Le combat des livres en braille

À Toulouse, le dernier centre en France à transcrire en relief sur support papier vend ses ouvrages au prix unique librairie.
À la différence du livre audio, le braille aide à l’apprentissage de l’orthographe.
À la différence du livre audio, le braille aide à l’apprentissage de l’orthographe. (Crédits : © RÉMI BENOIT)

Je vois flou, comme si j'étais dans une voiture couverte de buée », décrit Jean-Michel Ramos. Malgré ce handicap, ce Toulousain malvoyant avale 40 livres par an en cumulant livres audio, tablette braille numérique et les versions papier en écriture en relief. Ses livres sont imprimés à 2 kilomètres à vol d'oiseau de la médiathèque où il les emprunte, au sein du Centre de transcription et d'édition en braille.

Du braille sur les médailles des JO

Fondé dans les années 1980, le CTEB est le dernier en France à transcrire en braille des livres papier, les autres organismes ayant migré vers des versions numérique ou audio. L'association a vu le jour en puisant dans les travaux de la chercheuse toulousaine Monique Truquet, la première à mettre au point un logiciel capable de transcrire le français en braille.

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Le catalogue du centre compte désormais plus de 2 000 ouvrages, à raison de 200 nouveautés par an. Outre les prix littéraires, y figurent de grands succès (Le Petit Prince et la saga Harry Potter sont les ouvrages les plus demandés), des polars et même des livres illustrés en relief avec les personnages emblématiques du jeune public (Walt Disney, Marvel, Pokémon...).

Les demandes affluent d'au-delà des frontières de l'Hexagone pour répondre aux besoins de médiathèques en Belgique, au Canada et en Afrique. L'association réalise également de la documentation pour les musées et a été chargée d'inclure du braille sur les médailles des JO de Paris ainsi que d'éditer des livrets d'information dans toutes les langues pour l'événement sportif.

Une fabrication très coûteuse

Même à l'heure du numérique, ce savoir-faire reste essentiel pour sa directrice, Adeline Coursant : « Sur une tablette braille, il est possible d'enregistrer 2 000 bouquins, mais la lecture devient vite fastidieuse et on a des difficultés à garder le fil de l'intrigue. Le livre audio, lui, est pratique pour voyager mais pas pour apprendre l'orthographe. Or, sans maîtrise de l'orthographe, impossible de suivre des études et de trouver un emploi. » Cette ancienne sportive de haut niveau mène un combat quotidien pour démocratiser l'accès à ces livres en braille dont la fabrication est très onéreuse. « Chaque ouvrage coûte 700 euros à produire. » Il faut compter trois semaines pour transcrire un ouvrage, puis l'imprimer sur une machine capable d'embosser, autrement dit de marquer des points en relief sur le papier. L'ensemble des pages est ensuite relié pour former d'épais ouvrages (comptez 50 volumes pour la Bible et 18 pour le cinquième tome de Harry Potter). Ces dernières années, les livres étaient mis en vente pour les particuliers entre 60 et 122 euros. Le tarif minimum pour atteindre l'équilibre, mais qui demeurait encore hors de portée pour beaucoup d'aveugles.

Raison pour laquelle depuis le 4 janvier 2023, jour de l'anniversaire de Louis Braille, inventeur de ce code d'écriture, l'association a pris la décision d'appliquer le prix unique librairie, soit une vingtaine d'euros par ouvrage. L'opération est financée sur les fonds propres de l'association en puisant dans les recettes issues de la transcription de relevés bancaires (qui pèse la moitié de ses revenus).

Succès immédiat. La décision est plébiscitée par les lecteurs porteurs d'un handicap visuel et, en un an, les ventes ont doublé pour avoisiner 1 500 exemplaires. « Avoir accès aux nouveautés littéraires comme le dernier Goncourt en braille au même prix qu'en librairie permet de disposer du même budget lecture qu'une personne valide et de discuter des mêmes ouvrages », salue Jean-Michel Ramos.

La survie du centre menacée

Pour autant, l'association ne pourra pas éternellement creuser dans ses réserves. Début janvier, elle lance un cri d'alarme : le maintien du prix librairie menace la survie du centre. L'association interpelle 525 parlementaires. Un mois plus tard, Adeline Coursant montre la poignée de lettres de soutien reçues de la part de députés et de sénateurs. « Mais pour l'instant, toujours pas d'argent », regrette la directrice.

Pour elle, il suffirait d'augmenter de 10 centimes le prix de vente de l'ensemble de la littérature française pour financer le maintien du prix unique des ouvrages en braille. « L'accès équitable à la lecture, conclut-elle, cela nous regarde tous. »

Plus d'informations sur cteb.fr

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