
Et voici qu'un dimanche Emmanuel Macron décida de remettre à janvier la présentation du projet gouvernemental sur les retraites. L'annonce était prévue pour le 15 décembre. Elle est désormais décalée au 10 janvier. Histoire de ne pas échauffer les esprits au cours des réveillons de Noël et Nouvel An ? Histoire de statuer sur l'ampleur de la « réforme » ? On apprenait ces derniers jours qu'Elisabeth Borne avait finalement une préférence pour un départ à la retraite à 64 ans alors que le chef de l'État avait claironné ces derniers temps son soutien à un départ à 65 ans. Le président et sa première ministre joueraient-ils au traditionnel good cop bad cop ? Ou essaient-ils de gagner du temps pour remporter l'adhésion des Républicains qui se sont désormais trouvés un nouveau chef en la personne d'Éric Ciotti ?
Que va faire la CFDT ?
En fait, si l'on en croit une indiscrétion de Politico, ce report aurait été demandé (et remporté) par Elisabeth Borne très mécontente des discussions menées par Olivier Dussopt, le ministre du Travail, du « Plein emploi » et de l'Insertion, et son cabinet, avec les partenaires sociaux. Mais pas du tout répliqua l'entourage d'Olivier Dussopt dans Le Canard Enchaîné en confiant à la page 2 du palmipède que c'est le ministre qui avait en fait convaincu le président qu'il était « habile de donner encore du temps à la concertation ». Selon ces indiscrétions, Dussopt serait sur le point de convaincre la CFDT de ne pas s'opposer au texte si le gouvernement y intégrait des éléments sur la « pénibilité », comme le travail de nuit, le fait de devoir porter des charges, ou sur l'état de santé du salarié. Quoi qu'il en soit : c'est bien Borne, et non Dussopt, qui sera finalement chargée de finaliser les discussions avec les syndicats en janvier.
Karma
Pour Dussopt, c'est assez cocasse. Peu de gens ne le rappellent, mais comme un certain Richard Ferrand, cet homme de 44 ans est issu à l'origine des rangs de la gauche du PS. Plus précisément, de l'équipe de Martine Aubry. Il était même son porte-parole quand celle-ci était la première secrétaire du PS. Et cette semaine, justement, comme un retour de karma, ce sont certains de ses anciens camarades de Territoires de progrès, cette « aile gauche » de la macronie, qui lui ont rappelé quelques fondamentaux concernant la question des retraites.
Anciens camarades car, en rupture avec l'orientation politique d'Emmanuel Macron dans ce second quinquennat, ils ont lancé récemment le nouveau parti Demains avec à leur tête l'avocate Najwa El Haïté, adjointe au maire d'Evry, une ancienne proche de Manuel Valls. Et leur rappel à Dussopt n'est pas passé inaperçu : Marie-Noëlle Groch, membre du conseil politique de Demains, et Pierre Venteau, président du conseil politique de Demains, ont pris la plume dans Les Échos pour réclamer une réforme « juste à défaut d'être ambitieuse ! » (https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-retraites-pour-une-reforme-juste-a-defaut-detre-ambitieuse-1888690) : « Le projet ambitieux, durable et de justice sociale d'un système de retraite universel à point avait conquis en 2017 les sociaux-démocrates épris de progrès que nous sommes. Le projet paramétrique qui nous est aujourd'hui proposé au nom d'un équilibre budgétaire discutable et discuté ne peut rester purement comptable. Il aura à faire face à une hostilité qui ne manquera pas de se manifester dans la rue avec un impact économique que notre pays n'est sans doute pas en mesure de se payer à cette heure. La seule façon de changer cette issue est de s'assurer que cette réforme s'accompagne de mesures de justice sociale et, en préalable de dispositions permettant de redonner de la confiance aux Français ».
Darmanin inquiet
Ah les manifestations dans la rue ! Lors du mouvement de grève dans les raffineries et les centrales nucléaires en octobre, la gauche et les syndicats en rêvaient. Et pourtant, les Français ne sont guère déplacés dans les rues et n'ont pas montré alors qu'ils étaient prêts à en découdre, pour le plus grand soulagement du gouvernement. Mais avec la guerre en Ukraine qui s'éternise, comme l'inflation, et la crise énergétique, une partie des Français commence réellement à être à bout. C'est d'ailleurs l'inquiétude numéro un du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Ce dernier a demandé à ses troupes du Renseignement Territorial (RT) de mener une veille constante dans l'ensemble du territoire pour jauger du moral des Français, et surtout, des petits entrepreneurs français. Car a delà des salariés, et du front des retraites, le gouvernement et Emmanuel Macron redoutent au plus au point un retour des « Gilets Jaunes » pour 2023. Dans les couloirs du pouvoir, l'inquiétude est à son comble.
Et pour ne rien arranger, si les sénateurs LR menés par Retailleau pourraient soutenir le texte du gouvernement si celui-ci fixait à 64 ans (et non à 65 ans) le départ de l'âge à la retraite, de nombreux députés LR à l'Assemblée Nationale, soucieux de répondre à la colère populaire (et contre l'avis de Nicolas Sarkozy qui commence à énerver de nombreux Républicains), seraient tentés cette fois-ci par le dépôt d'une motion de censure. Et dans ce scénario catastrophe, c'est bien le gouvernement qui sauterait. De quoi donner quelques sueurs froides à l'exécutif pour les fêtes qui viennent.
Marc Endeweld
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