LA TRIBUNE - Le titre de votre dernier ouvrage pointe « la France de l'à-peu près ». La France est-elle partisane du moindre effort ?
NICOLAS BOUZOU - Il n'est pas question de généraliser autant. Certains indicateurs montrent que la France est l'un des pays de l'OCDE où l'on travaille le plus. Non, la France n'est pas atteinte d'une épidémie de paresse. Le principal problème est le déclin de l'idée du travail bien fait. Cela s'est vu dans le taux de désengagement que l'on a appelé la grande démission. Ce phénomène est néanmoins désormais relativisé. Il est davantage question de rotation que de démission. Il existe également une part de responsabilité des entreprises. Le confinement a contribué à modifier le regard sur le travail, induisant une prise du recul et une demande accrue d'autonomie, de sens...
La recherche de souveraineté - numérique, industrielle, alimentaire - est-elle une utopie ?
En matière de réindustrialisation, nous avons une obligation sur le papier. La réindustrialisation bouleverse les chaînes logistiques, réduit la mondialisation. Mais si nous voulons réindustrialiser, il faut accepter les usines. Or, une partie de la population souhaite une réelle réindustrialisation, mais pas d'usines. Nous sommes ainsi mis face à nos contradictions.
Le pays, le monde font face à une crise. Pourtant, on n'a jamais autant parlé de taxation des superprofits. Est-ce vraiment le coeur du problème ?
Il existe une montée du ressentiment dans notre pays. La NUPES instrumentalise une politique sur cela. Or, cela n'a rien à voir avec les problématiques qui se posent à la France en matière d'investissement, d'énergie décarbonée, d'éducation...C'est une mauvaise passion. Cela relève de la perte de la valorisation de l'excellence. C'est ce qui fait que l'on vilipende les patrons de grandes entreprises. Bernard Arnault, le PDG du groupe LVMH, est très critiqué en France, notamment pour être l'homme le plus riche du monde. Mais LVMH est un groupe constitué de plusieurs entreprises qui emploient des centaines de milliers de salariés.
On a aussi beaucoup évoqué le concept de décroissance heureuse...
La décarbonation, quoi qu'on en dise, produit forcément de la croissance. Il s'agit d'inventer, de mettre en place des économies circulaires qui génèrent de nouveaux emplois. La décroissance, en pratique, suppose de passer par des interdictions. Et le processus d'interdiction ne s'arrête alors jamais.
Un sujet fait également débat actuellement : celui des entreprises qui rachètent leurs actions. Est-ce une bonne chose ou pas ?
Si l'entreprise n'a pas identifié de projet d'investissement dans l'économie réelle, elle a raison de racheter ses actions. Mais ce sont alors des entreprises qui doivent augmenter de façon significative les salaires. Si on demande aux salariés de faire des efforts, ils doivent pouvoir bénéficier du fruit de leur travail, notamment face à une perte de pouvoir d'achat.
Dans votre ouvrage, vous évoquez le large sujet de la recherche. Au pays du Crédit Impôt Recherche (CIR), qui est une particularité française, on manque donc d'excellence en R&D ?
La France n'est pas un pays très innovant sur certains sujets. IA (intelligence artificielle), numérique, deeptech... Nous n'avons pas de game changer. Et cela n'est pas uniquement un problème français, c'est une problématique également européenne. Si nous voulons faire jeu égal avec la Chine, par exemple, il nous faut avoir la politique qui va avec. Quant à la question de réglementer l'IA, nous sommes à côté du sujet. Nous n'avons pas de politique structurée, mais nous avons une pensée morale. Or, ce n'est pas la morale qui fait la croissance. Je ne dis pas qu'il ne faut pas de réglementation. Mais il ne faut pas interdire ce que nous n'avons pas été capables de faire.
Faut-il une France davantage protectionniste ?
Non, car dans le protectionnisme, tout le monde est perdant. Il faut être davantage pragmatique dans les aides aux entreprises. Prenons l'exemple de l'IRA (Inflation Reduction Act, NDLR) américain : à partir du moment où aux Etats-Unis l'argent est fléché vers les entreprises afin de décarboner l'industrie, l'Europe doit faire de même. Cela relève du bon sens. En termes de fiscalité, en France, les impôts de production ont baissé. Les investissements des entreprises demeurent élevés. Pour ce qui est des projets, nous sommes bien placés. Et, il y a de l'emploi. La problématique majeure qui concerne les entreprises est donc bien plus une problématique normative qu'une problématique fiscale.
Doit-on s'inspirer de nos voisins européens ?
Il y a plein de choses à faire ! La marche à monter, en France, n'est pas si haute que cela. La situation s'est dégradée peu à peu et, à force, nous avons abouti à un effondrement. C'est ce qui s'est passé dans le domaine de l'éducation, dans le domaine de la santé avec la crise qui touche l'hôpital. Et cela s'est produit sans que nous ne nous en rendions compte. Il faut s'attaquer à la bien-pensance. Le grand sujet est clairement celui de l'Education Nationale. Car en la matière, c'est de l'à peu près.
Comment changer de mentalité ?
Il faut valoriser les exemples de réussite, faire un contrepoids médiatique. Et cela dans le domaine industriel, sportif... Les médias ont un rôle important à jouer. Des sportifs comme Kylian Mbappé contribuent à valoriser une bonne image d'une France qui réussit. La revalorisation de l'excellence dans notre pays est fondamentale.