Livre : « Le Lapin », l'ultramoderne solitude à la sauce rap

Chloé Delchini, 27 ans, signe une éducation sentimentale furieusement stylée.
Chloé Delchini, auteure.
Chloé Delchini, auteure. (Crédits : © LTD / Francesca Mantovani/Gallimard/opale.photo)

Il faudrait ne jamais quitter Bécon-les-Bruyères. Même pas une ville ou une commune mais un lieu-dit, entre Courbevoie, Asnières et Bois-Colombes. Mais pour ceux qui l'habitent, sans qu'ils en aient toujours conscience, rien de moins qu'un destin. Prenons Ulysse, par exemple. Il y a passé les dix-huit premières années de sa vie. La belle affaire. Et puis il est parti finir d'étudier, travailler, tout près, si loin. À Paris. Dix ans. Mais Bécon persistait, comme une rengaine qui ne se laisse pas oublier. « J'ai l'expertise du coin, je sais pourquoi le crépi est défoncé à côté de la Poste, j'ai connu les accidents qui ont tordu les grillages, j'étais là, je connais le puzzle des événements, s'il y avait une enquête sur cette ville, je serais le témoin idéal pour recoller les morceaux de béton et les bouts de vies, les conduites sans permis et les agressions de la nuit. » En attendant, après un long voyage qui peut s'appeler la jeunesse, Ulysse est de retour. Il aura vite 30 ans et se dit : « Pourquoi pas à Bécon ? » Pas seul, toutefois.

Lire aussiLivre : les serments d'Hervé Le Tellier dans « Le nom sur le mur »

Pauline aussi lui est revenue. L'incroyable, l'insolente, l'inoubliable Pauline, muse de son adolescence, un horizon de plus en plus lointain à mesure qu'Ulysse quittait Bécon et que la jeune femme n'en finissait pas d'y rester. Mais voilà, après dix ans donc, Pauline a écrit un SMS lapidaire à son ancien amoureux, lui donnant rendez-vous un soir à 19 heures sur la place du marché. Il n'en fallait bien entendu pas plus pour qu'Ulysse quitte Paris et le cabinet de conseil où il dépérissait et retrouve illico veau, vache, cochon, couvée, c'est-à-dire Bécon-les-Bruyères... Il arrivera dès le matin du jour qui deviendra donc celui où il attendra Pauline, en retrouvant au fil des heures son « pays perdu ».

Énergique mélancolie

Cette attente, c'est toute l'histoire, c'est tout l'enjeu du Lapin, le premier roman de Chloé Delchini, 27 ans. Une entrée dans la carrière n'a de sens que si elle s'accompagne d'une écriture, d'un style. Là, dans cette libre variation autour du genre en soi qu'est l'éducation sentimentale, c'est un éblouissement. De drôlerie, d'ultramoderne solitude à la sauce rap et - pardon pour l'oxymore - d'énergique mélancolie. C'est un Mrs Dalloway en banlieue parisienne... Chloé Delchini porte un prénom d'héroïne de Vian, elle en a aussi le goût pour la fantaisie et le talent pour capturer sur la page les avanies du quotidien.

LE LAPIN Chloé Delchini, Gallimard, 128 pages, 18 euros.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 12/05/2024 à 10:20
Signaler
J'ai lu «Un siècle chinois» de Jean Tuan (C.L.C. Éditions). C'est un récit passionnant illustré de photos remarquables. Il fait découvrir l'évolution de la Chine à travers le parcours du père de l'auteur. Chinois arrivé en France en 1929, il exercera...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.