Les 100.000 emplois industriels "sauvés" par le plan de relance n'effacent pas la crise

Le plan de relance a permis de soutenir 782 projets de relocalisations industrielles sur le sol tricolore créant ou confortant 100.000 emplois, estime l'exécutif. Malgré un fort rebond de la croissance en 2021, l'enveloppe de 100 milliards d'euros est loin d'avoir effacé les stigmates de la crise. L'emploi industriel reste toujours inférieur à son niveau de 2019, rappelle l'Insee.
Grégoire Normand
Le soutien de projets industriels a permis de générer 5,4 milliards d'euros d'investissements productifs, dont 1,6 milliard d'euros de subvention, assure le ministère de l'Economie.
"Le soutien de projets industriels a permis de générer 5,4 milliards d'euros d'investissements productifs, dont 1,6 milliard d'euros de subvention", assure le ministère de l'Economie. (Crédits : Reuters)

Santé, agroalimentaire, électronique, télécommunications, médicaments, etc. Le plan de relance de 100 milliards d'euros annoncé à l'été 2020 a permis de soutenir 782 projets industriels et de créer ou sauvegarder environ 100.000 emplois, selon les chiffres dévoilés par Bercy ce jeudi 17 février.

"Le soutien de ces projets a permis de générer 5,4 milliards d'euros d'investissements productifs, dont 1,6 milliard d'euros de subvention", assure le ministère de l'Economie.

D'Arcelor Mittal dans le Grand Est en passant par Vallourec dans le Nord ou encore l'Acome en Normandie, les grandes entreprises et les ETI sont relativement bien représentées. Des aides ont également été accordées à de nombreuses PME et TPE ou startups, allant d'une minoterie en Guyane qui prévoit de créer une vingtaine d'emplois à une jeune pousse en Aquitaine qui veut produire de la spiruline de "grande qualité".

A quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle, le ministère de l'Economie veut mettre l'accent sur la réindustrialisation, un thème partagé par la plupart des candidats à la présidentielle. Emmanuel Macron, qui n'a pas encore officiellement déposé sa candidature, sillonne la France sur ce sujet porteur depuis le mois de septembre.

En déplacement la semaine dernière à Belfort, l'entourage du chef de l'Etat a orchestré une campagne de communication autour de l'annonce des six projets de réacteurs EPR et le rachat à GE des turbines Arabelle par EDF. En janvier, le quadragénaire a annoncé une salve d'investissements d'entreprises étrangères à défaut de pouvoir organiser le traditionnel sommet Choose France dans le cadre prestigieux du château de Versailles.

Derrière ces déplacements réguliers, l'exécutif tente de faire oublier les déboires de l'industrie tricolore empêtrée dans une crise à rallonge. Les derniers chiffres cataclysmiques du déficit commercial en 2021 ont pourtant rappelé que la situation était très défavorable pour le "made in France".

Lire aussi 6 mnMalgré le rebond de la croissance en 2021, le déficit commercial plonge à un niveau inconnu

Trois dispositifs et du "recyclage"

Ces soutiens à la réindustrialisation ont été opérés dans le cadre de trois dispositifs. Le premier concerne l'appel à projet "Relocalisations dans les secteurs critiques". Il est doté d'une enveloppe de 850 millions d'euros pour faciliter l'implantation ou la relocalisation d'activités dans le secteur de la santé ou l'agroalimentaire. Il faut dire que la pandémie a jeté une lumière crue sur la dépendance de la France à l'égard de l'étranger pour les masques, les respirateurs, le matériel médical ou encore les principes actifs.

Le ministre du commerce extérieur Franck Riester a d'ailleurs rappelé lors d'un point presse la semaine dernière que l'Hexagone avait importé pour "6 milliards d'euros de masques en 2021 contre 900 millions d'euros en 2020. La politique de réindustrialisation et de chaînes de production de masques a payé", a-t-il assuré. Au printemps 2020, la commande de masques avait viré au fiasco en Europe. Les Etats s'étaient livrés à une féroce bataille pour se procurer des masques de protection.

