Est-ce désormais réalisable ? Alors que Bercy tablait sur une croissance à 1,4% pour cette nouvelle année, une prévision qui a d'ailleurs permis de bâtir le budget 2024, Bruno Le Maire a annoncé la veille revoir les prévisions françaises. Au 20 heures de TF1, le ministre de l'Economie a dû jouer les annonciateurs de mauvaises nouvelles en tablant désormais sur une croissance à 1%.
Une annonce pas si surprenante et même attendue. « Nous le savions déjà depuis fin 2023, la prévision de 1,4% de croissance de Bercy était irréaliste », pointe Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of management. Elle est désormais plus réaliste qu'avant, mais encore légèrement éloignée des prévisions de certaines institutions.
Même si le Fonds monétaire international (FMI) porte la même estimation que Bercy, l'OCDE, quant à elle, prévoit pour la France une croissance de 0,6%, selon son dernier rapport intermédiaire datant de février. Pas de quoi déstabiliser le ministre, qui argue ce lundi dans un point presse sur les récentes annonces que « dans le fond, le meilleur prévisionniste, c'est le gouvernement, puisque c'est lui qui s'est le plus approché de ce que fait réellement la croissance française en 2023... ».
Faiblesse de l'investissement
Mais pourquoi ce revirement dans les prévisions ? Le gouvernement s'inquiète notamment du « nouveau contexte géopolitique », pointe Bruno Le Maire, avec le ralentissement économique de la Chine, qui a notamment un impact sur le commerce extérieur mondial. Le moteur de l'Europe, l'Allemagne, a également subi une déconfiture en 2023 avec une activité en repli, touchée de plein fouet par la crise de l'énergie.
Au-delà des raisons géopolitiques, cette année « la croissance change de nature », rapporte Denis Ferrand, directeur général de Rexecode. Alors qu'elle était jusqu'ici portée par les dépenses des entreprises, c'est-à-dire leurs investissements, la réalité est désormais tout autre. « C'est de là que vient la principale menace qui pèse sur la croissance », affirme l'économiste.
Les entreprises font ainsi face à des situations de trésoreries de plus en plus compliquées couplées à une hausse des taux. De ce fait, elles investissent beaucoup moins. Cette année, ce serait donc la consommation des ménages qui permettrait de soutenir la croissance. Grâce notamment à « une progression des salaires supérieure à l'inflation », ou encore le ralentissement de l'inflation, précise l'économiste.
Une inflation qui est d'ailleurs responsable de ces chiffres de croissance. « Le ralentissement économique, c'est le prix à payer de la victoire contre l'inflation », estime Bruno Le Maire. « Chacun doit bien mesurer à quel point cette augmentation spectaculaire des taux a pesé sur la croissance en Europe et dans le reste du monde », défend-il.
Pour rappel, pour contenir l'inflation, la Banque centrale européenne a augmenté à de nombreuses reprises ses taux d'intérêts, ce qui a eu pour effet de réduire l'investissement et le pouvoir d'achat. Il ne faut cependant pas crier victoire trop vite, car des incertitudes demeurent. Notamment concernant le secteur des services. Pour Denis Ferrand, avec l'évolution des salaires, « on peut observer des signes quant à la formation d'une boucle entre les salaires et les prix », explique-t-il.
Baisse des dépenses
Cependant, qui dit moins de croissance, dit également une baisse des dépenses. Le gouvernement a, en effet, annoncé un plan d'économies de 10 milliards d'euros sur les dépenses de l'Etat, qui sont passées de 320 milliards en 2019 à plus de 400 milliards en 2024. « On gagne moins, on dépense moins. Je pense que c'est une règle de bon sens », estime Bruno Le Maire. Dans le détail, le gouvernement compte rogner 5 milliards dans les dépenses de fonctionnement des ministères en décalant, par exemple, ses recrutements ou encore en réduisant la facture des achats de l'Etat.
Et il compte économiser 5 autres milliards dans différents secteurs. Pour cela, Thomas Cazenave, ministre des Comptes publics a annoncé la réduction de l'ampleur de certaines aides notamment concernant l'aide publique au développement ou encore le fonds vert à destination des collectivités territoriales. Enfin, le gouvernement révise également différentes politiques publiques, à l'image de MaPrimeRénov' sur laquelle il compte en revoir également « l'ampleur » ou même en revoyant les conditions de mobilisation du compte personnel de Formation, le fameux CPF.
Le gouvernement précise tout de même que cette réduction ne se fait pas au détriment du budget de la sécurité sociale ou à celui des collectivités locales. Et surtout qu'il n'y aura pas d'augmentation des taxes et des impôts.
Quel impact sur la croissance ?
Quid de l'impact de cette baisse des dépenses sur la croissance ? « Réduire les perspectives de croissance, impose davantage d'austérité budgétaire », souligne l'économiste Eric Dor, « mais cette austérité peut être de nature à rendre la croissance du PIB moins bonne qu'initialement ». Même son de cloche pour Denis Ferrand : « Moins de dépenses publiques, c'est moins de soutien immédiat à la croissance ».
Néanmoins, les deux experts s'accordent sur la nécessité de juguler le déficit public. « Pour éviter l'alourdissement des conditions de financement de la dette, il faut maîtriser les finances publiques », argue Denis Ferrand. La charge sur la dette, qui représente toutes les dépenses de l'Etat destinées au paiement des intérêts de sa dette, « est passée de 35 milliards d'euros il y a peu à désormais plus de 50 milliards. Avec une trajectoire de remontée des taux, on pourrait arriver à 80 milliards d'euros », estime l'économiste. « Le coût de la dette devient prohibitif », lance-t-il.
L'enjeu pour la France est donc de stabiliser sa dette pour garder la confiance des marchés, afin d'éviter un scénario « à la sauce grecque », pointe Eric Dor. La Grèce avait traversé dans les années 2010 une grave crise de sa dette publique, ayant eu pour conséquence une lourde chute du PIB, ainsi que du revenu disponible des ménages. La France a alors intérêt à envoyer les bons signaux aux investisseurs et autres agences de notations. D'autant que le verdict de Fitch et Moody's est attendu le 16 avril et celui de S&P Global Ratings, le 31 mai.