Après les constats, place à l'action. Tel est le principal message du Giec, le groupe d'experts intergouvernemental sur le climat réuni sous l'égide de l'ONU, dans la synthèse de son dernier cycle de travaux publiée lundi. Car pour désamorcer la bombe à retardement climatique, toutes les solutions se trouvent désormais « à portée de main » des décideurs, peut-on lire dans ce document, qui condense les six rapports publiés par l'institution depuis 2015. Et même si celles-ci demanderont, à court terme, « des investissements élevés et des changements potentiellement radicaux », les scientifiques sont sans appel : « les bénéfices économiques et sociaux dépasse[ront] » le coût des mesures à mettre en place, aussi chères soient-elles.
En effet, un scénario d'évolution des températures au-delà de +2°C, vers lequel le monde se dirige d'ailleurs (+3,2°C en moyenne avec les politiques actuellement mises en œuvre), entraînerait des « pertes et dommages » très onéreux, aussi bien en matière de santé publique que d'adaptation des infrastructures ou du modèle agricole, par exemple. Surtout, repousser l'échéance d'une action radicale n'arrangera pas les choses, bien au contraire : en plus d'impacts supplémentaires du réchauffement à gérer, des mesures d'atténuation et d'adaptation retardées « bloqueraient les infrastructures à fortes émissions » et « augmenteraient les risques d'actifs bloqués et d'escalade des coûts », avertissent les experts.
Ces conclusions rejoignent celles du dernier rapport d'avril 2022, dans lequel le Giec alertait déjà sur l'avantage économique d'une transition ambitieuse. A l'époque, les experts affirmaient en effet que rester sous la barre des +2°C nécessiterait, d'ici à 2050, de mobiliser chaque année en moyenne entre 0,04% et 0,09% du PIB mondial « seulement ». Et ce, sans même prendre en compte les co-bénéfices engendrés, à la fois sur la santé, la pollution, ou encore la réduction du coût des catastrophes ou de l'adaptation. En comparaison, l'absence d'actions ambitieuses pourrait faire perdre au PIB de l'Union européenne, par exemple, 4% d'ici à 2030 et plus de 10% d'ici à 2100, en comparaison d'un scénario de mise en place de politiques actives de transition, pointait fin 2021 la Banque centrale européenne (BCE).
Les options à moins de 100 dollars par tonne de CO2 évitée suffiraient à réduire de moitié les émissions d'ici à 2030
Concrètement, le Giec pointe plusieurs « options d'atténuation » pour lutter contre le réchauffement climatique, dont les coûts s'avèrent plus ou moins élevés. Ainsi, le déploiement des panneaux solaires permettrait d'économiser jusqu'à 4,4 milliards de tonnes de CO2 par an d'ici à 2030, pour un coût inférieur à 100 dollars la tonne de CO2 en moins - représentant ainsi le plus grand potentiel. L'énergie éolienne, elle, conduirait à éviter l'émission de presque 4 milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère pour le même coût. En ajoutant la réduction des rejets de méthane, l'efficacité énergétique ou la décarbonation des transports, notamment, « les options coûtant 100 dollars la tonne de CO2 ou moins » pourraient ainsi « réduire les émissions mondiales d'au moins la moitié du niveau de 2019 d'ici à 2030 » au global, affirme le rapport.
Et pour cause, la dernière décennie a été marquée par « des baisses soutenues des coûts unitaires de l'énergie solaire (85%), de l'énergie éolienne (55%) et des batteries lithium-ion (85%) », rappellent les experts. Dans ces conditions, et alors que la tarification du CO2 commence à s'imposer dans plusieurs régions du monde, « le maintien de systèmes à forte intensité d'émissions » peut même, dans certaines régions et certains secteurs, « être plus coûteux que la transition vers des systèmes à faibles émissions », soulignent-ils.
Néanmoins, d'autres solutions coûteraient plus de 100 dollars la tonne de CO2 en moins d'ici à 2030, comme l'efficacité énergétique dans les bâtiments, la séquestration de carbone dans l'agriculture ou la captation du CO2 à la sortie des usines. Quant au nucléaire, son coût par rapport aux émissions évitées serait élevé, puisqu'il permettrait d'économiser moins d'1 milliard de tonnes de CO2 d'ici à 2030, et pour un coût de la tonne supérieur à 100 dollars. Ce qui ne signifie pas, évidemment, que le Giec exclut ces options, toutes considérées comme importantes pour ralentir le dérèglement climatique en cours - y compris après 2030.
Dans sa synthèse, l'institution soutient d'ailleurs l'idée d'une tarification du CO2 afin de modifier l'équation économique, à l'image du marché d'échange de droits à polluer existant dans l'Union européenne (dont le niveau n'a cependant pas suffi à promouvoir les « mesures à coût élevé »). Et n'écarte pas l'utilisation des revenus générés par ce type de taxe pour soutenir les ménages à faible revenu, en première ligne face à la hausse des prix des combustibles fossiles, par exemple.
Le coût de l'adaptation
Enfin, les scientifiques plaident pour accélérer les dépenses destinées à s'adapter à cette augmentation des températures, alors que l'écart entre les coûts estimés du changement climatique et les financements alloués pour s'y préparer se creusent. En effet, « les flux financiers mondiaux actuels » restent « insuffisants » et « limitent la mise en œuvre des options d'adaptation, en particulier dans les pays en développement », peut-on lire dans le rapport. Un manque d'autant plus grave que « les effets néfastes du climat peuvent réduire la disponibilité des ressources financières », en entravant la croissance économique nationale, « augmentant ainsi encore les contraintes financières pour l'adaptation, en particulier pour les pays en développement et les pays les moins avancés », notent les experts.
En France, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, avait d'ailleurs affirmé fin février qu'il fallait « préparer [le] pays à +4°C », entraînant de vives réactions.
« À 4°C, les deux tiers des stations de ski manqueront de neige dans les Alpes. À 4°C, on aura cinq fois plus de sécheresse et des jours de canicule beaucoup plus intenses. C'est aussi 1 mètre 20 d'augmentation de montée des eaux dans la deuxième moitié du siècle », avait-il énuméré au micro de FranceInfo.
Mais alors que les bouleversements semblent désormais inévitables, et se font déjà ressentir chaque année à travers des événements météorologiques extrêmes, la France « manque d'objectifs stratégiques, de moyens et de suivi des politiques » en la matière, avait pointé en juin dernier le Haut conseil pour le climat. Résultat : l'adaptation est « insuffisamment évaluée », et les risques, non identifiés. Pourtant, rien que dans l'Hexagone, il faudrait investir a minima 2,3 milliards d'euros chaque année pour se préparer aux conséquences du dérèglement, a préconisé l'institut de l'économie pour le climat (I4CE) dans un rapport publié le 23 juin 2022. Mais là aussi, l'action se fait attendre.
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