Panayotis Pascot, miroir d’une génération

L’ancien chroniqueur de « Quotidien » s’impose comme le phénomène littéraire de la rentrée. Autopsie d’un succès inattendu.
(Crédits : Reuters)

Ce jeune homme dit tout, ses larmes, ses peurs, ses pensées les plus noires. Ses rares joies, la confusion de ses sentiments, ses fantasmes refoulés. Panayotis Pascot n'est que fragilités et il l'assume.

« On se sent moins seul quand on le lit », confie Justine, admiratrice de 23 ans.

Sujet principal du récit : le père, mutique, autoritaire, figure vieillissante d'un patriarcat traditionnel, dépassé mais si présent.

« Il décrit exactement ce qui se passe chez moi, poursuit Benjamin, 24 ans. La prise de conscience de notre génération, très ouverte, vis-à-vis de nos parents, verrouillés. »

Adrien, 34 ans, trouve salvatrice cette histoire d'« un garçon homosexuel dépressif au sein d'une famille hétéronormée de province ». Ils sont 700 venus écouter l'auteur de 25 ans lire sa prose dans un théâtre parisien. Les places se sont écoulées en une minute seulement. En librairies, les ventes de La prochaine fois que tu mordras la poussière, édité par Stock, atteignent 80 000 exemplaires. Il s'est classé premier des essais et troisième des ouvrages de littérature, loin devant les derniers opus d'Amélie Nothomb et de Nicolas Sarkozy sortis fin août également. Un exploit inattendu et révélateur.

Ses lecteurs ont moins de 35 ans, sont parfois des adolescents, touchés par l'émouvante franchise de celui qui s'est fait connaître en 2015 dans Le Petit Journal de Canal+, puis par son spectacle seul en scène diffusé par Netflix. D'une écriture cadencée, non dénuée de poésie, Pascot lie deux préoccupations fondamentales, siennes autant que de ses semblables, sources d'angoisses et de doutes : la sexualité et la santé mentale. Il couche avec des femmes, sombre dans la dépression, tombe amoureux d'hommes, pense en finir, trouve le grand amour et les antidépresseurs. Il se sauve de peu.

Panayotis s'est mis à écrire il y a quatre ans, quand son père lui a annoncé être gravement malade, condamné à une mort prochaine. Le père donc, ombre pesante, encombrante, décrit avec tendresse et âpreté, est la raison de cet objet littéraire. L'homme, toujours en vie aujourd'hui, n'est pas un inconnu. Il se nomme Philippe Pascot, fut membre du Parti radical de gauche (PRG) jusqu'en 2009, et élu de la municipalité d'Évry auprès de Manuel Valls. Embonpoint, écharpe blanche et borsalino en toute occasion, il est décrit par un ancien du PRG comme « haut en couleur et donneur de leçons, prompt aux dérapages, ayant compris très tôt la frustration et le ressentiment d'une partie de la population ».

Un militant de terrain implanté à Bondoufle, dans l'Essonne, où grandissent ses six enfants, patron de la Halle du Rock, espace communal tourné vers la création musicale.

Après des années à s'engager à gauche, il choisit de se consacrer à une action de « lanceur d'alerte » et publie six essais avec la vocation de « dénoncer les abus légaux dans lesquels tombe trop facilement la classe politique ». Son credo : remettre en question la légitimité des élus, pourchasser ce qu'il qualifie d'« élite ». Une pente glissante. Il devient porte-voix du mouvement des Gilets jaunes, invité de CNews, de Sud Radio, de la Web télé d'extrême droite TVLibertés. On le voit aux côtés du complotiste Étienne Chouard, ou encore des souverainistes François Asselineau, Nicolas Dupont-Aignan et Florian Philippot.

