Les conséquences économiques et sociales du coronavirus s'amplifient. Selon une note de l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) publiée ce lundi 20 avril, l'impact de deux mois de confinement est estimé à environ 120 milliards d'euros, soit 5 points de produit intérieur brut (PIB) annuel en moins. Ce chiffre corrobore les premières estimations du laboratoire de recherches rattaché à Sciences-Po Paris publiées à la fin du mois de mars. Les économistes rappellent "qu'une telle chute de l'activité est inédite à part peut être en temps de guerre" et redoutent une récession profonde à la fin du confinement.
Lors d'un point de situation dimanche 19 avril, le Premier ministre Edouard Philippe a rappelé que la France traversait sa pire récession depuis 1945. M. Philippe a martelé que la crise économique serait "brutale" et "ne fait que commencer", tout en rappelant les mesures d'aides. Dans ce cadre, le distributeur Fnac Darty a annoncé dimanche avoir obtenu un prêt de 500 millions d'euros dont 70% garantis par l'Etat. Le prolongement des mesures de confinement au moins jusqu'au 11 mai pourrait encore alourdir les pertes pour l'économie tricolore.
"Une spirale récessive"
Le tableau sombre présenté par l'OFCE montre que sur les 120 milliards d'euros, les administrations publiques seraient en première ligne avec des pertes de revenus disponibles évaluées à 71 milliards d'euros. Viennent ensuite les sociétés financières et non-financières (-42 milliards d'euros). Les ménages et les entreprises indépendantes sont également touchés à hauteur de 11 milliards d'euros. Pour le directeur du département d'analyse et prévision de l'OFCE, Eric Heyer, "près de 60 % de la baisse de revenu national est absorbée par les administrations publiques. Mais 33% est au compte des entreprises, ce qui pose la question du rebond après l'épisode de confinement. Le risque est grand de voir s'enclencher alors une spirale récessive". En effet, les auteurs de la note redoutent que la chute historique de l'activité provoque des faillites à répétition et de nombreuses destructions d'emplois malgré toutes les mesures de riposte annoncées. Ce qui entraînerait une baisse substantielle des revenus et donc de l'activité.
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Des mesures transitoires suffisantes ?
Les premières mesures de soutien aux entreprises et aux ménages permettent à de nombreux établissements de répondre à l'urgence et aux salariés de préserver une grande partie de leurs revenus. Il demeure que cette panoplie pourrait s'avérer bien insuffisante au moment de la sortie de crise. "Les reports de créances fiscales ou sociales répondent dans l'immédiat aux problèmes de trésorerie des entreprises. Mais pour éviter une dégradation dangereuse de leurs comptes d'exploitation en sortie de crise, il paraît difficile de ne pas annuler des créances pour les entreprises qui auront subi l'impact du confinement", expliquent les économistes.
Pour une meilleure efficacité, "les aides aux entreprises doivent être absolument ciblées. Plus les aides seront ciblées, moins cela coûtera cher. Des aides non-conditionnées peuvent créer d'importantes distorsions de concurrence" rappelle le directeur principal de l'OFCE Xavier Timbeau. Actuellement, les débats sur le conditionnement des aides font rage entre économistes. Certains plaident pour un conditionnement restrictif afin d'inciter les entreprises à ne pas verser de dividendes et les obliger à revoir leur stratégie pour respecter les engagements environnementaux de la France lors des accords de Paris. Le Danemark a par exemple conditionné les aides d'Etat aux entreprises au non versement des dividendes et la non-présence des entreprises dans les paradis fiscaux.
Un crédit d'impôt pour compenser le capital non utilisé
Parmi les outils présentés pour soutenir les entreprises, les économistes plaident par exemple pour une compensation du capital non-utilisé pendant la période de confinement. Concrètement, "pour tout actif non utilisé pendant la période de confinement - un avion, un équipement industriel ou le local d'un restaurant, l'entreprise déclarerait la période de non-utilisation de l'actif et disposerait d'un crédit d'impôt à valoir sur l'impôt des sociétés égal au coût du capital calculé au prorata de la période de non utilisation. De la même façon que pour le chômage partiel, la non utilisation de chaque actif productif serait à justifier par l'entreprise". Le président de l'OFCE Xavier Ragot a rappelé que "la préservation du tissu productif sera déterminante dans le rebond de l'économie".
