LA SEMAINE DE PHILIPPE VANDEL : Premier Premier

CHRONIQUE - Notre chroniqueur explore le monde médiatique tel qu’il va… ou pas.
Philippe Vandel
Philippe Vandel (Crédits : DR)

🗞️Ce titre puissant : « Gabriel Attal, premier Premier ministre gay : le signe d'une France qui progresse ».

Libération consacre sa une et pas moins de sept pages à la nomination de Gabriel Attal à Matignon. Parmi elles, cet article d'une demi-page, avec ce constat apparent : « Le fait même qu'être gay soit considéré comme une information parmi d'autres (comme son âge ou ses origines) montre les progrès majeurs dans l'opinion publique depuis l'adoption du mariage pour tous. »

Ben non, même pour Libé, ce n'est pas une info comme une autre puisqu'ils y consacrent un article entier. Si Attal avait été rouquin ou diabétique - des infos comme les autres -, ils ne se seraient pas fendus d'un papier à part.

Après moult développements, le point final : « Ce sont sur les politiques mises en place et non pas sur leur orientation sexuelle que nos responsables politiques doivent être jugés et critiqués. » Ah oui ? Pourquoi ce titre, alors ? Si l'homosexualité de tel ou telle n'a pas à s'immiscer dans le champ politique, pourquoi lui consacrer autant de place ?

✖️Le lendemain, Sandrine Rousseau tweete : « Gabriel Attal est juif et gay. Très bien. Aucune attaque, de près ou de loin, de manière directe ou indirecte, là-dessus. Jamais. » Bon. Même interrogation : si la religion et l'orientation sexuelle sont un non-sujet, pourquoi lancer le sujet ? Elle a dû y réfléchir. Car la députée écolo retire son post seulement onze minutes après l'avoir lâché dans la nature. Trop tard : il est viral, redirigé et redigéré par tous les bords. Et le fait même qu'il ait été retiré devient une information en soi.

📻Souvenez-vous du coup de sang du président du sénat, Gérard Larcher, qui avait apostrophé Jean-Luc Mélenchon : « Ferme ta gueule ! » Quelques jours plus tard, toujours sur RTL, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, était sommée de réagir. Mélenchon doit-il fermer sa gueule ? « Je le pense, mais je ne le dis pas. » Donc elle l'a dit. Ou plutôt : la présidente lui a enjoint de fermer sa gueule, mais sans le lui enjoindre tout en le lui enjoignant. Cette figure de style a un nom savant, la prétérition, et de nombreuses définitions. Ouvrons les dictionnaires. La prétérition consiste à dire qu'on ne va pas évoquer une chose en le faisant malgré tout. Par exemple : je ne suis pas venu vous dire que... Ou bien : s'il y a un homme qui a toujours été honnête, c'est bien Jérôme Cahuzac. Que comprend-on ? L'inverse.

Par extension, elle peut consister à dire qu'on ne veut ou qu'on ne va pas faire quelque chose que l'on fait tout de même.

🎥La prétérition se pratique parfois comme la prose, sans le savoir. Calculée ou involontaire, elle n'est pas seulement l'apanage de la sphère politique. Prenez l'affaire Delon. Impossible à résumer ici. Mais je résume. D'une phrase : sa dame de compagnie et ses enfants (Anouchka d'un côté, Anthony et Alain-Fabien de l'autre) se déchirent sur son sort, par presse interposée. Dimanche soir, Anouchka se disait meurtrie, en direct au 20 Heures de TF1 : « J'ai honte que notre vie de famille soit étalée comme ça. » Mais alors, pourquoi s'afficher devant... 6,66 millions de téléspectateurs ?

🧚‍♂️Jeudi, l'écrivain Sylvain Tesson est l'invité de la matinale de France Inter. Il publie Avec les fées, récit grandiose entre granit celte et fantasmagorie réinventée. Après l'interview viennent les traditionnelles questions des auditeurs. L'un lui reproche sa vision féerique, loin de l'actualité à Gaza ou en Ukraine, un autre sa vision « un peu confortable, qui repose sur l'individu, pas sur l'entraide ». Réponse de Tesson : « C'est peut-être de la modestie qui fait que je ne parle pas de la part charitable (aujourd'hui je crois qu'on dit "solidaire", mais j'ai appris à dire "charitable"). On croit que je me fous de la part charitable, mais c'est pas vrai : peut-être que je la tiens dans une patrie discrète, et que je ne parle pas de ce que je fais pour les autres. »

Coincé par ces questions anodines en apparence, Tesson est acculé dans la double injonction. Soit il dit qu'il agit et qu'il donne pour les autres, et cette révélation passe pour de la com. Soit il ne le dit pas, et cela passe pour de l'égoïsme. Bref : quoi qu'il dise, il sort perdant de la séquence.

🏃Voilà qui rappelle le fameux sketch des Inconnus, quand ils commentent depuis les tribunes d'un stade les performances du Français Jean-Claude Poupon, en méforme passagère. Attention, chef-d'œuvre :

🎙️« On ne pouvait soupçonner devant un si bel athlète quelques problèmes sexuels, car je me suis laissé entendre dire qu'au lit il ne satisfaisait pas sa femme. Mais là, bon, on entre dans un domaine, Hervé, Jean-Paul, qui ne nous regarde pas.

- En tout cas la vie privée d'un athlète, ça se respecte.

- Même si Jean-Claude a tout essayé en matière d'aphrodisiaques et autres prothèses. Mais en tout cas, je le précise : cela ne nous regarde pas...

- Tout à fait. Et ce n'est certainement pas à nous de divulguer les ragots comme quoi il serait homosexuel.

- Cela ne nous regarde pas.

- Ce n'est pas du sport et ce n'est pas à nous, journalistes sportifs, de divulguer qu'il fréquente la boîte gay le Fucking Blue Boy.

- Tout à fait.

- Cela ne nous regarde pas.

- Du moment qu'il prend ses précautions... »

🎬Clap de fin.

Heureusement qu'il n'est pas Premier ministre.

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