Présidence du Medef : « Le match est loin d'être plié » (Dominique Carlac'h)

Une femme à la tête du Medef ? Avec Laurence Parisot dans les années 2000, « c'était innovant. Dans les années 2020, cela relève de l'évidence, et oui, en terme d'image, d'incarnation, cela changerait les choses ! », affirme Dominique Carlac'h à La Tribune. Dans la dernière ligne droite avant le vote décisif du 6 juillet pour la succession de Geoffroy Roux de Bézieux à la tête du Medef, la seule femme en lice jette ses dernières forces dans une bataille que l'on dit jouée d'avance pour son concurrent, Patrick Martin. Au jour du débat prévu cet après-midi sur BFM Business entre les deux challengers, la candidate à la présidence du Medef croit encore en ses chances. Elle veut faire du travail la priorité de son mandat à l'heure où les entreprises rencontrent des difficultés inédites pour recruter.
« le match est loin d'être plié », assure Dominique Carlac'h.
« le match est loin d'être plié », assure Dominique Carlac'h. (Crédits : DR)

Comment vous sentez-vous ? Comment se passe cette fin de campagne alors que votre compétiteur fait office de favori ?

Tout le monde me demande : « ce n'est pas trop dur la dernière ligne droite ? ». Non, car « le match est loin d'être plié ». La compétition, c'est ma vie et la dernière ligne droite, c'est la meilleure, la plus stimulante.

C'est la sportive qui parle ?

Il y a des analogies entre le sport, la compétition, et une campagne électorale comme celle que je mène, pour la seconde fois, signe de mon engagement au service du Medef. C'est une évidence parce qu'on rencontre de l'adversité. La campagne ne dure que quatre mois, c'est intense physiquement, intellectuellement, psychologiquement. Mais c'est la deuxième fois que j'y vais, je suis préparée. Il y a un vrai enjeu dans le duel qui a lieu. Je ne suis pas arrivée là, dans cette finale, par hasard. Et je me sens portée par les nombreux soutiens, de plus en plus nombreux, que je reçois.

Patrick Martin est soutenu par les grandes forces patronales comme l'UIMM, le bâtiment... Vous ne craignez pas une défaite annoncée d'avance ?

Patrick  explique avoir beaucoup de gens derrière lui. Mais je pense que la situation est plus équilibrée qu'on ne le dit. De nombreuses fédérations ne se prononcent pas officiellement. C'est un signe que rien n'est joué d'avance. Le patronat est plus partagé qu'il ne le laisse voir dans cette élection. Il y a des doutes. Et beaucoup me le disent que je serai la surprise du 6 juillet. Il y a souvent de l'agacement dans nos rangs à entendre certains dire que tout est joué d'avance. La campagne pour la Présidence du Medef ne se réduit pas à un calcul de soutiens. Elle doit se faire sur des propositions, dans le respect des uns et des autres et certainement pas céder au jeu des rumeurs et des petites phrases. Ma détermination fait vraiment la différence sur le terrain. Surtout que de nombreux territoires comme le Loir-et-Cher, le Morbihan, le Pays Basque, le Périgord, les Hauts-de-Seine, mais aussi en Nouvelle Aquitaine, en Normandie ou dans les Hauts-de-France, etc. me disent qu'ils sont derrière moi.

Vous avez pensé à vous rallier pour faire un ticket unique ?

Mais qui a peur d'une vraie élection au Medef ? Je ne fais pas cette campagne pour me rallier. Je ne suis pas là pour faire un ticket. J'irai jusqu'au bout. Et je m'étonne d'ailleurs que le ralliement de Pierre Brajeux par exemple à ma candidature suscite autant de commentaires. Il y a 5 ans, Patrick Martin avait fait un ticket avec Pierre Brajeux...

Vous vous définissez comme la candidate « du mouvement », de la « modernité ». Cela veut dire quoi concrètement ?

Nous, chefs d'entreprise sommes devant des défis considérables. Le premier est le défi de la colère sociale. Une réforme des retraites qui passe mal, l'intersyndicale qui se reconstitue - avec un renouvellement des instances du côté des syndicats qui vont vouloir imprimer leur marque -, un gouvernement qui est parfois mis en difficulté, il y a fort à parier que les entreprises vont connaître une forte pression. Avec cette question posée aux chefs d'entreprises : face au sentiment de déclassement, que faites-vous ? Les entreprises seront vues, soit comme une solution, soit comme une cible. Cela va être assez binaire.