Sur ce compagnonnage controversé aux accents populistes, Pascot senior ne souhaite pas s'exprimer. Le fils non plus. Ce dernier présente, dans son livre comme sur scène, un modèle masculin opposé à celui qu'incarne Philippe Pascot. Entre eux, l'homosexualité n'est jamais abordée, les tourments de l'introspection non plus. L'angoisse pourtant semble les étreindre tous deux.

« Vous appartenez à cette famille magnifique et lamentable qui est le sel de la terre », écrivait Proust.

Celle des « nerveux ». Le père Pascot veut faire de son fils un homme, au sens « boomer » du terme, un homme sans larmes ni paroles, qui râle, ne se laisse pas faire et sait planter un clou. Le fils, lui, veut se peindre les ongles avec du vernis, aimer qui bon lui semble, pleurer quand ça lui chante.

« Beaucoup de lecteurs se retrouvent dans cette relation complexe au père, indique Anne-Laure Vial, fondatrice d'Ici, plus grande librairie indépendante de Paris. Dès juin, la libraire a été surprise du nombre important de précommandes du livre. »

Elle continue :

« Le nouveau genre d'homme, vulnérable, sensible, que Panayotis dépeint, c'est ce qu'apprécient ses lecteurs. »

« C'est une ode à l'affranchissement, poursuit le producteur Jean-Marc Dumontet. Son livre est militant, sans le vouloir. Son spectacle, dans le monde viriliste du stand-up, l'était aussi. »

Dumontet l'a connu à 13 ans, au Festival d'Avignon, où Pascot distribuait des cartes de visite qu'il s'était fabriquées. Ambitieux déjà, déterminé, travailleur. « Un gamin doué et insupportable », lance affectueusement ce patron de théâtres devenu ami. Le précoce tourne des vidéos sur le site Vine et va attendre les artistes à la sortie des spectacles, Alex Lutz notamment, qui finit par le prendre sous son aile. Canal+ est encore la chaîne qui compte, le collégien rêve d'en être.

« À force de regarder les photos de soirées Canal, il a remarqué mon nom et m'envoyait des messages Facebook, même la nuit, se souvient Christelle Graillot, "repéreuse" de talents pour les talk-shows du groupe. Je lui ai fait tourner un pilote, hilarant, et lui ai demandé d'écrire dix minutes de sketch pour un événement Vivendi. Il sortait du lot. »

À 17 ans, élève en terminale, il devient chroniqueur du Petit Journal, et prend dans la bande de Yann Barthès la place de l'intervieweur loufoque, à la manière d'un Raphaël Mezrahi.

À cette époque, la mélancolie ne le laisse pas dormir, s'immisçant partout, le laissant à peine respirer, juste le temps de faire son job devant la caméra. La jeune vedette lutte, en vain. Des pensées suicidaires l'envahissent. Il démissionne. L'un de ceux qui l'ont côtoyé à Quotidien confie avoir découvert son mal-être en le lisant cet été :

« Quand on travaillait ensemble, je ne voyais que la force d'un adolescent extrêmement talentueux. Il n'avait pas l'air fragile et tenait le monde à distance en étant dans l'ironie constante. »

Sur scène en ce début d'automne, Panayotis Pascot raconte ses insomnies, son besoin d'écrire, ce père qu'il a voulu « étrangler » et a fini par prendre dans ses bras. Il se rêve réalisateur et travaille actuellement à une adaptation cinématographique de son livre. De celui qui partage sa vie, famille que l'on se choisit, jardin secret à protéger, il ne dit pas un mot. Enfin si, un seul, ce surnom qu'il lui a donné : « Bonheur ».

La prochaine fois que tu mordras la poussière, Stock, 240 pages, 19,50 euros

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Commentaire 1
à écrit le 08/10/2023 à 9:08
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"La prise de conscience de notre génération, très ouverte, vis-à-vis de nos parents, verrouillés." En effet et il faut savoir que les jeunes ont raison mais que les vieux ne font pas exprès d'être butés, que le système nous a ravagé l'esprit et que m...

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