La lumière au bout du tunnel n'est pas pour demain. Plus d'un an après l'arrivée du virus sur le territoire européen, beaucoup d'entreprises et secteurs restent embourbés dans une crise sanitaire à rallonge. Même si la vaccination a pu apporter des lueurs d'espoir, ce manque d'horizon pourrait amplement peser sur l'investissement des entreprises à long terme. C'est ce qui ressort d'une étude dévoilée ce mardi 20 avril par les économistes du Trésor. En effet, la situation financière des entreprises s'est dégradée au cours de l'année 2020 et si les aides ont permis de limiter la casse, la sortie de crise pourrait faire de nombreux dégâts. Lors d'un point presse mardi 20 avril, l'économiste et banquier central Benoît Coeuré a pointé certains risques.
"Les mesures de soutien ont été efficaces pour protéger l'emploi. Elles l'ont été pour protéger l'investissement également en 2020 [...] L'impact de la crise sur la profitabilité des entreprises et les comptes extérieurs sont plus préoccupants. Quand on corrige l'effet du CICE, le taux de marge des entreprises en France se replie plus qu'ailleurs. La dette des entreprises augmentent plus qu'ailleurs. La dette brute augmente de 217 milliards et la dette nette augmente peu, d'environ 17 milliards d'euros. La balance courante se dégrade plus qu'ailleurs. Les importations ont été plus dynamiques en France qu'ailleurs. Les mesures cachent une situation microéconomique qui n'était pas forcément favorable avant la crise."
Malgré la réouverture prochaine des établissements scolaires et la levée de certaines mesures d'endiguement dans quelques pays européens, le niveau de contaminations demeure à un niveau élevé sur le territoire français et les services de réanimation sont encore sous pression dans de nombreuses régions.
L'investissement dans les outils de production sous pression à long terme
L'investissement des entreprises dépend en premier lieu des carnets de commande et d'une conjoncture favorable. La plupart des enquêtes et baromètres montrent que les chefs d'entreprise déterminent leur décision d'investir en fonction de la demande. Si ce facteur est déterminant, la situation financière des entreprises, leur rentabilité et leur niveau d'endettement peuvent également jouer un rôle crucial rappellent les économistes de Bercy. En effet, les conditions d'endettement des entreprises auprès des banques vont être moins favorables si les comptes sont dans le rouge. Les taux d'intérêt fixés par les établissements bancaires peuvent être élevés. En outre, les bénéfices engendrés par les investissements peuvent d'abord servir à rembourser les créanciers avant de rémunérer les actionnaires.
Des simulations réalisées par les chercheurs du ministère des Finances montrent que "en faisant l'hypothèse que la demande et le niveau de profit des entreprises reviendraient à leur niveau d'avant-crise, l'endettement des entreprise généré par la crise réduirait l'investissement d'environ 2% par rapport à la tendance (cette baisse aurait été de 2,5% en l'absence des mesures de soutien public pendant la crise)". Au total, l'investissement dans les outils de production à l'échelle nationale serait inférieur de 4 milliards d'euros par rapport à la tendance pré-crise. Ces moindres investissements pourraient avoir des répercussions néfastes sur l'outil industriel tricolore déjà fragilisé par une année 2020 catastrophique et des décennies de délocalisations.
Des investissements en recherche et développement moins sensibles
Les dépenses d'investissement en recherche et développement seraient moins sensibles aux contraintes financières des entreprises. L'impact d'une hausse de l'endettement et de la baisse des profits ne serait pas "significatif". Le Trésor indique que pour "les entreprises investissant de manière régulière en R&D, celle-ci représente un investissement de long terme dont les coûts d'ajustement (fermeture/ouverture des laboratoires, perte du capital humain, etc.) sont très élevés. C'est pourquoi ces entreprises font généralement le choix et ont la capacité financière de lisser l'impact d'un choc". En revanche, les établissements qui n'investissent que ponctuellement dans la recherche seraient bien plus sensibles à la dégradation de la comptabilité.
Un plan de relance qui se fait attendre
Plus de huit mois après l'annonce du plan de relance de 100 milliards d'euros en septembre 2020, la situation sanitaire est toujours tendue. Même si le gouvernement communique régulièrement sur l'engagement de sommes importantes, le décaissement du plan de relance est sans cesse repoussé par la crise sanitaire persistante et les mesures d'endiguement. L'exécutif doit décaler la levée des mesures sanitaires et les appels à recalibrer le plan de relance en France se multiplient. En effet, ce dernier a été conçu au milieu de l'année 2020 où les espoirs d'une reprise rapide et efficace étaient encore présents.
Chez certains de nos voisins comme en Italie ou en Grande-Bretagne, les gouvernements ont annoncé des sommes supplémentaires pour relancer leur activité. Aux Etats-Unis, le plan de relance du président Joe Biden de 1.900 milliards de dollars et son gigantesque programme d'investissements dans les infrastructures suscitent de l'espoir après une année 2020 apocalyptique. En France, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a annoncé que certaines dettes d'entreprises pourraient être annulées. "Ce n'est qu'un instrument parmi d'autres. Il s'agit bien d'un outil qui doit faire l'objet d'un diagnostic proche du terrain à l'échelle des régions. Il ne répond qu'à certaines situations. Il ne faut pas attendre de miracle" a répondu Benoît Coeuré interrogé par La Tribune. En outre, le gouvernement a annoncé qu'il maintenait le cap sur la baisse des impôts de production qui devrait concerner toutes les entreprises. Or certaines d'entre elles devraient être pénalisées en sortie de crise quand d'autres devraient tirer leur épingle du jeu. Les prochaines semaines devraient être capitales pour assurer un rebond économique sans trop de dégâts.