La revanche des pouvoirs locaux

Après avoir été un candidat plutôt girondin, le président Macron a rapidement pris un tournant jacobin, quitte à se mettre à dos tout ou partie des élus locaux. Aux avant-postes pendant la crise sanitaire, ces derniers rêvent tout haut de sortir d’un "schéma ultra-centralisé". Le président du Sénat Gérard Larcher présentera d'ailleurs ce 2 juillet "50 propositions pour le plein exercice des libertés locales".
César Armand
(Crédits : Damien Meyer/Pool/AFP)

Des « transferts de compétences, de moyens et d'effectifs ». De l'autonomie fiscale et financière. Une « révolution de liberté et d'efficacité ». Depuis l'élection d'Emmanuel Macron à l'Élysée en mai 2017, ce tiercé gagnant revient sans cesse dans la bouche des élus locaux, à commencer par le Troyen François Baroin, président (LR) de l'Association des maires de France et putatif candidat à la présidentielle de 2022. En face, que ce soit dans une « Lettre aux Français » en pleine crise des « gilets jaunes », lors d'une conférence de presse post-Grand Débat national ou pendant une adresse à la nation un mois après le déconfinement, le chef de l'État leur répond systématiquement la même chose : « l'organisation de l'État et de notre action doit profondément changer » ; « tout ne peut pas être décidé si souvent à Paris » ; « faisons-leur davantage confiance, libérons la créativité et l'énergie du terrain », ou encore : « Je veux ouvrir une page nouvelle donnant des libertés et des responsabilités inédites (...) pour nos maires. »

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Le transfert de compétences, de moyens et d'effectifs demandé par les associations d'élus est pourtant déjà à l'ordre du jour avec le projet de loi sur la décentralisation, la différenciation et la déconcentration [loi 3D, ndlr] annoncé par le gouvernement au printemps 2019 mais ajourné du fait du Covid-19. Ce texte est censé supprimer les doublons État-collectivités (décentralisation), renforcer la présence de l'État sur le terrain (déconcentration) et permettre une application différente des lois en fonction des territoires (différenciation). C'est pourquoi cette petite musique des associations d'élus locaux et du président du Sénat Gérard Larcher commence à agacer l'entourage du ministre des Collectivités territoriales.

« Nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait depuis le début du quinquennat : stabilisation de la dotation globale de fonctionnement, revalorisation du maire avec le projet de loi Engagement et proximité, loi 3D en cours de préparation avec une vraie volonté de clarification. Nous avons toujours été là pour les soutenir », dit-on au cabinet de Sébastien Lecornu.

Un plan d'urgence d'ampleur

« Faisons d'abord les 3C : confiance, compétences et clarification », réplique à La Tribune le président (LR) de Régions de France, Renaud Muselier, dont les relations se sont « normalisées » depuis janvier avec la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault. « Est-ce que le pouvoir central va vouloir reprendre nos libertés conquises pendant la crise ? C'est vraisemblable mais pas souhaitable », ajoute le président de la Région Sud.

D'autant que, selon des chiffres du département des études et des statistiques locales (DESL) de la Direction générale des collectivités locales du ministère de l'Intérieur, les recettes des collectivités devraient chuter de 7,5 milliards d'euros en 2020 : 3,2 milliards pour les communes et intercommunalités [le bloc communal], 3,4 milliards pour les départements et 0,9 milliard pour les régions.

« Depuis une vingtaine d'années, Bercy regarde une chose : l'augmentation des dépenses des collectivités », relève ainsi Jean-François Debat, président (PS) délégué de l'association Villes de France. « Ils les ont cassées en vendant la suppression de la taxe professionnelle à Nicolas Sarkozy puis la suppression de la taxe d'habitation à Emmanuel Macron. De fait, l'État, le gouvernement et le président de la République contribuent à casser nos recettes », assène encore le maire de la ville moyenne de Bourg-en-Bresse, dans l'Ain.

