Les enjeux de recrutement pour réussir la bataille de la réindustrialisation sont immenses. Après plusieurs décennies de marasme, le gouvernement veut mettre le paquet sur l'attractivité des métiers dans l'industrie. À l'occasion de la semaine de l'industrie qui doit se dérouler du 27 novembre au 3 décembre, Bercy a mis en place une opération séduction à destination des jeunes. « Il y a 60.000 emplois vacants dans l'industrie », a rappelé le ministre de l'Industrie Roland Lescure, lors d'une réunion avec des journalistes.
Et les enjeux dans les dix ans à venir sont immenses. « L'industrie va avoir besoin de recruter plus d'un million de personnes », a insisté le locataire de Bercy. Le ministre n'a pas hésité à parler d'une « bombe démographique » pour évoquer les « 800.000 départs » à la retraite dans les dix ans à venir.
Jugés comme « ringards » pendant longtemps, les métiers de l'industrie ont souffert d'un déficit d'attractivité. Pour inverser la tendance, le gouvernement et BPI France veulent changer le regard sur ces fonctions. « Le défi majeur de cette semaine de l'industrie est de lutter contre les idées reçues. L'industrie ça paie, elle se décarbone et permet de faire carrière aussi à l'international », a résumé Roland Lescure. Pendant cette semaine, le ministère de l'Economie va accueillir « 1.500 jeunes issus des quartiers de politique de la ville pour découvrir les métiers de l'industrie ».
60% des industriels en manque de bras
L'embellie sur le marché du travail s'est brutalement interrompue il y a quelques mois. Le ralentissement de l'économie a poussé les entreprises à appuyer sur le frein des recrutements. Résultat, le chômage est reparti à la hausse depuis deux trimestres au grand dam de l'exécutif qui vise toujours un objectif de plein emploi. Malgré ces baisses de tensions sur le marché du travail, les industriels sont toujours à la peine pour recruter.
Selon la dernière enquête de la direction statistique du ministère du Travail (Dares) dévoilée cette semaine, 60% des chefs d'industrie ont déclaré avoir des difficultés de recrutement. Cette proportion est en baisse depuis juillet dernier. Mais demeure à un niveau élevé. Après avoir souffert de fortes difficultés d'offre dans le contexte de la pandémie, les industriels font part d'un problème de demande. Les carnets de commandes sont en berne. Ces difficultés de ressources humaines provoquent des conséquences en cascade. En octobre dernier, près du quart des dirigeants dans l'industrie affirmaient que leur activité était limitée par le manque de personnel.
Et les difficultés de recrutement pourraient s'amplifier si la réindustrialisation de l'Hexagone se confirme. En effet, l'implantation d'un site de production en France peut avoir « un effet d'entrainement » très important sur un territoire. Dans une étude récente, l'Insee a montré que « la localisation en France plutôt qu'à l'étranger d'activité manufacturière générant directement 1 milliard d'euros de valeur ajoutée créerait 24.400 emplois en tout »
Les femmes ne représentent que 30% des salariés du secteur
Pour pallier les pénuries, l'autre levier sur lequel veut insister Bercy concerne les femmes. « Le secteur souffre d'un manque d'attractivité auprès des femmes qui représentent moins de 30% des salariés du secteur », explique le ministère de l'Economie. « Elles restent peu présentes dans les fonctions de direction, occupent majoritairement des fonctions support et sont souvent exclues de la conception et de la production ».
Face à ces enjeux, plus de 1.400 événements vont être consacrés aux enjeux de la mixité dans le secteur au cours de la semaine de l'industrie. Comme ailleurs, les inégalités salariales sont particulièrement criantes dans l'industrie. Selon l'Insee, l'écart entre les hommes et les femmes serait de 13% pour un poste à temps plein dans l'industrie.
Des enjeux immenses de formation et de compétences pour les métiers de l'industrie
En outre, la transition écologique et la décarbonation de l'économie va provoquer des bouleversements colossaux en termes de formation et de compétences. Lors d'un déplacement dans les Hauts-de-Seine ce vendredi 23 novembre, la ministre de l'Energie Agnès Pannier Runacher et celle de l'enseignement professionnel Carole Granjean ont ainsi sensibilisé les jeunes aux enjeux de la formation sur les débouchés de la transition énergétique.
Dans une récente note, les économistes du conseil d'analyse économique rattaché à Matignon ont, eux, alerté sur la nécessité de renforcer l'attractivité des métiers de la transition. « Les secteurs nécessaires à la transition ont déjà des problèmes d'attractivité à la base. Pour atteindre les objectifs de réduction de CO2, les entreprises ne vont pouvoir recruter que si les métiers sont attractifs. Et ce n'est pas seulement une question de salaire. Ces emplois sont souvent également difficiles sur le plan physique », a confié à La Tribune Aurélien Saussay, co-auteur de la note et professeur d'économie à la London School of Economics (LSE).
Pour améliorer l'attractivité des métiers, il faut mettre l'accent sur les territoires explique à La Tribune un expert dans les politiques industrielles et fin connaisseur des rouages politiques consulté par Bercy. « Les salariés sont très attachés aux territoires sur lesquels ils travaillent. Il faut plus travailler sur les territoires pour les besoins du territoire avec les gens habitants du territoire. Il faut répondre aux besoins locaux des entreprises ». Récemment, le gouvernement a lancé la seconde phase du programme des territoires d'industrie. Reste à savoir si ce prolongement va s'accompagner d'une ambition importante sur l'attractivité des métiers de l'industrie.