Management : cours de samba, balade en montgolfière... Rire pour ne pas pleurer ou les égarements du team building

Une étude menée par des chercheurs de l’EM Normandie et de Montpellier Business School pointe le caractère infantilisant et contreproductif des sessions de team building.
77 % des entreprises déclarent mettre en place des programmes de stimulation et/ou de fidélisation (étude Edenred France / Ipsos, 2020)
77 % des entreprises déclarent mettre en place des programmes de stimulation et/ou de fidélisation (étude Edenred France / Ipsos, 2020) (Crédits : DR)

Emmener ses collaborateurs en balade en montgolfière « pour prendre de la hauteur », fomenter une bataille de pelotes de laine pour « retisser les liens », organiser un stage de théâtre sur une scène penchée (oui, oui, cela existe) afin « d'appréhender l'inconfort de certaines situations de travail » ... Rares sont les salariés qui n'ont jamais eu vent de telles propositions.

Pour cause. Depuis les années 80, un nombre croissant d'entreprises - et singulièrement les plus grandes d'entre elles - succombent à la tentation du team building. Difficile de les blâmer. A écouter l'armada de consultants et prestataires qui propose des offres « clés en main » sur les réseaux professionnels, construire ensemble des tours Eiffel en spaghetti ou s'improviser danseurs de samba constitueraient un remède souverain pour améliorer la cohésion des équipes et lutter contre la démobilisation des salariés ou leur manque d'engagement. Mais la promesse est-elle tenue ?

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La GenZ très circonspecte

C'est ce qu'ont cherché à savoir deux chercheurs en sociologie du travail de l'EM Normandie et de Montpellier Business School. Pour s'en faire une idée, ils ont sondé les cœurs d'une petite quarantaine de jeunes diplômés de grandes écoles, tous passés par ce genre d'expérience. Fruit de huit mois d'enquête, leurs conclusions publiées récemment dans une revue internationale de psychosociologie sont édifiantes. Alors que l'on pouvait croire la jeune génération réceptive à ce type de pratiques censé incarner la modernité, les propos recueillis par Xavier Philippe et Thomas Simon démontrent au contraire que la GenZ reste très circonspecte pour ne pas dire franchement hostile au team building.

De fait, les intéressés jugent le concept au mieux « infantilisant et inutile », au pire source de malaise pour ceux qui n'y adhèrent pas. Comment se comporter face à son responsable hiérarchique à qui l'on vient d'infliger une défaite cuisante au babyfoot ou avec qui l'on a partagé une soirée de beuverie ? S'interrogent-ils en substance. Les plus méfiants suspectent même les entreprises de chercher à faire diversion. « Franchement, je ne connais pas de team building ayant apporté une solution sur des problèmes de fond », estime par exemple l'une des jeunes femmes interrogées. D'autres à peine plus convaincus déplorent le gaspillage d'argent et le manque de pertinence des pratiques. « C'est absurde de coller des gommettes sur une affiche », ironise un autre participant cité dans l'étude.

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Une forme de domination insidieuse ?

Pour les auteurs de ladite étude, cela ne fait plus l'ombre d'un doute : ces témoignages attestent du caractère pernicieux de « l'injonction d'amusement » qui sous-tend la pratique, pourtant censée dissoudre les étanchéités entre les collaborateurs. Non seulement, elle rend les salariés suspicieux en les poussant à adopter une conformité de façade (il faut être « potes »). Mais elle contribue dans le même temps à obérer la réalité des conditions de travail. Le tout au nom d'une fumeuse « idéologie bonheuriste » telle que la décrivaient en 2018 la philosophe Julia De Funès et l'économiste Nicolas Bouzou dans leur ouvrage « La comédie inhumaine » (*). A l'époque, ces derniers évoquaient déjà « des process engourdissant les intelligences » en parlant du team building.

Cinq ans plus tard, l'analyse n'a pas pris une ride, selon les deux sociologues normand et occitan. « On ne résoudra pas les problèmes concrets du travail réel en transformant l'entreprise en bac à sable », résument-ils. Pour Xavier Philippe, cette propension à brouiller les frontières entre amusement et travail peut même être perçue comme « une forme de domination insidieuse» par les participants. « Par le biais de mises en scène pseudo-ludiques, on essaie de faire oublier aux salariés que le travail est un lieu de contraintes ce qui contribue à amoindrir leur recul critique », décrypte-t-il.

Dès lors, faut-il jeter aux orties toute tentative de souder les équipes ? A cette question, les jeunes salariés interrogés dans l'étude répondent par la négative. Mais plutôt que des activités imposées, ils suggèrent de favoriser les moments propices aux échanges informels initiés par les collaborateurs eux-mêmes. A méditer.

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(*) aux éditions de l'Observatoire

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Commentaires 4
à écrit le 12/12/2023 à 9:42
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Sujet auquel il faut ajouter la dérive sectaire des officines qui proposent ce type de "formation".

le 12/12/2023 à 9:59
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C'est logique, cette habitude d'offrir l'argent public à ses réseaux ,systématiquement, fait que ceux ci ne sont absolument pas compétitifs, déconnectés ainsi des réalités ils ne peuvent que finir par y croire qu'ils sont des sortes d'élus et qu'il e...

à écrit le 12/12/2023 à 9:25
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Oui mais c'est souvent le niveau intellectuel de leur hiérarchie, dont le but est de tenir ses subalternes en dessous d'elle afin que ceux-ci ne piquent pas leurs places fortement menacées du fait d'une telle bêtise implantée. Par ailleurs comme cett...

à écrit le 11/12/2023 à 22:38
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On met les salariés en concurrence mutuelles, puis ont leur demande de collaborer ? Les dommages collatéraux sont énormes : démotivation, perte de compétitivité, perte de compétences, et perte de part de marché. Le management par la diversité est aus...

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