LA TRIBUNE - Quel souvenir conservez-vous de la réforme du prélèvement à la source et du processus d'application de ce chantier au sein de l'administration fiscale ?
ANTOINE MAGNANT - Le prélèvement à la source reste un très grand souvenir, à plusieurs égards. J'ai eu la chance de travailler sur le projet dès le tout début, alors que j'étais sous-directeur en charge de la fiscalité des personnes à la Direction de la législation fiscale, quand nous avons découvert cette annonce [en 2015, ndlr], un peu par surprise il faut bien le dire, du président de la République de l'époque.
Ensuite j'ai été nommé directeur général adjoint des finances publiques en 2018, soit six mois avant l'entrée en vigueur initialement prévue de la réforme. Nous étions alors dans le dur des travaux. J'y ai donc travaillé, de bout en bout, avec beaucoup d'enthousiasme. On y croyait, car le prélèvement à la source est utile pour les contribuables, et en particulier pour ceux dont la situation change en se dégradant (salarié devenant chômeur, actif partant en retraite).
Désormais, les particuliers ne règlent plus la totalité de l'impôt sur le revenu de l'année d'imposition l'année suivante. Cette situation était socialement injuste. D'autre part, la France était l'un des rares pays développés à ne pas avoir de système de prélèvement à la source des revenus. À ce titre, le prélèvement à la source était une réforme fiscalement pertinente et socialement utile.
Quels ont été les enjeux de cette réforme pour l'administration fiscale ?
En 2015, le premier défi a été d'identifier les grands principes de la réforme du prélèvement à la source, pour une entrée en vigueur fixée au 1er janvier 2018. De ce point de vue, elle constitue une véritable réussite collective, puisque la réforme a sollicité toutes les branches de la DGFIP.
Nous avons d'abord travaillé sur les enjeux de politique fiscale. Le premier était notamment de savoir quels seraient les revenus intégrés dans le prélèvement à la source, et rapidement la réponse s'est imposée d'elle-même : tous les revenus imposés à l'impôt sur le revenu, et pas seulement les salaires. Ensuite, il y a eu la problématique de gestion de l'année de transition, aussi appelée « année blanche ». Nous ne voulions pas créer d'effets de bord, permettant à des contribuables de réaliser des revenus élevés, en totale franchise d'impôt. Une telle situation aurait posé des difficultés d'acceptation de la réforme.
Concrètement, quelles ont été les difficultés techniques ?
L'une des décisions que nous avons prises très tôt a été de nous greffer sur la mécanique technique des prélèvements sociaux [la déclaration sociale nominative qui n'était pas encore en fonction, ndlr]. Elle a été une clé du succès de la réforme.
Le prélèvement à la source a aussi représenté un chantier informatique conséquent pour la DGFIP. Il a fallu organiser un volume considérable d'échange de données, tout en tenant compte du calcul de l'impôt sur le revenu qui est resté inchangé, du maintien de la déclaration de revenus et d'un raisonnement toujours fondé sur le foyer fiscal. En outre, les finances publiques ont dû construire les modalités permettant aux contribuables de modifier leur taux de prélèvement.
Plusieurs interrogations ont été soulevées à l'époque, et aujourd'hui encore, sur la clarté du dispositif, permettant aux contribuables de s'approprier le prélèvement à la source. Que répondez-vous ?
Depuis la mise en place de cette réforme, cinq millions de foyers fiscaux se sont saisis de la possibilité de modifier leur taux de prélèvement, sur un total de 40 millions de foyers fiscaux. Nous y voyons une preuve de cette appropriation : quand les contribuables s'emparent d'un dispositif, c'est qu'ils l'ont en main.
Toujours dans cette logique, un autre sujet avait pris une place considérable à l'époque : celui du taux neutre qui permet d'éviter que l'employeur ait, a priori, un droit de regard sur l'impôt dû par l'employé. Or, les chiffres sont assez parlants : seuls 8% des contribuables ayant individualisé leur taux ont choisi ce taux neutre.
