Prélèvement à la source : le taux individualisé par défaut, une mesure de justice économique dans les couples ?

DÉCRYPTAGE. Le 8 mars dernier, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le gouvernement a dévoilé son Plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2023-2027). Parmi les mesures avancées, l’exécutif a repris une proposition de la députée Marie-Pierre Rixain (Renaissance), prévoyant l’application d’un taux individualisé par défaut dans le calcul du prélèvement à la source pour les couples mariés et pacsés. Objectif affiché, réduire les inégalités de revenus au sein des couples. La mesure est loin de faire l’unanimité, au point que certains de ses détracteurs dénoncent de la « poudre aux yeux ».
Pauline Chateau
Plus de 500.000 demandes d'individualisation de taux de prélèvement à la source ont été effectuées en 2021, selon le bilan de la DGFIP.
Plus de 500.000 demandes d'individualisation de taux de prélèvement à la source ont été effectuées en 2021, selon le bilan de la DGFIP. (Crédits : Reuters)

Diminuer le montant du prélèvement à la source pour les femmes fortement imposées, en raison des disparités de revenus avec leurs conjoints. Tel est l'objectif poursuivi par l'exécutif à travers l'individualisation par défaut du taux d'impôt à la source, promis dans le cadre de son Plan interministériel pour l'égalité au début du mois de mars.

Sollicité par La Tribune, l'entourage d'Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances confirme que cette mesure sera « inscrite dans le PLF 2024 et mise en œuvre à partir de 2025 ».

« La fiscalité doit être au service de l'égalité entre les femmes et les hommes, souligne la ministre déléguée auprès de La Tribune. Depuis 2017, beaucoup a été fait pour résorber ces inégalités. Nous souhaitons poursuivre notre action pour favoriser l'égalité économique et professionnelle, et ce, dès la prochaine loi de finances, en utilisant l'outil fiscal. »

« La fiscalité ne doit pas être un frein à l'émancipation des femmes, notamment celles qui ont un écart de salaire important avec leur conjoint, avait également fait valoir la Première ministre, Elisabeth Borne, sur Twitter en mars. Dès 2025, le taux d'imposition sera individualisé par défaut pour l'ensemble des foyers fiscaux. »

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Certains économistes et fiscalistes émettent toutefois des doutes quant à la pertinence d'une telle mesure pour réduire les inégalités économiques entre les sexes. Les syndicats des Finances publiques, eux, s'interrogent sur la faisabilité même de l'individualisation par défaut, voire sur l'arrière-pensée éventuelle de cette mesure.

Le taux par défaut, avantageux...

Dans les faits, l'exécutif a repris à son compte une mesure proposée par la députée Renaissance Marie-Pierre Rixain, au sein d'une proposition de loi visant à accélérer l'égalité fiscale et successorale entre les femmes et les hommes. Depuis 2019, les couples se voient appliquer, par défaut, un taux de prélèvement à la source personnalisé, sur leurs revenus.

« Il tient compte de l'ensemble de vos revenus, de votre situation et de vos charges de famille, rappelle le ministère de l'Economie sur son site Internet. Il est le même pour chacun des conjoints. »

« Ce mécanisme fait qu'il y a un gain lorsque les revenus sont très inégaux, rappelle Guillaume Allègre, économiste à l'OFCE, à La Tribune. Plus ils le sont, plus il y a un gain à l'imposition à la moyenne. »

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 ... Surtout pour le conjoint qui gagne le plus

Le conjoint ayant les plus faibles revenus, bien souvent des femmes, subit toutefois le revers de la médaille. En cause, le quotient conjugal. Un système quasi-unique au monde, datant des années 1950. Pour calculer le montant d'impôt sur le revenu du foyer, les revenus des deux conjoints sont globalisés. La somme de ces revenus est ensuite divisée par les deux parts attribuées au couple - en l'absence d'enfants à charge.

Résultat, l'imposition commune tend à augmenter le taux marginal d'imposition du conjoint ayant les plus faibles ressources à hauteur de 5,9 points en moyenne, souligne l'Insee dans une publication datant de 2019. A l'inverse, celui qui a les revenus les plus élevés, lui, voit son taux marginal baisser de 13 points.