Une épargne forcée de 55 milliards d'euros
Les mesures de confinement ont entraîné une baisse drastique de la consommation des ménages et des entreprises. L'OFCE a calculé que les foyers français accumuleraient une épargne forcée de 55 milliards d'euros. "Cette épargne découle du soutien apporté à l'économie et en particulier du soutien aux revenus d'activité des ménages" ajoute le document. Beaucoup d'économistes s'interrogent sur l'avenir de cette épargne. A la sortie du confinement, les ménages vont-ils privilégier l'épargne de précaution ou recommencer à consommer comme avant ?
Pour la reprise de l'activité, la consommation devrait être déterminante. La consommation et la confiance des ménages français restent des moteurs considérables de l'économie hexagonale. Pour Xavier Timbeau, il n'existe pas forcément beaucoup d'outils pour limiter l'épargne des Français durant cette période. "Le meilleur moyen est que le retour à la normale se fasse le plus rapidement possible. Il faut limiter l'inquiétude des ménages." De son côté, Xavier Ragot estime "qu'il faut limiter l'épargne de précaution. Le scénario sanitaire sera déterminant et le gouvernement doit être clair. Il ne faut pas arrêter brutalement le chômage partiel à la sortie du confinement. Il est également préférable de limiter les hausses du chômage par des primes à l'embauche par exemple".
9,1 millions d'emplois affectés
Sur le front de l'emploi, les économistes ont considérablement noirci leurs prévisions. Il y a trois semaines, ils estimaient que 5,7 millions de personnes pourraient se retrouver au chômage partiel. Aujourd'hui, ils évaluent que 9,1 millions d'emplois pourraient être affectés par les mesures de confinement. Dans leurs travaux, les chercheurs ont même décomposé les conséquences par secteur et motif. Il apparaît que les fermetures obligatoires de nombreux établissements dans le commerce non-alimentaire, les lieux de restauration et hôtellerie, les services non marchands à la mi-mars ont eu des répercussions massives sur l'emploi (-2,6 millions). A cela s'ajoutent les nombreuses gardes d'enfants qui ont également eu des effets considérables sur l'emploi total (1,1 million). L'emploi dans le commerce (-218.000) est particulièrement concerné par ce phénomène ainsi que le tertiaire non-marchand. Ce lundi matin, Muriel Pénicaud a annoncé au micro de RTL que 9,6 millions de salariés étaient actuellement au chômage partiel, soit près d'un salarié du privé sur deux, et appelé les chefs d'entreprises à reprendre leur activité s'ils le pouvaient.
6,5 millions de salariés
Dans leur étude, les économistes fournissent le profil des personnes concernées. Il s'agit en majorité de salariés (6,5 millions). La montée en puissance du chômage partiel depuis plusieurs semaines montre que les mesures gouvernementales incitent les entreprises à recourir fortement à ce dispositif. En revanche, de nombreux travailleurs pourraient rester au bord du gouffre à la suite de confinement. En effet, environ 175.000 personnes se retrouvent sans rien au bout d'un CDD de moins d'un mois, 135.000 personnes sont considérées comme non éligibles aux différents dispositifs et parmi les 1,1 million de non-salariés, beaucoup pourraient passer entre les mailles des filets de sécurité. D'après les simulations opérées, les chiffres du chômage pourraient bondir avec 400.000 inscriptions supplémentaires à la fin du confinement. Pour parvenir à ce résultat, l'économiste Bruno Ducoudré a apporté certaines précisions. "On a supposé que tous les contrats courts ne voyaient pas leurs missions reconduites et nous avons pris en compte une fraction des personnes en période d'essai. Les entreprises ne recourent pas intégralement au chômage partiel. Elles peuvent mettre au chômage également".
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Récemment, le gouvernement a annoncé des mesures pour élargir les filets de sécurité pour les actifs perdant leur emploi ou ceux à la recherche d'un travail. Un décret pris à la suite d'une ordonnance prévoit la prolongation des allocations pour les demandeurs d'emploi en fin de droits, neutralise la période de confinement pour plusieurs calculs de droits (notamment pour les intermittents), et élargit la possibilité pour des démissionnaires qui avaient quitté leur emploi tout récemment de bénéficier de l'assurance chômage. Malgré cet assouplissement, l'exécutif maintient sa réforme de l'assurance de chômage qui a durci les conditions d'accès au régime assurantiel en allongeant la durée nécessaire de cotisations pour les salariés mises en oeuvre depuis l'automne. Muriel Pénicaud a pour l'instant annoncé le report du second volet en septembre (au lieu du premier avril) qui prévoit de nouvelles modalités de calcul pour l'indemnité journalière.