernière, sœur Annabel, « prieure, comptable et cuisinière », concoctait depuis l'abbaye Notre-Dame d'Échourgnac un menu de fêtes plutôt... roboratif : une « trappiflette », sorte de tartiflette périgourdine aux oignons, noix, magret de canard et larges couches de fromage fait maison ; puis un gâteau aux pommes avec son nappage au caramel au beurre salé... Un menu que n'aurait pas renié un bon bistrot de village. Bien sûr, si d'autres recettes de KTOTV correspondent davantage au jeûne et à la retenue attendue dans un lieu saint (crumble aux légumes fatigués zéro gaspi, soupe à l'oseille avec galettes de flocons d'avoine@...), on constate que la gourmandise n'est pas toujours un péché : qu'on se le dise, les sœurs et les frères se tapent la cloche ! Et les fourneaux des monastères convoquent tantôt l'esprit de Joël Robuchon et sa cuisine plutôt riche, tantôt le « pape » de la cuisine minceur, Michel Guérard.

Ce n'est pas seulement pour ses petites entorses au jeûne, vite pardonnées, que l'intérêt des gastronomes pour la cuisine monastique grandit. Simple, saine, équilibrée, savoureuse, faite maison avec les produits du potager, anti-gaspi et bio, elle pourrait être proposée par un chef en vogue qui ouvre son restaurant à Paris. Bières d'abbaye, miels monastiques, fromages artisanaux... Les moines pratiquent depuis toujours une cuisine inhérente à leur philosophie de vie, en accord avec la nature, qui correspond désormais à notre époque soucieuse d'écologie, de santé et de saisonnalité. Sur les marchés, des religieuses en habit vendent les produits non pas de la ferme, mais de leur monastère. « Tous ne cuisinent pas maison, précise Perrine Bulgheroni, coauteure avec Dorothée Perkins du livre La Foi, la Fourche et la Fourchette (Hachette Pratique). Leur population vieillit et l'activité agricole étant physique, c'est ce qu'ils arrêtent en premier. J'ai vu des moines qui mangeaient très mal et surtout industriel... Mais la plupart des abbayes, dont c'est l'assise économique, ont une démarche artisanale. »

J'ai été stupéfaite par la qualité des produits faits par les sœurs : en agriculture bio, ce n'est pas toujours évident d'obtenir des aliments transformés qui gardent autant de goût

Perrine Bulgheroni, autrice et cofondatrice de la ferme du Bec-Hellouin (Eure)

Perrine Bulgheroni a ainsi été saisie par sa première dégustation au monastère de Solan, dans le Gard, dont elle publie l'histoire et les recettes : « J'ai été stupéfaite par la qualité des produits faits par les sœurs : en agriculture bio, ce n'est pas toujours évident d'obtenir des aliments transformés qui gardent autant de goût. Elles ont un savoir-faire impressionnant. » Les sœurs de Solan font office d'exemple car, arrivées en 1992 sur des terres éreintées par des années d'exploitation intensive et chimique, elles les ont petit à petit transformées en un modèle de permaculture biologique. Avant d'arriver à vivre quasiment en autarcie (elles ne cultivent pas de céréales), elles ont parcouru un vrai chemin de croix pour devenir agricultrices, maraîchères, apicultrices et même... vigneronnes ! « La viticulture, c'est technique et elles n'y connaissaient rien, ni au travail de la terre ni au vin, poursuit Perrine Bulgheroni. Quand elles allaient aux foires locales pour essayer de vendre leur première petite piquette, ça jasait... » Mais c'était compter sans l'accueil des vignerons locaux : « Ils nous ont adoptées, se rappelle sœur Iossifia. Ils nous ont appris à déguster, à mettre des mots sur le vin... Cela nous a permis de nous lancer avec un œnologue enthousiaste qui nous a poussées à monter notre cave. Petit à petit, nous avons appris et réussi à créer notre vin ! » Autre instructeur providentiel, l'essayiste-agriculteur Pierre Rabhi, qui les a accompagnées dans cette conquête de leur autonomie alimentaire.

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Même Yotam Ottolenghi, le célèbre chef israélien, est de la partie sans le savoir : « Nous avons toujours eu le souci de photocopier des recettes, dont les siennes, et de les mettre de côté afin de les adapter pour nous, poursuit la sœur. Au fil des années, nous avons constitué une bonne base de recettes. » Résultat, on trouve dans le livre des plats simples mais sains, avec beaucoup de légumes, sans viande, parfois même sans gluten (potage de courges au lait de coco et croûtons, lasagnes aux lentilles corail, beignets de fleurs d'acacia...) et souvent gourmands, comme le risotto aux champignons, la pizza à la polenta, le cheesecake ou encore la mousse au chocolat.

Pour leurs besoins personnels et économiques, certains religieux se font ainsi agriculteurs, maraîchers, apiculteurs, herboristes, vignerons, fromagers voire distillateurs. Et de reclus ils deviennent les incarnations modernes d'un mode de vie qui respecte l'écologie, ne gaspille pas la nourriture et entretient des terres bio... Un sacré coup de pied aux clichés. « C'est vrai qu'on imagine les moniales comme des êtres un peu poussiéreux, couverts de toiles d'araignée, qui ne sourient jamais, rigole Sœur Iossifia. Il est vrai que dans notre vie il y a une part d'ascèse qui veut que nous n'accordions pas trop d'importance à la satisfaction de nos goûts et de nos besoins immédiats. Mais en même temps, il faut un équilibre : le fait de se réjouir en mangeant un bon repas est une bonne chose. » Parole d'évangile.

Le monde de la « temple food », prosélytisme culinaire made in korea

Elle porte un nom de superstar de la musique électronique. Pourtant, Wookwan (photo) excelle dans la cuisine spirituelle. La nonne du petit temple d'Icheon, situé en pleine campagne coréenne à une heure de Séoul, est devenue le « gourou mondial » de la « temple food », une cuisine qui fait le lien entre petits plats vertueux et prière.

Vieille de près de 2 000 ans, cette nourriture était à l'origine faite uniquement par et pour les moines mais cette façon de s'alimenter, qui incite à la « slow life » et à se nourrir simplement, avec des légumes, des racines et des herbes de saison, a littéralement rendu fous les influenceurs adeptes d'une nourriture qui satisfait à la fois le corps et l'âme. Pour promouvoir cette philosophie de vie culinaire, Wookwan, maligne, a décidé d'adapter les recettes avec des ingrédients plus faciles, pour la rendre plus accessible. Elle a même couché ses recettes dans un livre qu'elle présente au monde entier, attirant l'attention du géant Netflix, qui lui a consacré un portrait.

Charlotte Langrand

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