Alimentation : la « shrinkflation », cette combine qui vise à réduire les quantités pour faire passer l’inflation

Pour éviter d'augmenter brutalement leurs prix et faire fuir les consommateurs, les industriels, restaurateurs, ou autres boulangeries, réduisent les quantités. Appelée « réduflation » ou « shrinkflation », cette technique permet aux professionnels de rester compétitifs malgré l'inflation et de maintenir les marges.
Dans l'actuel contexte de crise, un nombre croissant de restaurateurs utilisent la « réduflation » car, sinon, ils ne feraient pratiquement aucun bénéfice.
Dans l'actuel contexte de crise, un nombre croissant de restaurateurs utilisent la « réduflation » car, sinon, ils ne feraient pratiquement aucun bénéfice. (Crédits : Reuters)

Moins de bouchées dans la boîte de chocolats vendue dans les supermarchés, des portions qui se réduisent dans les assiettes des restaurateurs, des baguettes de pain ou des sandwichs plus petits dans les boulangeries... Bienvenue dans le monde de la « réduflation » (un terme qui associe les termes de réduction et d'inflation) ou de la « shrinkflation » en anglais (qui vient du verbe « shrink », rétrécir), une combine discrète mise en place par certains industriels et restaurateurs qui consiste à diminuer les quantités tout en conservant un prix de vente stable, voire légèrement augmenté, afin d'éviter des hausses brutales des prix et faire fuir les clients. Un moyen pour les professionnels de rester compétitif malgré l'inflation sans rogner sur les marges. Constatée pour la première fois en 1987, au Royaume-Uni, la technique revient en force un peu partout dans le monde depuis quelques mois avec la flambée des prix.

Un phénomène mondial

Elle trouve son origine dans l'explosion des coûts de production des industriels, des restaurateurs ou autres boulangeries (énergie, transport, emballage) et des matières premières agricoles. Les restaurateurs français par exemple ont vu les prix pratiqués par leurs distributeurs CHD (Consommation Hors Domicile) augmenter de 13% en moyenne pour le deuxième semestre 2022, selon le cabinet Food Service Vision, avec une explosion des prix de certains produits alimentaires comme le bœuf (+28,2%) ou la moutarde (+23,9%). S'ajoutent aussi les revalorisations salariales depuis le 1er avril 2022 en moyenne de 16,3%. Pour autant, la « shrinkflation » croissante n'a pas empêché les hausses de prix des menus. Selon une enquête Food Service Vision et Groupement national des indépendants Hôtellerie et Restauration, 40% des professionnels de la restauration assurent également avoir augmenté leurs prix depuis janvier 2022.

Le phénomène de réduction des portions dans les assiettes se retrouve également outre-Atlantique. Selon une étude du site Yelp publiée en juillet 2022, la restauration fait partie des secteurs les plus touchés par ce phénomène, notamment la restauration rapide. L'étude démontre en effet que ce sont principalement les restaurants qui servent de la « nourriture abordable » qui ont le plus recours à cette méthode. Fast-foods, pizzérias, restaurants chinois et italiens diminuent considérablement les portions de leurs plats.

« La restauration rapide, qui fonctionne plus sur de l'assemblage de produits bruts, avec des incontournables comme des burgers-frites, va avoir plus de difficultés, avec l'augmentation du prix du bœuf et de l'huile. Elle n'a pas la même flexibilité que la restauration de table, qui va pouvoir adapter ses plats du jour », explique Florence Berger, directrice associée du cabinet de conseil Food Service Vision, dans leur dernière Revue Stratégique.

Certaines chaînes de restauration rapide telles que Burger King et Domino's Pizza ont annoncé vouloir diminuer les portions face à l'inflation dès janvier 2022 tandis que d'autres ont préféré augmenter leurs tarifs, à l'exemple d'établissements de kebab en France ou encore du géant McDonald's aux États-Unis (hausse des prix du groupe de 2,7% en début d'année).

Une limite à ne pas dépasser

Les prix ont beau ne pas augmenter, les clients râlent néanmoins. L'enquête de Yelp révèle qu'un nombre croissant de consommateurs se plaint de cette fameuse « shrinkflation ». N'y aurait-il pas néanmoins un seuil à ne pas franchir ? En effet, diminuer les portions en laissant le prix inchangé est une pratique dont l'éthique est discutable. Elle pourrait porter atteinte à la clientèle et, en parallèle, entraîner une baisse de la fréquentation dans les établissements de restauration.Cependant, depuis quelques années, certains s'accordent sur le fait que les portions servies dans les restaurants étaient trop importantes. Une étude publiée en 2018 par une équipe internationale de scientifiques, avec l'appui de la FAPESP (The São Paulo Research Foundation), montrait que 94% des plats principaux les plus populaires servis dans les restaurants assis étaient trop caloriques et dépassaient les recommandations de santé publique visant à lutter contre l'obésité. Ainsi, une réduction des portions pourrait permettre de lutter contre ce problème mais également contre le gaspillage alimentaire.

