Livre : « Encore debout », Khan l’humour s’en mêle

Pour défendre l’universalisme républicain, l’essayiste Rachel Khan a relevé le défi d’écrire les plaidoiries des parties adverses.
Rachel Khan, actrice, écrivaine et conseillère politique française.
Rachel Khan, actrice, écrivaine et conseillère politique française. (Crédits : © LTD / Hannah Assouline)

Lorsqu'elle proclame « encore debout » sur la couverture, Rachel Khan parle de la République, bien sûr, mais également d'elle. Elle : femme noire et juive de 48 ans, belle, très, guerrière, très très, rieuse, couteau suisse, touche-à-tout jalouse de sa liberté et n'ayant aucune intention de se laisser mettre au pas, et encore moins abattre. Ni par ceux qui, à deux reprises - en mai 2022 et en février dernier -, ont in fine rayé son nom de la liste des ministres alors même que l'affaire était à ce point avancée que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique avait passé sa situation au crible. Ni par ceux lui reprochant d'avoir déjeuné avec Marine Le Pen en 2021 après la parution de Racée, l'essai très remarqué dans lequel elle expliquait que sa couleur n'appartenait pas aux militants de l'antiracisme.

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Dans Encore debout, la productrice-éditorialiste-actrice-scénariste-réalisatrice-écrivaine - « J'ai été danseuse classique, athlète de haut niveau, juriste spécialiste en droit international, en droit humanitaire, conseillère culture dans un cabinet politique [...] ; demain, je serai peut-être peintre, plasticienne, décoratrice, éleveuse de chevaux, femme politique, et plein d'autres choses, j'espère ! » - se concentre sur l'essentiel : son combat contre le différentialisme. « Comment et pourquoi la République nous a appris à ne plus la regarder, à ne plus la respecter ? » s'interroge-t-elle.

Ce livre, qu'elle a voulu dédier à Arnaud Beltrame - le gendarme tué par un terroriste islamiste après s'être volontairement substitué à une otage au cours de l'attaque de Trèbes -, a l'immense Albert Camus pour fil rouge et Romain Gary en guise d'étoile du berger. Elle n'aurait pu se choisir plus haut patronage. Un triangle d'or. C'est d'ailleurs l'auteur de La Peste qu'elle invoque quand il s'agit de justifier le fait de consacrer un nouvel opus à madame la République. « Aujourd'hui, j'ai peur de notre fatigue et de notre résignation. Comme le disait Camus, "si la cruauté révolte, la sottise décourage, et les hommes fatigués de voir la bêtise triompher finiront par se taire, résignés". » La flamme singulière de Rachel Khan est à elle seule un remède contre cette « fatigue ».

Par deux fois, à une quarantaine de pages d'intervalle, elle écrit qu'elle vit « l'infériorité d'être noire, l'inhumanité d'être une vermine juive, la violence d'être musulmane face à l'islamisme, la fragilité post-coloniale d'être blanche ». On sent qu'elle a appris à faire du judo avec ces mots qui cognent, récupérant leur force pour la retourner contre ses ennemis. « Ma mère est juive polonaise, cachée pendant la guerre, mon père sénégalais et gambien, de culture animiste, catholique par ma grand-mère après̀ l'évangélisation, musulman par l'esclavage arabo-musulman et l'islamisation par mon grand-père. C'est pour cela que je n'aurais pas pu naître ailleurs qu'en France. La laïcité a permis ma naissance. [...] Elle nous offre de nous réparer, de nous protéger en nous battant, main dans la main, quelles que soient nos croyances, nos origines, notre couleur de peau. »

Les mots, les idées de cette droite ne sont pas seulement une danse du ventre, mais un baiser mortel

Évidemment, ce livre est, aussi, une réponse au rappeur Médine - qui au cœur de l'été dernier l'avait gratifiée d'un tweet antisémite : « ResKHANpée : personne ayant été jetée par la place hip-hop, dérivant chez les sociaux-traîtres et bouffant au sens propre à la table de l'extrême droite. » Elle ne s'abaisse pas à le citer. « Ce n'est pas moi qui ai été attaquée, c'est la République », écrit celle qui, sur un Net qui l'est si peu, n'hésite pas à ferrailler les pieds dans la boue. Ici, elle prend de la hauteur. La grande vertu de ce texte, c'est le pas de côté. La capacité à penser contre soi-même. Mieux : à écrire contre soi-même. Car, afin de « regarder en face la manière dont ils défendent, soi-disant, la République », elle se fait fort de proposer les plaidoiries des parties adverses - exercice difficile s'il en est : primo, l'extrême gauche victimaire ; secundo, l'extrême droite ; tertio, les pas-de-vaguistes, « ces résistants de décembre 1945 ». Pour finir naturellement par la plaidoirie de l'avocate des universa-listes, c'est-à-dire la sienne.

Encore debout de Rachel Khan

Les passages les plus réussis sont ceux où, avec drôlerie, elle restitue l'essence des argumentaires de ses opposants. Quand elle se met dans la peau d'une avocate d'extrême gauche, elle est meilleure que nombre de mélenchonistes ! Plus loin, elle s'amuse du progressisme des bobos qui, écrit-elle, « ne mange pas de pain. Il s'agit d'un progressisme sans gluten ». La chroniqueuse de CNews met longuement en garde contre l'extrême droite : « Malgré les tourments et la violence de l'extrême gauche, notre cerveau ne doit se laisser aller ni à la vengeance ni à une réflexion binaire. Il est impératif de reconnaître que les mots, les idées de cette droite ne sont pas seulement une danse du ventre, mais un baiser mortel. » Dommage qu'elle ne dise rien de la façon dont le macronisme a renforcé ces extrêmes... Sa radioscopie des « peureux de la République », en revanche, vaut le détour. Ainsi de sa description de leur avocat imaginaire s'avançant vers la barre : « Ses cheveux dessinent dans un flou une raie autour de laquelle des mèches forment les vagues qu'il ne fera pas. Les statistiques, les chiffres, les réglementations qu'il porte dans son dossier en carton sont son armure. Il incarne avec force l'essence même de l'inefficacité bureaucratique. L'esprit est affûté, le cerveau calcule, planifie pour que la mer reste calme. »

Quand elle en arrivera à son autoportrait, elle n'en sera pas moins piquante : une « afro-yiddish » avec « le port altier en héritage d'une formation de danseuse classique contrariée issu du Baol Baol et du shtetl ». Ça a du bon, d'avoir pour maître un Gary donneur des plus belles leçons d'humanité qui se puissent trouver : « L'humour est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive. »

Encore debout - La République à l'épreuve des mots, Rachel Khan, Éditions de l'Observatoire, 160 pages, 20 euros (en librairies mercredi).

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