« Dans la majorité des cas, ce sont donc les femmes qui ont des revenus moins élevés que leur conjoint : en considérant que les membres du couple marié ou pacsé font face au même taux marginal d'imposition, celui du foyer commun, le revenu des femmes est davantage taxé marginalement qu'il ne le serait en l'absence de la conjugalisation de l'impôt, contribuant ainsi à désinciter davantage leur offre de travail », dénonçait l'institut statistique.

L'individualisation par défaut, une mesure controversée

Interrogée par La Tribune au début du mois de mars, Marie-Pierre Rixain avait illustré son propos pour défendre la mise en place de l'individualisation du taux de prélèvement à la source par défaut. « On peut prendre l'exemple d'un couple, où la femme gagne 2.000 euros net par mois et l'homme perçoit une rémunération de 4.000 euros net par mois : le taux marginal d'imposition commun du couple s'élève à 5%, nous avait-elle démontré. S'il y a un taux individualisé, Madame ne sera pas imposée, tandis que Monsieur sera prélevé à hauteur de 7,5% de ses revenus. »

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L'individualisation par défaut est toutefois loin de faire consensus. « L'individualisation par défaut du taux de prélèvement à la source a été présentée comme une mesure "féministe" : c'est joliment dit, sauf que cela intervient opportunément à un moment où il a été démontré que la réforme des retraites pénalise davantage les femmes », tacle Régis Bourillot du syndicat CFTC Finances publiques.

Des effets concrets « sur la fiche de paie »

« L'idée d'une mesure de justice à l'égard des femmes est une mesure d'affichage, parce que cela pourrait laisser croire à la brave population que l'on va faire un cadeau aux femmes et faire payer plus cher les hommes, ce qui est grotesque, puisque la note finale de l'impôt sur le revenu, elle, va rester constante (l'impôt sur le revenu restant calculé à l'échelle du foyer fiscal, ndlr) », renchérit Jean-Yves Mercier du Cercle des fiscalistes auprès de La Tribune. Pour l'avocat, « tout se joue dans l'organisation entre les époux pour dépenser l'argent qu'ils ont en commun ». En clair, l'Etat n'aurait pas à mettre son nez dans les affaires des foyers.

Tout comme Guillaume Allègre de l'OFCE, l'élue Renaissance, Marie-Pierre Rixain, fait valoir des effets concrets « sur la fiche de paie ». De fait, les femmes dont le taux sera individualisé par défaut, seront moins prélevées sur leurs revenus. « Il ne s'agit pas de se dire qu'on va davantage fiscaliser les hommes, dément la députée. Le sujet est de dire que chacun va régler la part de l'impôt qui lui revient. »

Objectif affiché, permettre davantage d'« équité sociale », et ainsi encourager une plus grande autonomie financière et économique des femmes. Interrogée par La Tribune, l'économiste Hélène Périvier (OFCE) estime ainsi que l'individualisation par défaut est « une bonne nouvelle dans un système hyper complexe ».

Une faisabilité mise en question

Désirée par le gouvernement, l'individualisation par défaut du taux de prélèvement à la source n'est toutefois pas exempte d'autres inquiétudes et de craintes. « Pour l'instant, nous restons sur la réserve, dans la mesure où l'individualisation par défaut risque, comme toute nouveauté, de générer les questionnements des contribuables, souligne Anne Guyot-Welke, secrétaire générale de Solidaires Finances publiques. Or, nos services d'accueil sont aujourd'hui à bout de souffle. »

« Ce qui nous interroge, ce sont les conséquences pour l'emploi des agents et la faisabilité de cette mesure, alors que nous sommes déjà confrontés à des évolutions majeures, destinées à inciter les contribuables à utiliser toujours davantage Internet », acquiesce Christophe Bonhomme Lhéritier, secrétaire général du syndicat CFDT Finances publiques auprès de La Tribune.

L'option du taux individualisé au sein des couples (mariés ou pacsés) existe déjà depuis la mise en place de l'impôt à la source, en 2019. « Cela fait cinq ans que nous sommes sous le régime du prélèvement à la source, les gens se sont organisés, juge Jean-Yves Mercier du Cercle des fiscalistes. Visiblement, ils se sont accommodés d'une situation où ils se voient appliquer un taux d'imposition du couple. »

Le taux individualisé existe déjà...