L'autonomie fiscale et financière risque de rester un vœu pieux

À cet égard, l'autonomie fiscale et financière, demandée par les élus locaux depuis la suppression de la taxe d'habitation et l'encadrement des dépenses de fonctionnement, risque de rester un vœu pieux. Déjà en novembre 2018, devant le bureau de l'Association des maires de France reçu à l'Élysée, le chef de l'État avait rétorqué qu'il n'y croyait pas. Encore aujourd'hui, un conseiller ministériel concerné balaie cette hypothèse : « Imagine-t-on un président de région passer le taux de TVA à 25 % s'il en avait la possibilité ? Soyons cohérents ! Il serait obligé d'augmenter les impôts. »

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Sans oublier que, dès le 1er  janvier 2021, les conseils départementaux ne percevront plus la taxe sur le foncier bâti, affectée aux communes pour compenser la perte de la taxe d'habitation. S'ils recevront à la place une fraction de TVA, les départements « ont de vraies inquiétudes sur leur autonomie financière », affirmait en octobre dernier Dominique Bussereau, le président (ex-LR) de l'Assemblée des départements de France (ADF).

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« Je caresse toujours l'espoir que les droits de mutation à titre onéreux [DMTO, frais de notaire] puissent redevenir le levier fiscal sans qu'il s'agisse d'ouvrir "open bar" le taux », déclare Jean-René Lecerf, président (ex-LR) du Conseil départemental du Nord. « Ce serait une façon de nous rendre une certaine autonomie fiscale. Des ministres ne sont pas contre et Édouard Philippe était d'accord avant se raviser », confie encore le patron de la commission finances locales à l'ADF. « À part dans le bloc communal, il n'y a plus d'autonomie fiscale. Les départements en ont perdu le dernier aspect avec le transfert de la taxe foncière », conclut-il.

L'État s'en défend, citant le plan d'urgence de 4,5 milliards d'euros pour les collectivités en cours d'adoption dans le cadre de l'examen du troisième projet de loi de finances rectificatif 2020 (PLFR3). Pour les conseils départementaux, l'enveloppe s'élève à 2,7 milliards d'euros et doit leur permettre de bénéficier d'une avance sur les frais de notaire après des mois de paralysie du marché immobilier. Le bloc communal doit, lui, bénéficier d'un total de 750 millions d'euros, quand la dotation de soutien à l'investissement local voit son enveloppe passer de 0,6 à 1,6 milliard d'euros. « Ce n'est pas rien », déclare-t-on au ministère des Territoires.

« Encore faut-il que les préfets reçoivent les consignes et ne nous disent pas que cela ne nous concerne pas », nuance Luc Waymel, le maire sans étiquette du village de Drincham (Nord). « Pour un président de métropole, 1 million d'euros, c'est rien, alors que pour nous, cela peut concerner entre 50 et 100 projets », poursuit le vice-président chargé des finances à l'Association des maires ruraux de France (AMRF).

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Enfin, la «  révolution de liberté et d'efficacité » laisse songeur, sachant que, selon le célèbre article 72 de la Constitution, « dans les conditions prévues par la loi, les collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ». « La France est irriguée par ses 36 000 communes (34 968 au 1er janvier 2020). C'est une chance d'avoir un tel maillage. On s'en est rendu compte pendant la crise sanitaire, au cours de laquelle les pouvoirs publics se sont appuyés sur les collectivités », souligne Christophe Bouillon, président (PS) de l'Association des petites villes de France (APVF). « Les maires veulent qu'on les laisse tranquilles - surtout pas d'un État trop tatillon -, sans être abandonnés, avec un vrai État stratège », précise le maire de Barentin (Seine-Maritime).

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« Il n'y a pas deux puissances publiques : d'un côté la puissance publique locale et de l'autre la puissance publique d'État », rétorque-t-on dans l'exécutif. À l'image de l'Annécien Jean-Luc Rigaut, des élus locaux ont jugé une démarche « intéressante » pendant le confinement : celle des Collec. Ces comités locaux de levée du confinement mettaient autour de la table services de l'État, représentants des collectivités, acteurs économiques et sociaux afin de partager des informations, de recueillir des demandes et de présenter les mesures envisagées. « C'était une miniconférence nationale des territoires. Il faudrait que cela dure », estime le président (UDI) de l'Assemblée des communautés de France (AdCF). En attendant, « comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 246 variétés de fromage ? », comme s'interrogeait le général de Gaulle.

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César Armand
Commentaires 2
à écrit le 03/07/2020 à 16:11
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La décentralisation = clientélisme, faveurs, magouilles, détournement de l'argent public.

à écrit le 02/07/2020 à 9:40
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Le bal des vampires !

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