Sans compter qu'en 2027, il y a un grand rendez-vous avec l'élection présidentielle. Et en attendant, une Assemblée nationale faite de bruit et de fureur... Ce contexte n'a rien à voir avec celui de la précédente élection au Medef, en 2018, avec un gouvernement Macron qui était pro-business... Le Medef doit mieux se faire entendre dans ce nouveau contexte.

Le deuxième sujet concerne le rapport au travail. Il n'est pas possible de traiter le rapport au travail en disant « il n'y a plus de jeunesse, plus de travail, c'est la grande démission, etc. ». Les adhérents du Medef veulent qu'on réfléchisse ensemble pour recruter, fidéliser les salariés, que l'on propose des choses intelligentes pour rester dans la course. L'enquête du Medef publiée la semaine dernière sur le moral des chefs d'entreprise montre que leur première source d'inquiétude, c'est en premier lieu le sujet du recrutement. Comment faire pour pouvoir avoir des équipes motivées, engagées, qui ont envie de rester ? L'organisation du travail fait partie du package de l'attractivité et est une clé de la compétitivité de nos entreprises.

Les syndicats proposent un agenda social, avec des sujets comme la semaine de quatre jours, le compte épargne temps universel. Qu'en pensez-vous ?

Le vrai sujet, c'est le travail tout au long de la vie, en compétence, et en mobilité. C'est la question des trajectoires professionnelles : comment rester dans l'emploi, comment avoir le choix ? Dans une carrière, quand on a entre 35 et 45 ans, il y a un virage des compétences à prendre. Il se prépare. C'est pour cela que si je suis élue, je lance sans attendre, un premier sujet sur les reconversions. Cela va de soi, mais je le dis, avant une éventuelle négociation sociale, je souhaite que l'on organise des concertations en interne. Pour passer au crible les outils, réfléchir techniquement comment on bâtit des dispositifs de reconversion. De façon positive.

Autre sujet concret de concertation, puis de négociation avec les partenaires sociaux : le travail des seniors. Avec le conflit sur les retraites, le maintien dans l'emploi apparaît comme punitif. Or, il me semble que des salariés peuvent aussi avoir envie de continuer un peu à travailler ; l'aspiration à se trouver utile dans la société et en entreprise est forte ... Entre les entrepreneurs du bâtiment qui nous disent très justement qu'un couvreur à 57 ans ne peut plus être sur un toit, ou que dans un abattoir, on ne peut plus désosser dans le froid au bout de quelques années, se pose la question de l'usure... que nous devons traiter, évidemment.

Et à côté de cela, il y a aussi des gens qui veulent continuer à travailler, qui voient la retraite comme une punition, soit pour des raisons économiques, soit pour des raisons d'épanouissement, d'utilité. Il faut aussi porter cette voix. Je voudrais être la candidate de l'épanouissement au travail.

Faut-il un patronat plus offensif ?

Je le redis, le contexte a changé. Dans le Medef que je veux incarner, il y aura trois piliers. Un pilier social, que le Medef connaît bien, c'est le paritarisme. Mais aussi un pilier souveraineté et compétitivité, et un pilier transitions et transformations. Les entreprises ont un rôle essentiel dans les transitions climatiques, numériques, démographiques, alimentaires, sanitaires, etc. L'État n'a plus de marges de manœuvre. Les entreprises ont des solutions sur les questions de la petite enfance, du grand âge, du climat, de l'eau. Elles sont utiles et responsables.

Est-ce que ce n'est pas un peu trop proche de la CFDT comme posture pour le patronat ?

Justement non. La CFDT demande à être dans la gouvernance des entreprises. Moi, je dis toujours : « celui qui prend des risques d'investisseur, d'entrepreneur, que ce soit en temps, en argent..., doit rester celui qui décide ». Par exemple, sur le partage de la valeur, rappelons un principe élémentaire : c'est au chef d'entreprise de placer le curseur entre le capital et le travail. Je ne suis pas favorable à la cogestion, non ! J'ai créé mon entreprise, j'en reste le pilote. Je donne les orientations stratégiques et la vision. C'est fondamental comme différence.

