« L'inflation bondit à +5,8% en juin, « l'inflation grimpe à +4,8% en avril », « l'inflation explose à +3,6% en février » : ces derniers mois, les observateurs économiques ne brillent pas par leur modération. La hausse des prix est certes surprenante et inédite dans le monde occidental depuis les années 2000. Néanmoins, la présentation qui est faite des chiffres de l'inflation de mois en mois porte à confusion sur l'ampleur d'un phénomène qu'il convient de ramener à ses justes proportions.
Ainsi, lorsqu'on parle d'une inflation qui « bondit en juin », on a tendance à comprendre que les prix à la consommation de juin se sont envolés par rapport à ceux de mai. Or, il s'agit des chiffres de l'inflation en glissement annuel, comparant la hausse des prix d'un mois par rapport au même mois de l'année précédente.
Mensuelle, annuelle et sous-jacente : il n'existe pas qu'une inflation
« Ce qui est frappant depuis quelques mois, c'est que le rythme de l'inflation est donné en glissement annuel, ce qui tend à amplifier le phénomène, même si cela offre une perspective : ainsi une hausse de 5,8% en France en juin 2022 par rapport à juin 2021 signifie qu'en un an les prix ont augmenté de 5,8%. Mais en chiffres mensuels, les prix évoluent plus modérément et marquent le pas depuis avril : +0,3% en janvier 2022, +0,8% en février, +1,5% en mars, +0,4% en avril, +0,7% en mai et +0,7% en juin », analyse l'économiste et historien Michel-Pierre Chélini, qui rappelle que l'OCDE penche même pour un ralentissement de la hausse des prix au second semestre 2022 et pour l'année 2023.
Ce spécialiste de l'inflation s'étonne que les statistiques de l'inflation soient commentées de manière quasiment instantanée au jour le jour. « Pour avoir étudié l'inflation en France après la Seconde guerre mondiale, on peut dire que cela occupait la presse, mais pas vraiment la radio et les indices des prix n'étaient pas très connus. On parlait de « vie chère » », observe-t-il.
A l'époque, la flambée des prix était pourtant incomparable à ce qu'elle est aujourd'hui, avec une hausse de 60% par an entre 1945 et 1948. Le niveau d'inflation actuel paraît aussi très modéré une fois comparé au choc pétrolier de 1973 (+13,7% sur un an) ou au début des années 1920 (jusqu'à +40% d'inflation annuelle).
Dramatiser l'inflation aggrave... l'inflation
Autre élément qui permettrait de relativiser l'inflation et de contredire le poncif selon lequel « tout augmente » : l'inflation sous-jacente. Cet indice, qui exclut les prix très volatils de l'énergie et les denrées alimentaires, n'est que rarement donné. Elle atteint +3,7% sur un an, en restant parfaitement stable entre mai et juin. Contre-productive, la dramatisation excessive de l'inflation dans les discours médiatiques et politiques pourrait même... aggraver la tendance.
« En phase inflationniste, les phénomènes d'opinion sont très importants. Les réactions émotionnelles que peuvent avoir les consommateurs et les entreprises peuvent contribuer à alimenter involontairement le phénomène (part « psychologique » de l'inflation). Calmer le jeu fait aussi partie de la stratégie anti-inflationniste elle-même », conclut le professeur à l'université d'Artois Michel-Pierre Chélini.