Fermeture des espaces aériens, limitation des exportations et des importations, gel d'avoirs de personnalités ou d'entreprises, remise en question de liens financiers ou commerciaux... L'Europe et les Etats-Unis en tête ont annoncé un arsenal de sanctions ces derniers jours afin de dissuader Moscou de poursuivre ses assauts sur l'Ukraine. Parmi les mesures déployées par les puissances occidentales, le blocage des avoirs en devises de la banque centrale russe détenues à l'étranger a fait l'effet d'une bombe à fragmentation. En seulement quelques heures, le cours de la rouble a plongé de près de 20% en début de semaine et beaucoup de Russes se sont précipitées au guichet des banques pour retirer du liquide. En réponse, la Banque centrale russe a dû relever son taux de directeur de 10 points.
"Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie", a déclaré le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire à l'antenne de France Info, avant de faire machine arrière au cours de la journée. Derrière cette volte-face, les craintes dans les milieux économiques et financiers tricolores se multiplient tous azimuts. En effet, l'un des risques est que ces sanctions se retournent contre l'économie européenne et certains secteurs déjà meurtris par deux longues années de crise sanitaire. En outre, la Russie qui vient seulement de préciser ces premières mesures de représailles pourrait encore durcir le ton dans les jours à venir. Si l'économie russe est plongée dans un vaste brouillard financier, la dépendance de l'Europe au gaz russe pourrait limiter les marges de manoeuvre des ministres des Finances du G7 qui se sont réunis ce mardi midi en visioconférence. A quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle, le gouvernement veut limiter la casse. Dans un discours à l'Assemblée nationale, le chef de l'exécutif Jean Castex a annoncé qu'un plan de soutien était en préparation :
« Nous allons accompagner nos concitoyens et nos entreprises afin d'encaisser au mieux les impacts économiques de ces mesures, notamment les probables tensions sur les approvisionnements et sur les prix de certains produits. A la demande du Président de la République, le gouvernement prépare à cet effet un plan de résilience qui sera finalisé dans les tous prochains jours »
Un plan d'accompagnement par secteur
Servier, Crédit Mutuel, Renault, Michelin, CMA-CGM, Medef, CPME...près de 70 entreprises, représentants de filières et organisations professionnelles étaient présentes ce mardi premier mars dans l'enceinte du ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour une réunion après les cinq premiers jours de guerre. A l'issue de cette entrevue, le ministre du Commerce extérieur, Franck Riester a assuré lors d'une réunion avec des journalistes que face à la guerre, "l'Etat accompagnera les entreprises" affectées. "Le chef de l'Etat a demandé au ministre de l'Agriculture Julien Denormandie un plan de résilience spécifique pour le secteur agricole" a-t-il cité comme exemple. "L'objectif est de bâtir des plans d'accompagnement pour les secteurs et les entreprises" a résumé le ministre.
Le Quai d'Orsay doit "être à la coordination entre la dimension sectorielle sous la responsabilité des ministres et la dimension diplomatique en termes d'approvisionnement et de diversification". Au total, près de 500 entreprises françaises seraient exposées de près ou de loin aux sanctions économiques. Parmi les secteurs en première ligne figurent l'aéronautique, la chimie, les cosmétiques, les produits pharmaceutiques et dans une moindre mesure l'agroalimentaire.
Sur les importations, il s'agit principalement "des hydrocarbures et les matières premières". A court terme, "il y a peu de conséquences sur les hydrocarbures en raison des stocks stratégiques" a poursuivi le ministre. Sur les matières premières et les métaux, "c'est un travail de diversification des approvisionnement qui doit être mené". Pour ce faire, le gouvernement compte bien s'appuyer sur le rapport remis en début d'année par Philippe Varin à Bercy et au ministère de la Transition écologique. Toute la difficulté pour l'exécutif va être d'apporter des réponses adaptées. "L'objectif est de prendre en compte ces sanctions et de mesurer leurs effets. La difficulté est qu'il existe beaucoup de disparités entre les secteurs. En matière aéronautique, certains intrants comme le titane vont manquer par exemple" explique-t-on à Bercy.
La France cinquième exportateur de biens vers la Russie
Il est difficile encore à ce stade d'évaluer l'ampleur des dégâts d'un tel conflit sur le commerce extérieur français. Avant la guerre, la valeur des exportations de l'économie tricolore vers la Russie s'établissait à environ 5,2 milliards d'euros et 1 milliards d'euros vers l'Ukraine en 2020. Au total, cela représentait environ 3% des biens vendus en dehors de l'Europe. A titre de comparaison, la moyenne dans l'Union européenne est d'environ 5% pour les biens exportés en dehors de l'UE, vers la Russie et l'Ukraine. Quant à l'Allemagne, elle exporte pour environ 27 milliards d'euros de biens vers les deux pays, soit 4,8% de ses exportations extra-UE.
Sur le front Est de l'Union européenne, les pays sont bien plus exposés que l'économie hexagonale comme les pays baltes (Lituanie, Lettonie) même si de nombreux exportateurs tricolores ont fait part de leur difficultés au Quai d'Orsay ces derniers jours. Compte tenu du poids des exportations tricolores sur le total des biens vendus en dehors de l'Europe, les répercussions macroéconomiques devraient être plutôt limitées pour l'économie française. En revanche, beaucoup d'économistes tirent la sonnette d'alarme sur la hausse des coûts de production liée au renchérissement des prix de l'énergie et des matières premières. Sur ce point, l'entourage du ministre de l'Economie rappelle que "certains dispositifs existent déjà comme l'assurance exportateur ou le bouclier tarifaire" tout en rappelant que "ces mesures
d'accompagnement et de protection seront prolongées et renforcées autant
que nécessaire, sur la base des travaux en cours".
Partir ou rester ? Le périlleux dilemme des entreprises françaises
L'invasion de la Russie en Ukraine donne des sueurs froides aux entreprises françaises. Alors que plusieurs mastodontes étrangers comme BP ou Shell ont décidé de se retirer du territoire russe, aucune entreprise tricolore n'a annoncé de retrait à ce stade. Pavel Chinsky, directeur de la chambre de commerce et d'industrie franco-russe a indiqué dans un brief rendu public ce mardi premier mars "qu'à ce jour, il n'y a pas de consignes officielles incitant les Français établis en Russie à quitter Moscou."
Le prolongement et l'intensification de la guerre pourrait changer la donne surtout que des contre-sanctions annoncées par la Russie pourraient grandement affecter les activités des entreprises tricolores sur le sol russe. Sur ce dossier brûlant, Bruno Le Maire a prévu de rencontrer le patron de TotalEnergies Patrick Pouyanné pour un échange qui s'annonce tendu.