Laine, n’en jetez plus !

Oubliée pendant des années, la toison de nos moutons et brebis revient peu à peu sur le devant de la scène textile. Bergers, artisans et manufactures se mobilisent.
Christelle Jeannet trie la laine dans la bergerie de Yannick Champaix, à Allanche (Haute-Loire).
Christelle Jeannet trie la laine dans la bergerie de Yannick Champaix, à Allanche (Haute-Loire). (Crédits : © Fanny Arlandis pour La Tribune Dimanche)

Christelle Jeannet a fait le déplacement depuis la Haute-Loire car c'est ici, à Allanche, au cœur de la bergerie de Yannick Champaix, qu'elle est venue chercher de la laine de brebis. Pendant toute la durée de la tonte, cette artisane lainière court dans tous les sens pour récolter la toison beige avant que celle-ci ne se souille en touchant le sol. Elle la jette sur une grande table de tri et en ôte immédiatement les impuretés ou les défauts avant de la tasser dans différents curons en toile, selon la longueur des fibres. C'est la deuxième année qu'elle récupère la laine du troupeau. « C'est toujours mieux que de la jeter au trou ! » commente l'éleveur en regardant le ballet se dérouler sous ses yeux.

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Depuis des années, mais surtout depuis trois ans, les éleveurs français ne trouvent plus de repreneurs pour leur laine, ou alors pour une poignée de centimes. La majorité des 14 000 tonnes tondues chaque année finissent sur les tas de fumier. Pour comprendre comment la situation a pu autant se déliter, il faut remonter loin... à la défaite de Waterloo. La France, alors première puissance lainière, perd son monopole au profit de l'Angleterre, qui exporte son cheptel en Amérique du Sud et en Océanie. Les troupeaux français sont réorientés : on cherche des gigots plutôt que des toisons. Dans la seconde moitié du XXe siècle, la filière française de laine périclite et les savoir-faire se perdent. Le développement du synthétique, du coton à bas prix et la délocalisation textile portent ensuite le coup de grâce à cette industrie. La laine devient un pur déchet de l'élevage de viande.

« On est enfermés dans un cercle vicieux, raconte Christelle. Comme la laine n'était plus valorisée, les éleveurs n'en ont plus pris soin. Sa qualité s'est fortement dégradée. » La priorité est donc de ramener les éleveurs dans la boucle. Depuis qu'il a fait connaissance avec cette artisane de 41 ans, Yannick Champaix essaie de jouer le jeu. « Avant, on balançait la paille sur les brebis, on les bariolait de partout avec des traces de marquage, confie l'éleveur. Maintenant, je suis vigilant avec la laine. Mais mes bêtes en ont de moins en moins sur le dos... » C'est justement à l'amélioration de la qualité que Christelle compte désormais travailler. La veille de la tonte, elle est venue prélever un échantillon de laine sur la cuisse et l'épaule de chaque agnelle. Elle a aussi noté la longueur de leurs mèches, le tassé - la densité - de la toison et son étendue. L'année prochaine, seules les brebis avec la meilleure moyenne seront gardées. À terme, l'objectif de la trieuse est que la vente de la laine paie la tonte (1,90 euro par tête). Pour l'heure, elle rémunère 1,50 euro le kilo pour les fibres longues, 70 centimes pour les courtes et 30 pour le reste. « Je prends tout aux éleveurs et je me débrouille avec. Je ne trouve pas honnête de ne leur prendre que ce qui m'intéresse, les fibres longues, et de leur laisser le reste sur les bras. »

Avant, on balançait la paille sur les brebis, on les bariolait de partout avec des traces de marquage

Yannick Champaix, éleveur

Peu à peu, une confiance nouvelle s'établit. Les différents acteurs, comme Atelier Laines d'Europe (association centrale pour le maintien des savoir-faire depuis trente ans) ou le collectif Tricolor (plutôt associé au secteur haut de gamme), planchent depuis cet automne, sur demande du ministère de l'Agriculture, pour proposer des pistes de restructuration de la filière. L'enjeu est de taille. « Si la filière laine ne représente qu'une infime part du PIB de la France, elle a d'autres implications essentielles, par exemple la maîtrise de l'espace, rappelle Pierre Cornu, historien spécialiste des mondes ruraux et des territoires. Prenons les Pyrénées. Là-bas, l'élevage ovin empêche un reboisement anarchique des pâturages. » S'il venait à disparaître, ces étendues seraient très vite recouvertes de ronces, de noisetiers ou de genêts. Et la biodiversité s'en trouverait bouleversée.

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Commentaires 4
à écrit le 28/01/2024 à 19:30
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J'en discutait avec un éleveur de moutons il y a peu qui m'a avoué qu'il n'y avait plus de filière pour récupérer la tonte des moutons qui de ce fait partait au rebu ! Et il y a déjà plus de 30 ans la vente de la laine payait tout juste le tondeur ...

à écrit le 28/01/2024 à 9:22
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Un tissu (?) tellement confortable bon sang ! Tellement plus nombre que ces matériaux synthétiques immondes. Comment on a pu l'offrir aux chinois ! Et la soie, pareil l'Ardèche était un gros producteur de soie avant que nos propriétaires de capitaux ...

le 28/01/2024 à 19:35
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@Dossier 51 - Élever des vers à soie, travailler, filer la soie n'est pas une sinecure! Idem pour la laine de mouton. Les contraintes environnementales pour le traitement de la laine nécessitent des investissements énormes. Contraintes que n'ont pas...

le 29/01/2024 à 7:56
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C'est pour cela que la soie est chère mais ça m'étonne pas que le patron de supermarché soit trop content de se vautrer dans de la soie bon marché chinoise. C'est le niveau actuel.

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