Bercy veut montrer qu'il passe au vert. Pointé du doigt par les associations environnementales et les ONG, le ministère de l'Economie et des finances a redoublé d'efforts ce mardi 5 décembre pour accueillir en grande pompe le co-fondateur de Microsoft Bill Gates, une flopée de ministres, des pontes de l'administration française, des économistes de renom et des acteurs de la transition écologique.
En pleine COP28, Bruno Le Maire a tracé les grandes ambitions de l'Hexagone dans les décennies à venir. « La France doit devenir la première économie verte d'Europe en 2040 », a-t-il déclaré en préambule de la troisième édition des rendez-vous de Bercy sur le thème de la « Croissance et du climat ».
« L'écologie n'est pas un choix politique. C'est une obligation humaine [...] Elle peut contrarier notre liberté et contrevient parfois nos habitudes. C'est pourtant avec ces habitudes de consommation et de production qu'il faut rompre. L'écologie amène nécessairement une rupture », a-t-il poursuivi dans le centre de conférences Pierre Mendès France, qui pour l'occasion était bondé.
Lors de son discours, il a fustigé « le déni » sur l'accélération du dérèglement climatique. Mais aussi « le catastrophisme qui confine souvent à l'inaction ». Le locataire de Bercy a plaidé pour « le volontarisme ». Responsable du budget du pays, Bruno Le Maire a également évoqué « les coûts » de cette rupture pour « les finances publiques », « les intérêts privés » et « les ménages ». Actuellement sous la surveillance des agences de notation, l'exécutif ne cesse de vouloir donner des gages de « sérieux budgétaire ». Mais sa stratégie de rétablissement des finances publiques pourrait bien buter sur les besoins vertigineux d'investissements dans la transition écologique.
110 milliards d'euros d'investissements à partir de 2030
A la demande de Bruno Le Maire, la puissante direction générale du trésor (DGT) a remis au gouvernement ce mardi 5 décembre un rapport intermédiaire particulièrement documenté. Centré sur les enjeux économiques de la transition vers la neutralité carbone, ce travail préparatoire vise notamment à faire une évaluation du montant des investissements nécessaires pour réussir à atteindre les objectifs de la France d'ici 2050.
Résultat, les économistes du ministère des finances chiffrent les besoins d'investissements supplémentaires à 110 milliards d'euros bruts par an à partir de 2030. Sans rentrer dans les détails, la direction générale du trésor (DGT) explique que ces investissements permettront de faire des économies d'énergie.
Les précisions de ce rapport devraient être rendues publiques dans un document de travail à paraître l'année prochaine. En parallèle, les investissements dans les secteurs fossiles devraient décliner. « La montée en charge des véhicules électriques et des efforts de sobriété permettrait par exemple de réduire les investissements bruns dans les véhicules thermiques d'environ 37 milliards d'euros par an en 2030 », soulignent les rapporteurs.
Au final, le solde pourrait avoisiner les 75 milliards d'euros. Cette somme est relativement « cohérente » avec le chiffrage du rapport Pisani Mahfouz. Au printemps dernier, les deux économistes avaient estimé le montant des investissements nécessaires à la transition à 66 milliards d'euros.
« Il faudra faire beaucoup d'investissements en peu de temps »
Invité à débattre avec le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI) Pierre -Olivier Gourinchas, l'économiste Jean Pisani-Ferry s'est dit « optimiste » sur les coûts.
« Il n'y a pas de raison de penser que le coût des énergies renouvelables sur le long terme sera plus élevé que le coût des énergies fossiles », a-t-il déclaré. « Comme on est très en retard, il va falloir faire beaucoup d'investissement en très peu de temps », a-t-il prévenu. L'ancien conseiller d'Emmanuel Macron n'a pas écarté les difficultés à court terme. « Il va y a voir des pertes en capacités de production et en capital ».
Outre les destructions d'emplois et les fermetures d'usines, l'expert a également tiré la sonnette d'alarme sur « le capital naturel ». « Aujourd'hui, ce capital est sérieusement menacé », a-t-il averti. « On parle des eaux, des forêts, de la biodiversité. Notre mesure de la prospérité par le PIB n'est pas adéquate car elle n'est pas corrigée des dégâts et dommages à l'environnement. La France va avoir besoin d'un tableau de bord ».
Huit points de PIB perdu dans un monde à +3°C
Les dommages d'un réchauffement planétaire à +3°C sur la France pourraient faire grimper la facture à un niveau stratosphérique. Les économistes de Bercy évoquent notamment un coût de 8 points de produit intérieur brut (PIB), soit plus de 210 milliards d'euros dans un scénario noir.
Les experts, qui citent le Network of Central Banks and Supervisors (un réseau de banques centrales et de superviseurs financiers à l'échelle mondiale), prennent en compte les destructions de capital liées aux événements climatiques extrêmes et les pertes de productivité relatives aux fortes chaleurs.
A cela s'ajoutent les coûts en termes de santé humaine encore difficilement chiffrables. « Il est possible que les dommages soient plus élevés que ces estimations », souligne Bercy. « Aujourd'hui, on sait bien mesurer l'activité économique. Mais on ne sait pas bien mesurer les dommages à l'environnement », a regretté Jean Pisani Ferry lors de la conclusion de son intervention. Reste à savoir s'il sera entendu par Bercy.