Plus d'un an après le surgissement du Covid-19 dans la vie des Français, beaucoup d'entre-eux ont l'impression que rien n'a changé, et surtout, que rien ne risque de changer rapidement. Et ce, malgré l'arrivée mondiale de vaccins, et la confirmation, jour après jour, de leur efficacité. Pourtant, malgré cet espoir mondial, jour après jour, les médecins français se succèdent sur les plateaux de télévision pour réclamer toujours plus de mesures de restriction face au virus. Pour eux, seul un « confinement dur » pourrait permettre de remettre les compteurs à zéro sur le front de l'épidémie... Exactement comme au printemps dernier. À l'automne 2020, ce confinement intégral n'a pas pourtant pas empêché l'épidémie de repartir de plus belle. La France, carrefour de l'Europe, pays touristique, et doté d'une économie de services, ne pouvait se permettre de se couper du monde.
Un an d'épidémie, et un an d'appels à des re-confinements nationaux ou « territorialisés ». Comme si notre horizon ne se résumait qu'à cela. Les Français sont pourtant de plus en plus nombreux à ne plus supporter de telles restrictions, et à ne les respecter que très partiellement. Chez les jeunes générations - c'est-à-dire les moins de 50 ans, qui sont beaucoup moins à risque - la lassitude gagne les esprits. Les forces vives de la nation ruminent en silence. Tous ont l'étrange sentiment d'un jour sans fin.
Justement, au plus haut niveau de l'Etat, un sentiment de lassitude a également gagné le chef de l'Etat qui doit composer depuis un an avec les professeurs de médecine et les scientifiques. Ce week-end, Emmanuel Macron a ainsi rappelé que nos voisins, l'Italie et l'Allemagne, qui avaient pourtant décidé ces derniers mois la mise en place de confinements, n'avaient finalement pas réussi à mettre un terme à l'épidémie. Immédiatement, il fut contredit par des épidémiologistes. « On est coincé entre les "enfermistes" et les "rassuristes" », se plaint un conseiller de l'Elysée. Peut-être parce que le système français de santé a été incapable depuis le début de la crise d'adopter la stratégie de prévention qui est la seule efficace : tester massivement, soigner, tracer, et isoler.
Sur ce point-là, au moins, des profils aussi différents que Catherine Hill ou Didier Raoult semblent d'accord, même si sur la pertinence d'un re-confinement, les deux scientifiques s'opposent farouchement. Pour la première, c'est la solution de la dernière chance, quand le second continue de comparer cette méthode à un instrument du moyen-âge. Depuis le début de l'année, ce « débat » du confinement ne cesse d'encombrer nos ondes médiatiques. Notre vie est suspendue à cette échéance...
C'est ainsi que depuis une quinzaine de jours, on assiste au bras de fer entre l'AP-HP, dirigée par Martin Hirsch, et le chef de l'Etat (lire notre précédente chronique). Chaque jour, les taux d'incidence, et l'occupation des services de réanimation, sont scrutés par les journalistes. Les professeurs et chefs de service se succèdent à la télévision pour critiquer la procrastination présidentielle. Beaucoup de ces « sachants » sont pris au dépourvu devant les décisions d'Emmanuel Macron depuis le début de l'année. Car après avoir décidé brutalement de deux confinements nationaux l'année dernière, le président de la République n'est plus convaincu par leur efficacité. « Parfois les faits du lendemain viennent contrecarrer les certitudes de la veille », affirmait-il ce week-end au JDD.
La gilet-jaunisation d'Emmanuel Macron ?
C'est dur de le reconnaitre pour beaucoup, mais Macron en 2021 fait du Raoult. Le président a pris le contre-pied des « sachants » en prenant ses distances face aux tenants des confinements à tout prix. Face à eux, le professeur marseillais tant décrié a toujours affirmé sa vive opposition à de telles techniques. Dans notre époque manichéenne qui oppose la rationalité gestionnaire à l'obscurantisme du bon sens populaire, un tel choix présidentiel pourrait se révéler à double tranchant. Déjà, ses soutiens centristes qui aiment haïr les extrêmes, ses conseillers issus du « cercle de la raison », sont même totalement désarçonnés. Au point de se poser la question suivante : sur le front de la Covid-19, assiste-t-on à la gilet-jaunisation d'Emmanuel Macron ? Les supporters de la science, ceux qui ont défendu Biden lors de la dernière élection présidentielle américaine, pourrait désormais dépeindre Macron en un populiste du style de Trump.
C'est qu'Emmanuel Macron sait jouer de ses propres ambiguïtés. Le caméléon président ne cesse de les utiliser pour continuer à faire de la politique, même en temps de crise. En réalité, un an après le début de la crise, le chef de l'Etat considère qu'il dispose désormais du recul nécessaire pour jauger les aspects positifs et négatifs de ses décisions. Comme un médecin qui prodigue un remède, Emmanuel Macron prend en compte la « balance bénéfices/risques » avant de décider de nouvelles mesures de restriction.
En attendant, les Français doivent subir la vraie guerre de communication qui se dévoile au grand jour entre l'APHP, la Direction Générale de la Santé, le ministère de la Santé, et l'Elysée. C'est ainsi que 41 « directeurs de crise » de l'AP-HP ont signé une tribune pour exhorter le président à prendre la décision d'un confinement dur, sous peine de devoir subir un tri des malades. Face au président, le mot tabou est désormais lâché par les médecins eux-mêmes.
De son coté Emmanuel Macron rappelle qu'« à cette heure, rien n'est décidé », et qu'il s'agit toujours pour lui de « freiner sans enfermer » . « J'assume totalement notre stratégie », ajoute-t-il. Le président en est déjà à faire de nouvelles promesses en expliquant qu'à terme, 52 usines seront mobilisées en Europe pour produire des vaccins. Interviewé à la télévision grecque, le chef de l'Etat a continué à surprendre en émettant une auto-critique européenne au sujet des vaccins : « Les Américains ont eu un mérite dès l'été 2020, ils ont dit : on met le paquet et on y va. Et donc ils ont plus (de vaccins). Ils ont eu plus d'ambition que nous. Et le quoi qu'il en coûte qu'on a appliqué pour les mesures d'accompagnement, eux l'ont appliqué pour les vaccins et la recherche (...) On a sans doute en quelque sorte moins rêvé aux étoiles que certains autres. Et je pense que ça doit être une leçon pour nous-mêmes. On a eu tort de manquer d'ambition, j'allais dire de folie, de dire « c'est possible et on y va ». On est trop rationnel, peut-être ». Pour un peu, cela pourrait passer pour un hommage à Donald Trump. De quoi filer des boutons à de nombreux macronistes...