Le caractère moderne et contemporain du prélèvement à la source a parfois été mis en avant. N'a-t-il pas entraîné chez les contribuables une difficulté à comprendre que seules les modalités de recouvrement de l'impôt évoluaient ? On pense notamment à l'application de deux taux d'impôt à la source distincts durant l'année d'imposition...
L'Allemagne a mis en place le prélèvement de l'impôt à la source en 1925. De ce point de vue, le système français de recouvrement de l'impôt paraissait plutôt ringard. Après, la fiscalité est toujours un sujet compliqué. Il nous a fallu trois ans de travaux, d'engagement collectif et de soutien indispensable des autorités politiques. La fiscalité n'est pas qu'un sujet technique.
Les organisations syndicales reprochent parfois le manque de chiffrage de la réforme, permettant de mesurer l'appropriation effective de cette réforme, et son coût...
On a eu un crash-test d'une ampleur majeure : le confinement. Durant cette période, nous avons été soulagés d'avoir collectivement le prélèvement à la source. Il a joué son rôle d'amortisseur immédiat, les entreprises étant fermées et certains salariés en chômage partiel. Le prélèvement à la source a définitivement démontré sa nécessité et sa pertinence sociale à ce moment-là.
Ensuite, la réforme a eu un coût : elle a constitué un investissement de formation et informatique pour la DGFIP. Pour les employeurs, elle a représenté un coût modeste. Par contre, il y a eu des gains de plusieurs natures : l'un, de facilitation de la vie des usagers, ce qui aboutit à une charge administrative moindre ; les flux sont garantis, et donc taxés, améliorant la garantie de recettes fiscales. Il y a donc eu des gains budgétaires immédiats, mais je pense que le gain principal pour le contribuable, est un gain de sérénité dans la relation à l'administration fiscale et dans la gestion de sa trésorerie. Pour la DGFIP, cela représente un gain de temps et d'énergie, et une capacité à focaliser nos efforts et ressources sur d'autres chantiers, comme la fraude fiscale.
Les syndicats des finances publiques ont pu pointer une réforme à marche forcée. Que leur répondez-vous ?
Déjà, que personne ne songe à revenir en arrière. Sur le prélèvement à la source, nous avons engagé des efforts de conviction et de formation considérables. Nous avons formé la moitié de nos effectifs, soit 50.000 personnes au prélèvement à la source, au travers de trois services : le service des impôts des entreprises, le service des impôts des particuliers et les centres de contact.
Certains ont pu dire que le prélèvement à la source allait être une « catastrophe industrielle ». Pour être honnête, je nous souhaite d'en avoir plusieurs comme celle-là ! Les Finances publiques sont tournées vers les usagers et notre mission est d'apporter un service public de la meilleure qualité possible, à coûts maîtrisés. Ne pas avoir fait le prélèvement à la source aurait été une faute.
En matière d'impôt des particuliers, quels sont les défis à venir pour la DGFIP ?
Plusieurs réformes ont été annoncées par le président de la République, dont la révision du barème de l'impôt sur le revenu [Emmanuel Macron a promis une baisse d'impôt pour les classes moyennes de 2 milliards d'euros, en 2025, ndlr]. Notre objectif est aussi de nous assurer que les recettes fiscales rentrent effectivement, pas plus, pas moins, en mettant l'accent sur la fraude fiscale, le corollaire étant que personne ne paie plus qu'il ne doit.
L'individualisation par défaut du taux de prélèvement à la source pour les couples mariés ou pacsés doit entrer en vigueur prochainement. Cette mesure ne risque-t-elle pas d'entraîner à terme une réforme en profondeur du calcul de l'impôt sur le revenu ?
Les mentalités et la société évoluent et je suis persuadé que c'est la fiscalité qui s'adapte à la sociologie et non l'inverse. Qu'on rende un dispositif actuellement optionnel applicable par défaut ne va pas changer la face du monde, et correspond à une attente, un besoin, donc nous allons le faire.