A LIRE AUSSI | Exportations : en 20 ans, la France a perdu plus de parts de marché que l'Allemagne et l'Italie

Le second dispositif concerne un appel à manifestation spécialement destiné au domaine de la santé. Ce levier "vise à renforcer les capacités des industries de santé à lutter contre l'épidémie de Covid-19". Cet appel à manifestation est doté d'une enveloppe de 671 millions d'euros d'aides de l'Etat. Là encore, la pandémie a révélé les failles de l'industrie de la santé en France. De grands groupes comme Sanofi ont annoncé des suppressions de postes dans la recherche et développement en pleine pandémie.

Enfin, le dernier dispositif concerne les territoires d'industrie. Ce fonds doté d'environ 950 millions d'euros financé par l'Etat et les régions a permis de soutenir 246 projets de relocalisations industrielles "pour 115 millions d'euros d'aides et plus d'un milliard d'euros d'investissements industriels", selon Bercy.

Intégrés au plan de relance, les territoires d'industrie ont été lancés au début du mois de novembre 2018 par l'ex-premier ministre Edouard Philippe en grande pompe sous les verrières du Grand Palais à Paris. A l'époque, cette initiative se voulait être une réponse à la crise des gilets jaunes qui avait enflammé les ronds-points partout en France. Quatre ans après, ce dispositif est "recyclé" par le gouvernement.

Lire aussi 8 mnLes territoires d'industrie, l'autre réponse à la crise des "Gilets jaunes"

En 2021, l'emploi salarié a augmenté dans tous les secteurs sauf l'industrie

Ces 100.000 emplois annoncés ont-ils effacé les stigmates de la crise ? Rien n'est moins sûr. L'économie française a crée un nombre d'emplois record en 2021. Selon un récent décompte de l'Insee, près de 650.000 postes ont été créés sur l'année dans le contexte du fort rebond de la croissance (+7%).

L'examen plus détaillé des tableaux de l'institut de statistiques montre néanmoins que seul l'emploi industriel n'a pas retrouvé son niveau d'avant-crise. A fin 2021, son niveau est toujours inférieur de -1,2% par rapport à fin 2019 (-38.200 emplois). En effet, l'Insee recensait 3,11 millions d'emplois salariés au dernier trimestre 2019 contre 3,07 millions au T4 2021. En prenant en compte tout l'industrie (privée et publique) depuis 20 ans, l'emploi a dégringolé de près d'un million.

Partout sur le territoire, beaucoup de sites industriels ont subi de plein fouet les effets de la pandémie. Les pénuries et les tensions sur les chaînes d'approvisionnement ont mis au grand jour l'interdépendance productive de l'économie mondiale et l'industrie tricolore en particulier.

Pertes de parts de marché à l'export de la France

En dépit des résultats affichés par l'exécutif, l'industrie tricolore est en souffrance. Dans un bilan dévoilé ce mardi 15 février, l'institut COE Rexecode dresse un bilan particulièrement alarmant sur la perte de compétitivité de l'économie française à l'étranger.

"La part des exportations françaises de biens en valeur dans les exportations de la zone euro est passée de 18% à 12,6% entre 2000 et 2021. C'est une évolution inquiétante", a déclaré l'économiste et auteur de l'étude Emmanuel Jessua lors d'un point presse. Surtout que la zone euro est le principal marché pour les exportations tricolores à l'instar d'un grand nombre de voisins de la France.

Dans son rapport annuel sur la compétitivité, le centre de recherche proche du patronat a passé au crible les exportations par catégorie de produits entre 2019 et 2021. Il en ressort sur la vingtaine de produits étudiés seuls le luxe (cuir, peaux), les huiles animales et végétales et les boissons (vins, alcools) enregistrent une hausse sur cette période.

Tous les autres types d'exportations perdent du terrain. "Le recul des parts de marché tend à devenir structurel" signifie l'étude. Pour Emmanuel Jessua, "il y a un parallélisme entre les pertes de compétitivité à l'export et la désindustrialisation".

Dans l'ouvrage L'Economie mondiale en 2021 (éditions La Découverte), les économistes dU CEPII François Geerolf et Thomas Grjebine alertaient déjà sur le danger des déficits extérieurs persistants. "Un déficit de la balance des biens persistant entraîne quasi-mécaniquement une accélération de la désindustrialisation" écrivent les deux chercheurs. Il y a quelques semaines, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire se donnait 10 ans pour réduire le fossé abyssal entre les exportations et les importations. Un pari loin d'être gagné.

Lire aussi 4 mnCommerce extérieur : Le Maire donne un horizon à 10 ans pour résorber le déficit

Grégoire Normand
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.