Et, pour moi, le juge de paix, c'est la compétitivité. Est-ce que le compte épargne temps universel, le CETU, ou la semaine de quatre jours vont permettre de maintenir la productivité, la quantité de travail nécessaire à comparativement être aussi forts ou plus forts que les autres ? Je ne le pense pas. En revanche, on peut réfléchir à une certaine dose de flexibilité de l'organisation du travail. C'est peut-être la clé. L'accord télétravail dans lequel j'étais négociatrice avec Hubert Mongon de l'UIMM, n'a pas été prescriptif, il n'est pas normatif. Il dit « voilà comment vous pouvez réussir à organiser le télétravail dans vos entreprises ». L'important est de donner un cadre pour négocier dans l'entreprise. Je suis pragmatique.

Pour votre concurrent, la priorité c'est la croissance face aux décroissants. Et pour vous ?

Pour moi, la croissance est une évidence. Puisque l'Etat providence n'a plus de marge de manœuvre, seul l'investissement humain, économique, écologique, peut créer de la croissance. Je suis favorable au progrès. Je ne suis pas décliniste. Je ne crois pas à la décroissance.

Au XXᵉ siècle, on a transporté, nourri, chauffé, logé les populations, sans économie de ressources... Sans se soucier de la planète. Au XXIᵉ siècle, il faut que nous puissions toujours nourrir, soigner, chauffer, loger, transporter les populations, mais dans une logique d'économie de ressources. Et ce sont les entreprises qui ont la solution pour le faire. En changeant leurs process. En innovant.

Faire mieux pour les faire différemment. Voilà la révolution industrielle qui nous attend, fondée sur le changement du système énergétique. Mais nous devons aller vite. Nous avons cinq ans, dix ans devant nous.... Il y a urgence à accélérer les transitions. Pour ce faire, le Medef a chiffré qu'il faut investir 40 milliards d'euros par an. Il faut que les entreprises retrouvent des marges de manœuvre. Pour investir, il faut produire et faire des bénéfices. Or, aujourd'hui, nous avons beaucoup trop de charges, toujours trop d'impôts. Souvent, nous avons la technologie mais la réglementation nous freine. A nous de faire changer les choses, et de peser sur le gouvernement et l'Europe pour que cesse  cette sur-réglementation.

Deux femmes sont aujourd'hui à la tête des deux premiers syndicats. Sophie Binet à la CGT et Marilyse Léon à la CFDT. Est-ce que dans ce contexte, ça changerait quelque chose que ce soit une femme qui dirige aussi le patronat ?

J'entends beaucoup dire qu'en termes d'image, d'incarnation... oui, cela changerait les choses. Ce ne serait pas une première : Laurence Parisot a présidé le Medef dans les années 2000. A l'époque, c'était innovant. Mais, aujourd'hui, dans les années 2020, cela relève de l'évidence. Surtout qu'il y a peut-être une attente de la société. Regardez comment les Français ont élu un homme de moins de 40 ans, à la tête de l'Etat. Regardez la nouvelle patronne annoncée chez Leroy-Merlin et qui a 28 ans. Les mentalités changent, y compris au sein du patronat, qui manque encore de femmes.

Justement, vous serez peut-être la présidente du Medef qui fera face à une présidente de la République d'extrême-droite. Quelle attitude aurez-vous face à Marine Le Pen à L'Elysée ?

Geoffroy Roux de Bézieux l'a dit lui-même, dans vos colonnes : cette présidence a été peinarde. Mais, la prochaine promet d'être différente. C'est pour cela qu'il faut se préparer. Mener le combat. Ne pas être sur la défensive. Ne pas se réveiller en 2027 pour définir la façon dont le patronat se positionne face au chef de l'Etat, quel que soit son bord. Les entreprises doivent être entendues. Car tous ces sujets - comme la préférence nationale sur l'emploi par exemple, ou la loi immigration - sont éminemment politiques. Il est important de prévoir, de consulter et réfléchir, ensemble, en interne.

Une chose est sûre. Je veux être la candidate de la probité. Le mandat du prochain ou de la prochaine président.e du Medef va de 2023 à 2028. Cela revient à préparer les années 2030. Notre responsabilité d'entrepreneurs, c'est de voir loin.

Commentaires 2
à écrit le 26/06/2023 à 13:57
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Ah oui ! Valerie Lemercier à la Tête du Medef ! "Mais monsieur Ouille, pas avec votre poncho !" "Est-ce que vous auriez un pola ? Un Polaroïd Jacques !" "Allons, allons les enfants !! Cousin Hubert n'est pas un voleur, et l'autre monsieur n'...

à écrit le 26/06/2023 à 8:01
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On se croirait aux élections nationales, impossible dorénavant de distinguer une quelconque différence entre les divers candidats. Alors oui c'est une femme ok...

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