La pandémie donne toujours le tournis. Près d'un an et demi après l'arrivée du virus sur le territoire européen, une partie importante de la population continue de payer un lourd tribut. Au-delà des images des interminables files d'attente aux banques alimentaires, les chiffres dévoilés par l'Insee dans son épais ouvrage de 213 pages consacré aux revenus et patrimoine des ménages ce jeudi 27 mai mettent en relief les conséquences dramatiques de cette maladie infectieuse mondiale sur les plus vulnérables. Le déconfinement et l'accélération de la campagne de vaccination ont provoqué du soulagement dans une partie de l'opinion publique mais beaucoup de personnes pourraient encore subir les effets néfastes de cette crise pendant de longs mois.
Un ménage sur cinq annonce une baisse de revenus
Les enquêtes menées par l'Insee depuis le début de la pandémie permettent de passer au crible l'évolution du revenu des ménages. Il en ressort que si la part des ménages affirmant être en difficulté financière a baissé depuis un an, 22% des répondants déclarent que leurs revenus ont baissé entre mars 2020 et le premier trimestre 2021.
A l'opposé, seuls 9% des ménages interrogés indiquent avoir enregistré une hausse de leurs revenus. Les pertes moyennes recensées par l'institut de statistiques sont de 290 euros contre 226 euros pour ceux qui ont eu des gains. Parmi les ménages qui ont connu une érosion de leur revenu, 11% affirment avoir dû souscrire à un nouveau crédit ou renégocié leurs crédits en cours. Sans surprise des disparités flagrantes apparaissent en fonction de la catégorie des ménages. Ainsi, 29% des familles modestes déclarent avoir connu une inflexion de leurs revenus contre 17% chez les plus aisés. "La diminution de revenu est ainsi plus forte pour les ménages modestes : - 8 % du niveau d'avant-crise pour les ménages modestes, contre - 1 % pour les aisés" ajoutent les statisticiens.
Deux millions de personnes vivent dans la grande pauvreté
C'est une première pour l'organisme public. Après de multiples enquêtes sur la pauvreté, l'Insee s'est cette fois-ci intéressée à un phénomène parfois difficile à appréhender et à définir : la grande pauvreté. "Elle correspond à des personnes qui ont épuisé toutes leurs ressources pour s'en sortir et qui sont dans cette situation de manière durable. Elles ont un niveau de vie inférieur à 50% du niveau de vie médian. La grande pauvreté concerne 2,4% de la population. Elles rencontrent au moins sept privations matérielles sur 13", a déclaré Julie Labarthe, cheffe de la division revenus et patrimoine des ménages devant les journalistes. Sur ce groupe, les enfants sont surreprésentés. D'après les chiffres communiqués, ils seraient 35% dans la grande pauvreté alors qu'ils représentent 20% de la population.
Enfin, une partie de ces plus vulnérables pourraient bien passer sous les radars. "1,9 million de personnes sont en situation de grande pauvreté et 153.000 personnes sont sans domicile ou vivent en habitation mobile. Les privations sont sévères mais elles sont également durables. La santé est bien plus dégradée. Beaucoup de personnes sont limitées dans leur vie quotidienne" ajoute l'experte.
L'autre résultat surprenant de cette enquête est qu'une large majorité (environ 1,8 million) vivent dans un logement ordinaire, soit parce que c'est leur logement ou elles ont été placées dans des logements d'urgence. Ce chiffre de 1,9 million qui date de 2018 pourrait largement empirer avec la crise même s'il est encore difficile à ce stade d'avoir une photographie précise de l'état de la pauvreté en France en 2021. L'Insee rappelle que l'Hexagone compte environ 10 millions de pauvres.
Le nombre de bénéficiaires du RSA en hausse
Les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ont considérablement augmenté (+8,7% entre septembre 2019 et septembre 2020) depuis le début de la pandémie. Stable depuis 2017 autour de 1,9 million, leur nombre a franchi le seuil fatidique des deux millions l'année dernière. L'un des facteurs souvent avancé pour expliquer cette hausse est l'absence de sortie des allocataires de ce dispositif, ce qui gonfle inexorablement le nombre d'allocataires. "[La hausse] ne correspondrait donc pas à l'entrée massive de nouveaux allocataires et concernerait surtout des personnes qui ont déjà été par le passé dans une situation financière difficile" indique l'Insee dans son ouvrage. "Même s'il a baissé récemment, il reste à un niveau supérieur à la période d'avant crise" a déclaré Valérie Albouy, cheffe du département des ressources et des conditions de vie des ménages. Compte tenu du nombre important de non-recours aux minimas sociaux, ce chiffre pourrait être sous-estimé.