En tout cas, la pratique est dans le viseur de certaines associations, notamment de Foodwatch, qui « milite pour la transparence dans le secteur agroalimentaire ». Dans l'émission « Complément d'enquête » diffusée jeudi soir sur France 2, Foodwatch épingle six marques « qui ont modifié la taille de leurs produits phares ces dernières années ». Ainsi, les boîtes de chocolat Pyrénéens au lait de Lindt ont été amputées de six bouchées, passant de 30 à 24 et réduisant le poids global de 20%. Alors que le prix au kilo, relevé chez le distributeur Carrefour, a bondi de 30% depuis 2020, la hausse du prix de la boîte a été limitée à 4%... Salvetat, propriété de Danone, a réduit la taille de ses bouteilles d'eau de 1,25 litre à 1,15 litre en 2020. Au final, le prix de la bouteille augmente peu (+5%), tandis que le prix au litre a grimpé de 15% chez Intermarché. Foodwatch souligne d'ailleurs que la mention « Format généreux comme les gens du Sud » a disparu de l'étiquette.

Pour se justifier, Lindt France explique que « le prix au kilogramme a augmenté, reflétant la volatilité et la hausse des coûts de (ses) opérations », selon un courrier adressé à Foodwatch et consulté par l'AFP.

Concernant les prix, certains se défaussent sur les grandes surfaces : « Nous ne pouvons que conseiller un prix de vente que le distributeur est libre d'appliquer ou non », écrit le service consommateurs de Danone France. Les informations sur l'emballage sont toutefois de leur fait. La réduction des quantités « est une pratique tout à fait légale, à condition d'indiquer le poids du produit de manière claire sur l'emballage pour ne pas tromper le consommateur », explique Guillaume Forbin, avocat spécialisé en droit de la consommation chez Kramer Levin.

Selon l'analyste financier John Plassard, du gestionnaire de fonds Mirabaud, environ 2% des produits alimentaires vendus en grande surface pourraient être concernés par la « shrinkflation », céréales et tablettes de chocolat en tête. L'analyste met également le doigt sur un autre phénomène, la « cheapflation » (de l'anglais « cheap », bon marché). Il consiste à « remplacer certains produits ou aliments par des substituts (alimentaires ou non) moins chers ». Il donne l'exemple, aux Etats-Unis, d'une crème glacée devenue « dessert glacé », car « on lui a retiré tellement de produits laitiers (...) qu'elle ne peut plus être légalement appelée crème glacée ».

Si cela peut « poser un problème d'image », dans le cas où « la liste d'ingrédients sur l'emballage a bien été changée », rien d'illégal là non plus, commente Guillaume Forbin. Celui qui ne respecte pas le droit « très strict » de la consommation s'expose à « des amendes très élevées ». Autre procédé : le spécialiste de la consommation Olivier Dauvers pointe sur son blog l'exemple d'une boîte de nourriture pour bébé du géant Nestlé, dont la taille a... augmenté, de 400 à 415 grammes. Elle est vendue bien plus cher que le modèle précédent (+23% du prix au kilo). Mais la pilule passe grâce au nouvel emballage vantant un mélange contenant désormais « 5 céréales », un produit supposé de meilleure qualité.

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Une pratique que l'on retrouve dans les cantines

La restauration collective est également touchée par la « réduflation » et certaines écoles ont décidé de recourir à cette pratique afin de ne pas augmenter les prix des repas. La cantine scolaire de Caudebec-Lès-Elbeuf en Seine-Maritime, avec l'accord des parents d'élèves, a réduit les portions des repas en ne proposant qu'un plat principal accompagné d'une entrée, d'un fromage ou d'un dessert. Nos confrères de BFMTV rapportent qu'à cause de l'inflation, l'augmentation budgétaire s'élevait à « près de 32.000 euros par an » dans la ville. Cette solution permet donc de faire des économies qui, selon la ville, n'auront aucune répercussion sur les enfants.

« C'est mieux qu'ils enlèvent un aliment dans le repas plutôt qu'augmenter le tarif, surtout quand on a plusieurs enfants qui mangent à la cantine », explique un des parents à BFMTV.

Finalement, le magazine de la ville de Caudebec-Lès-Elbeuf insiste sur le fait que cette mesure contribuera également à la baisse du gaspillage alimentaire quand celui-ci représentait 21 kilos de nourriture par enfant et par an selon une étude menée en mars 2022.

Commentaires 3
à écrit le 02/09/2022 à 17:46
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Hélas, cela s'accompagne souvent avec une augmentation du prix également... faut pas rêver, les industriels et autres feront toujours tout pour émarger un maximum:) Jadis, les pochons pour chats faisaient 100g, puis 85g,....bientôt ils vendront de l'...

à écrit le 02/09/2022 à 9:52
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J'avais vu ça y a qq années pour le thé Twinnin* en boite métal, 200g depuis des lustres et d'un coup, 180g. Le Darjeeling avait augmenté de prix (y avait des troubles dans le pays producteur). Réduction de quantité et petite hausse du prix unitaire ...

à écrit le 02/09/2022 à 9:29
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de même ! les français ne font guère confiance a leur président ! un changement d HORIZON est attendu à lire le FIGARO

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