En pratique, le taux d'impôt à la source individualisé peut déjà être sollicité par les couples, directement depuis leur espace personnel sur impots.gouv.fr, dans la rubrique « Gérer mon prélèvement à la source ». Et ce, sans attendre la période déclarative au printemps. A titre indicatif, 520.466 demandes d'individualisation ont été effectuées en 2022 (plus de 500.000 en 2021, 687.000 en 2020, et 914.000 en 2019), selon le dernier bilan de l'administration fiscale, dévoilé jeudi 13 avril. Son mode de calcul est toutefois complexe, et peu lisible.

« Le taux individualisé du conjoint ou partenaire qui a personnellement disposé des revenus les plus faibles est déterminé sur la base des revenus dont il a personnellement disposé, de la moitié des revenus communs et de la moitié des revenus des personnes à charge ou rattachées, en retenant l'impôt calculé sur ces revenus avec la moitié du quotient familial du foyer », nous détaille la Direction générale des finances publiques (DGFIP).

Le taux du conjoint ayant les revenus les plus élevés, lui, est déterminé dans un second temps « en déduisant au numérateur l'impôt afférent aux revenus dont a personnellement disposé le premier conjoint et celui afférent aux revenus communs du foyer fiscal, et en retenant au dénominateur les seuls revenus dont le second conjoint a personnellement disposé ».

... Mais son calcul pose question

Guillaume Allègre et Hélène Périvier de l'OFCE estiment que ce mode de calcul du taux individualisé porte préjudice au conjoint ayant les plus faibles revenus. Les économistes assurent que l'intégralité du bénéfice du quotient conjugal bénéficie au conjoint ayant les ressources les plus élevées.

« Ce qui est problématique, mais encore une fois je suis mitigée, puisque je salue le fait que le revenu individuel des femmes soit moins taxé, c'est que le bénéfice du quotient conjugal n'est pas discuté, abonde Hélène Périvier. Je trouve que cela ne va pas vers plus de transparence du calcul de l'impôt. Cela amène de l'équité sur le prélèvement de l'impôt, mais cela ne répond pas au problème de fond qui est posé. »

Interrogée sur ce point, l'administration fiscale reconnaît que l'individualisation entraîne de facto un calcul du taux de prélèvement à la source sur une part, et non sur deux. Elle souligne que l'individualisation du taux de prélèvement sollicitée par un des membres d'un couple embarque mécaniquement l'autre, entraînant l'application d'un taux individualisé dans les deux cas. « C'est un système de vases communicants », affirme-t-on à la DGFIP.

Une réforme d'ampleur à venir ?

Les deux économistes avaient d'ailleurs planché sur plusieurs pistes de réformes. Ils proposaient notamment de plafonner le bénéfice du quotient conjugal, à l'image du quotient familial. Hélène Périvier et Guillaume Allègre allaient même jusqu'à imaginer une individualisation totale du calcul de l'impôt sur le revenu.

Une piste crainte par certains représentants des agents des finances publiques. « Il faut faire attention à ce que la mesure d'individualisation par défaut du taux de prélèvement à la source ne soit pas un leurre préparant les esprits, par une déconjugalisation déguisée de l'impôt sur le revenu, à une réforme de grande ampleur sur le mode de calcul et la notion de foyer fiscal », redoute ainsi Régis Bourillot de la CFTC Finances publiques.

Une telle réforme ne semble toutefois pas être à l'ordre du jour. « Je pense que ce sujet n'émerge pas dans le débat citoyen, parce que c'est complexe et très masqué », estime Hélène Périvier de l'OFCE. « On voit à l'échelle européenne que de nombreux pays ont fait le pas vers l'individualisation, observe la députée Marie-Pierre Rixain. Remettre en cause le quotient conjugal reviendrait toutefois à entamer un débat sociétal qui est beaucoup plus large. L'individualisation du taux de prélèvement à la source est une mesure d'équité sociale, mais je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il faut brutaliser les comportements sociaux. »

Pauline Chateau
Commentaires 2
à écrit le 16/04/2023 à 12:01
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Que l'argent soit prélevée sur le compte commun ou sur les payes y a pas de différence, en revanche qu'aujourd'hui on me prélève sur mon argent de cette année et plus l'année dernière mais qu les déduction se ne soit pas le cas me pose un gros soucis...

à écrit le 14/04/2023 à 9:43
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C'est une mesure élémentaire. Je l'ai mise en place dès les premiers jours du PAS en 2018. C'est normal: si Elle était seule avec moins de revenus, Elle ne paierait que très peu d'impôts. Comme cela, Elle n'en paie pas du tout. Et puis, c'est plus fa...

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