La crise du coronavirus chamboule les lignes budgétaires du gouvernement Castex. Après une semaine d'isolement pour avoir été testé positif au Covid-19, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire est venu présenter un budget 2021 sous le signe de la relance, accompagné du ministre en charge des Comptes publics, Olivier Dussopt.
"Le budget présenté ce matin est un budget de relance. Il répond à l'urgence immédiate. Des milliers de PME ont encore besoin du soutien de l'État. Il n'y a pas de contradiction entre la transformation de l'économie et de notre modèle productif et la poursuite du soutien aux entreprises et aux PME. Nous avons répondu à la pire crise économique depuis 1929. Nous avons sauvé des milliers d'emplois et d'entreprises. Nous avons fait le maximum et nous continuerons de faire le maximum", a déclaré le ministre des Finances dans son propos liminaire. France relance, c'est un montant global de 100 milliards d'euros".
Après un printemps cataclysmique et une reprise de l'activité plus forte que prévu cet été, les clignotants sont au rouge en ce début d'automne. La multiplication des foyers de contamination a amené les autorités sanitaires à durcir à nouveau les mesures pour limiter la propagation de la Covid-19.
Dans ce contexte de nouvelle flambée de l'épidémie, la reprise économique est à nouveau sous pression. Pour le gouvernement, l'équation s'annonce périlleuse. Face à de nombreux doutes, "nous devons conjuguer la lutte contre le virus et la mise en œuvre de la relance. Nous devons apprendre à vivre avec le virus", a répété Bruno Le Maire. Derrière ces discours et ce chiffre impressionnant de 100 milliards, la stratégie du gouvernement s'annonce risquée à un moment où la santé de la population française est à nouveau menacée.
La priorité donnée à la croissance verte
Lors de la présentation du projet de loi de finances (PLF) 2021, les deux ministres ont particulièrement insisté sur la nécessité de relancer l'économie par la croissance verte. "Avec un effort inédit de 30 milliards d'euros d'investissements en faveur de l'environnement, France relance constitue un levier essentiel d'accélération de notre transition écologique", explique le document budgétaire. Dans une liste à rallonge, le gouvernement explique vouloir mettre l'accent sur la rénovation énergétique des bâtiments privés et publics, la décarbonation de l'industrie, le développement de la filière hydrogène, l'économie circulaire, la mobilité verte...
Sur tous ces points, l'exécutif compte mettre en œuvre plus de transparence en présentant l'impact environnemental des principales dépenses budgétaires et fiscales. La stratégie du gouvernement sur la transition écologique semble périlleuse. En effet, la multiplication des annonces dans un grand nombre de secteurs pourrait diluer l'efficacité de certaines mesures alors que la transition écologique est régulièrement citée comme "une priorité" par le gouvernement. Certains économistes n'ont pas hésité à parler de "saupoudrage".
Baisse des impôts de production
Le second axe de ce budget est le renforcement de la compétitivité des entreprises. Sans surprise, le gouvernement entend poursuivre sa politique économique de l'offre en favorisant les baises d'impôt pour les entreprises. "Si nous voulons assurer la reconquête industrielle, il faut continuer à baisser les impôts", a affirmé Bruno Le Maire lors du point presse.
L'année prochaine, les impôts de production devraient diminuer d'environ 10 milliards d'euros. Dans le détail, la principale baisse concerne la contribution économique territoriale (CET). Elle est composée de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, -7,2 milliards d'euros), de la cotisation foncière sur les entreprises (CFE, -1,5 milliard) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties acquittée par les entreprises (-1,75 milliard d'euros).
Selon des simulations communiquées par l'administration fiscale, ces baisses devraient profiter à 41% aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), à 33% aux PME et TPE et à 26% aux grandes entreprises.
Ce soutien massif aux entreprises, qui s'accompagne de la poursuite de la baisse de l'impôt sur les sociétés, pourrait rapidement trouver ses limites si la demande et les carnets de commande restent moroses. Dans leur point de conjoncture de début septembre, les économistes de l'Insee ont notamment pointé le risque d'un "choc sur la demande" :
"Depuis l'été, les enquêtes de conjoncture pointent par ailleurs le risque d'un choc significatif de demande. Les entreprises sont nombreuses à craindre des pertes de débouchés. Dans l'industrie, les carnets de commandes - en particulier venant de l'étranger - ne se regarnissent que lentement. Et la confiance des ménages dans la situation économique reste inférieure à son niveau d'avant crise".
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En outre, la baisse de la fiscalité sans condition environnementale ou d'emploi remet en cause la logique précédente du gouvernement en faveur de la transition écologique. Beaucoup d'entreprises dans le secteur des énergies fossiles par exemple devraient profiter de ces baisses.
