Cinéma : la folle équipée de Pascal Thomas

Pour son vingtième film, le réalisateur presque octogénaire présente un road-movie juvénile, burlesque et réjouissant.
Alexandre Lafaurie et Constance Labbé dans « Voyage en pyjama ».
Alexandre Lafaurie et Constance Labbé dans « Voyage en pyjama ». (Crédits : © NUMÉRO 7/LES FILMS FRANÇAIS)

Dans la nouvelle comédie de l'auteur des films La Dilettante et Les Maris, les Femmes, les Amants, les voyages se font en pyjama et le héros s'appelle Paul-Émile dit Victor. Esprits trop sérieux s'abstenir par conséquent. Mais les autres auront tout intérêt à embarquer pour ce Voyage en pyjama dont la feuille de route n'a qu'un seul mot d'ordre : fantaisie, encore et toujours. Il était une fois Victor, donc, un prof de lettres quadragénaire qui, pour démarrer une année sabbatique, décide brusquement de partir à vélo pour Compostelle avec la femme de l'amant de son épouse, elle-même partie à l'autre bout du monde en mission humanitaire avec ledit amant... Stop ! Inutile d'aller plus loin dans la vaine tentative de raconter le délicieux prologue du rébus filmé que Pascal Thomas a écrit à quatre mains avec sa complice Nathalie Lafaurie. Parce que toute la suite est à l'avenant : on passe allégrement du coq à l'âne, quand ce n'est pas de l'âne au coq et ainsi de suite dans une succession de moyens de transport, y compris amoureux. Les tribulations de notre victorieux explorateur prennent immédiatement les allures d'un jeu de piste où se mêlent anciens amis et, surtout, anciennes conquêtes féminines. Un jeu forcément risqué entre la renaissance des amours qu'on croyait disparues à jamais et la surprenante découverte que ces mêmes amours ont pu donner un fruit, sans oublier les vieilles rancœurs qui se réveillent pour mieux s'oublier.

Lire aussiCinéma : « Priscilla », le nouveau film de Sofia Coppola

Le charme indéniable du cinéma de Pascal Thomas, depuis son premier film en 1972, Les Zozos, réside d'abord dans cet art de la chronique vagabonde, de la dérive insouciante et de la mélancolie heureuse. Son héros a certes la moitié de son âge, mais il est bien entendu son double de cinéma et, à travers lui, c'est le cinéaste qui s'exprime et se livre. Le film est d'ailleurs dédié à Roland Duval, professeur de français et coscénariste du cinéaste à de nombreuses reprises. On songe inévitablement à un autre franc-tireur trop méconnu du cinéma français, Jacques Rozier, expert lui aussi du road-movie provincial et du dilettantisme sentimental. Tous deux prennent le temps du zig et du zag, tous deux ont le goût de ces héros en léger décalage et dont les fragilités finissent par nous apparaître comme des forces enviables.

Le charme de son cinéma réside dans cet art de la chronique vagabonde et de la mélancolie heureuse

Et pour incarner ces caractères tous essentiels, Pascal Thomas, comme Jacques Rozier en son temps, compose des distributions aussi savoureuses que talentueuses. Son protagoniste a ainsi les traits de l'impeccable Alexandre Lafaurie, habitué de l'univers du cinéaste mais qui prend ici des galons bien mérités. Et autour de lui, c'est un festival de seconds rôles qu'on aurait envie de tous citer, comme dans les merveilleux films français et italiens d'après-guerre, de Constance Labbé à Pierre Arditi en passant par Anny Duperey, Irène Jacob, Lolita Chammah, Louis-Do de Lencquesaing et Hippolyte Girardot entre autres, donc. Il y a chez Pascal Thomas une jubilation manifeste à diriger, même pour une scène ou deux, ces actrices et ces acteurs qui le lui rendent bien : ou comment recréer au cinéma cet esprit de troupe cher au théâtre, ce plaisir de jouer ensemble et de « faire spectacle ».

À pied, à cheval, en voiture, à vélo ou en péniche, Victor avance dans ses souvenirs de chair et d'os. Quand il en rêve, c'est pour se retrouver l'accusé d'un procès en forme de cauchemar au cours duquel il est confronté à toutes ses anciennes conquêtes, plus ou moins indulgentes. Pascal Thomas et sa coscénariste prennent alors le risque assumé d'un autre procès, cette fois pour mauvais esprit un tantinet antiféministe. Mais c'est compter sans l'allant, le charme infini et la grâce qui traversent ce Voyage en pyjama : grâce à eux, on pardonne tout à Pascal Thomas et à son Paul-Émile dit Victor. Ainsi va le cinéma d'un auteur parfaitement insensible aux modes qui se démodent et à l'air du temps qui rend frileux. Son nouveau film est comme un vin de soif et de Loire qui désaltère en ravissant les papilles par sa fraîcheur et ses notes de fruits rouges un peu acides, un peu sucrées.

Il convient alors de le déguster sans modération ! Et quand arrive le dernier verre et la fin de ce périple reviennent en mémoire ces quelques lignes de Céline qui précèdent son fameux Voyage à lui : « Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le reste n'est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. »

Voyage en pyjama, de Pascal Thomas, avec Alexandre Lafaurie, Constance Labbé, Pierre Arditi. 1 h 29. Sortie mercredi.

Pascal Thomas publie ses Mémoires, avec la complicité d'Alain Kruger et de Jean Ollé-Laprune : Souvenirs en pagaille, Séguier, 336 pages, 21 euros.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.