Soutien à l'emploi
L'autre urgence affichée par l'exécutif est la sauvegarde des emplois. Si les mesures d'activité partielle mises en œuvre depuis le début du printemps ont permis de limiter la casse sociale dans un premier temps, le repli historique de l'activité n'a pas empêché de multiples destructions de postes. Selon l'Insee, plus de 700.000 emplois ont été détruits au cours du premier semestre.
De grands groupes comme Renault, Airbus, Air France, Bridgestone ont déjà annoncé des fermetures de sites et des licenciements sans compter tous les contrats à durée déterminée (CDD), les intérimaires et les saisonniers qui ont déjà subi de plein fouet les conséquences terribles de la pandémie.
Pour tenter de limiter l'hémorragie, le gouvernement veut pérenniser les mesures de chômage partiel en proposant un dispositif double pour donner "une meilleure visibilité aux salariés et aux employeurs" :
- un dispositif d'activité partielle de droit commun (APDC). Il vise à répondre à des besoins ponctuels et doit permettre de protéger les emplois, en particulier ceux qui sont proches du SMIC, pour les entreprises ayant connu une baisse de l'activité limitée.
- un dispositif d'activité partielle de longue durée (APLD) "pour accompagner les entreprises subissant un choc durable mais avec la perspective de reprise d'une activité à moyen terme".
Le chiffrage de ces mesures est estimé à 6,6 milliards d'euros en 2021 et assuré à 67% par l'État (4,4 milliards d'euros) et à 33% par l'Unédic (2,2 milliards d'euros).
Pour l'organisme paritaire en charge du financement de l'assurance-chômage, les perspectives budgétaires s'annoncent très tendues après une année 2020 dans le rouge. La mise en œuvre massive du chômage partiel, qui a servi d'amortisseur pendant les semaines de confinement et au moment de la reprise, a plombé les comptes de l'Unédic. La montée du taux de chômage dans les mois à venir devrait encore alourdir la facture.
Dans ses perspectives, Bruno Le Maire a expliqué que "l'objectif du plan de relance et ce budget est de créer jusqu'à 240.000 emplois d'ici 2022, créer 4 points de PIB et de retrouver le niveau d'activité d'avant la crise d'ici 2022". Rien que pour 2020, plus d'un million d'emplois pourraient être détruits selon des estimations de la Banque de France.
Un rebond de 8% anticipé l'année prochaine
U,V,W, K, en aile d'oiseau... le profil de la reprise demeure à ce stade complexe à établir. La mise sous cloche de l'économie a complétement déboussolé les repères des économistes et bousculé leur modèle de prévision.
De son côté, le gouvernement table sur une récession de l'ordre de 10% cette année avant un rebond de 8% en 2021. Bruno Le Maire a assuré que "le scénario sur lequel repose le projet de loi de finances demeure toutefois prudent pour 2020, afin de tenir compte des incertitudes inhérentes à l'évolution de l'épidémie". En outre, la vitesse de reprise de l'activité va dépendre en grande partie de l'évolution de la crise sanitaire et des avancées de la recherche pour trouver un vaccin.
De nombreuses interrogations sur l'évolution de la consommation demeurent. Dans le document présenté au point presse, les auteurs expliquent que "à la faveur de la forte épargne accumulée pendant le confinement, de l'impulsion du plan de relance et de la progression du pouvoir d'achat sur les deux années, la reprise de la consommation pourrait être plus dynamique qu'attendu". Bien que les ménages ont cumulé une épargne forcée de 86 milliards d'euros entre mars et août, une partie de cette épargne pourrait se transformer en épargne de précaution si la confiance des ménages ne s'améliore pas grandement.
La trajectoire des finances publiques remise en cause
La crise a mis à mal la trajectoire de réduction des dépenses publiques promue par le gouvernement. Alors qu'Emmanuel Macron avait promis une baisse des dépenses publiques, la pandémie a obligé le gouvernement a revoir profondément sa copie. Pour 2021, le déficit public devrait se réduire pour atteindre 6,7% du produit intérieur brut contre 10,2% attendu pour 2020.
"La dette, c'est de l'investissement. Dépenser de l'argent pour le chômage partiel, c'est de l'investissement sur les compétences. C'est moins coûteux. Une dette se rembourse. Tous ceux qui disent que la dette ne sera pas remboursée ne sont pas responsables. Elle sera remboursée par la croissance, le maintien de finances publiques saines, et la poursuite des réformes de structures (réforme de l'action logement, la réforme des retraites est nécessaire pour la prospérité du pays)", a indiqué Bruno Le Maire.
Là encore, les répercussions de la récession à moyen terme pourraient obliger le gouvernement à encore bouleverser son agenda de réformes.